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Dr Égide Royer, psychologue : la réussite scolaire, maintenant ou jamais!

Hélène de Billy, journaliste et écrivaine


Psychologue et professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, le Dr Égide Royer est considéré comme l’un des plus grands experts dans le domaine de la réussite scolaire au Québec. Ses travaux portent particulièrement sur la prévention de l’abandon scolaire, l’intervention pour prévenir les problèmes de comportement en classe ainsi que la réussite scolaire des garçons en difficulté. Figure respectée dans le monde de l’éducation, le Dr Royer est constamment sollicité par les médias et multiplie les conférences d’un océan à l’autre.

Q : En juin 2018, l’Institut du Québec a publié une étude sur l’éducation au Québec qui a renversé les observateurs. Entre autres révélations, on y apprenait qu’à peine 64 % des élèves du secondaire obtenaient leur diplôme au Québec, contre 84 % en Ontario. Ces chiffres vous inquiètent-ils?
R : Je suis préoccupé par l’ensemble de la situation. Considérez par exemple le nombre d’élèves en difficulté au primaire et au secondaire, qui est passé de 100 000 à 200 000 depuis 15 ans. Autre exemple préoccupant, et cette fois pour les étudiants du cégep : on compte désormais 10 % d’étudiants en difficulté, ce qui est nouveau dans la province. À la source du problème, il y a les inégalités inhérentes à notre système, où les écoles privées, tout comme les projets particuliers du secteur public, ont la possibilité de se réserver les élèves les plus forts. Les classes « régulières » se retrouvent alors avec une concentration anormalement élevée d’élèves avec des difficultés de lecture ou des besoins particuliers. Pour remédier à la situation, il est indispensable que le Québec fasse de la réussite de tous les élèves une responsabilité partagée par toutes les écoles, y compris les institutions privées. Je plaide également pour la disparition des diagnostics. Il faut cesser d’exiger une « étiquette » en milieu scolaire pour offrir des services professionnels à un enfant. Cette pratique retarde ou empêche l’intervention directe et nuit à la prévention. Pour aider un enfant, nul besoin d’étiquette, il suffit que son comportement ou ses réactions nous inquiètent.

Q : Qu’en est-il des difficultés scolaires des garçons au Québec? S’agit-il d’un simple mythe ou d’une réalité?
R : Avec un taux de succès au secondaire de 57 % pour les garçons et de 71 % pour les filles, il s’agit bel et bien d’une réalité. Un tel écart, soit de 14 points de pourcentage, est unique au pays. Dans les autres provinces canadiennes, il ne dépasse pas les six points. Par ailleurs, 70 % des élèves présentant des difficultés d’apprentissage sont des garçons. Autre donnée troublante : 40 % des élèves en difficulté, majoritairement des garçons encore une fois, abandonnent l’école avant d’avoir obtenu leur diplôme.

Q : Quelles sont les causes de cette situation?
R : C’est comme si le système d’éducation québécois, avec ses approches pédagogiques, son organisation matérielle, son modèle d’encadrement, n’arrivait pas à s’arrimer au style d’interaction des garçons. Un ajustement s’impose. Mais c’est un sujet sensible. Pour nombre d’intervenants, il n’est pas politiquement correct d’envisager des mesures taillées uniquement pour les garçons. Alors qu’il existe de nombreux programmes encourageant l’exercice de métiers non traditionnels par les filles, il n’y a rien pour les garçons. Nous avons deux poids deux mesures. Et dans les universités, on ne trouve personne pour consacrer sa thèse à la réussite des garçons. Le sujet n’existe pas. À mon avis, il est grand temps de libérer la recherche de l’emprise des idéologies.

Q : Trouve-t-on d’autres domaines où les idées reçues ont préséance sur les données probantes?
R : Je vous citerais le cas de la précocité intellectuelle, qui a été considérée par certains comme « une construction sociale des élites dominantes ». Dans les années 1980, le professeur québécois Françoys Gagné, l’un des grands experts mondiaux en matière de douance, avait développé à l’époque un programme adapté aux élèves à haut potentiel. Or, les syndicats ont jugé que la mesure consacrait une forme d’élitisme, de sorte que ce programme est tombé à l’eau.

Q : Qu’attendez-vous de la campagne électorale en cours?
R : J’aimerais voir toutes les formations politiques appuyer la mise en place des « maternelles 4 ans » avec une enseignante et une éducatrice dans chaque groupe afin de procéder sans tarder à l’apprentissage de l’alphabet. L’idée, c’est d’intervenir tôt en ce qui a trait à la lecture, car c’est là qu’on perd des élèves, en particulier des garçons. Par ailleurs, il faudrait intervenir et changer la loi de manière à ce qu’au Québec, les jeunes soient encouragés à fréquenter l’école jusqu’à 18 ans. Mais les politiques ont peur de perdre des votes. Pourtant, s’ils savaient le nombre de gars aujourd’hui qui regrettent d’avoir déserté l’école à 16 ans. « Si j’avais su », soupirent plusieurs d’entre eux à présent!

Q : Que faut-il penser de l’apprentissage de la lecture conjugué à l’apprentissage du codage informatique?
R : Avec ou sans les nouvelles technologies de l’information, la lecture demeure fondamentale. Et qu’on ajoute à présent l’apprentissage du codage informatique, je trouve ça très bien. Pour programmer, il faut savoir décomposer un objectif en une série d’étapes. J’y vois une logique qui me fait penser à celle de la grammaire latine.

Q : Les dernières statistiques ont établi que 9 Franco-Ontariens sur 10 décrochent un diplôme à la fin de leur secondaire. Chez nous, c’est à peine plus de la moitié. Comment expliquer cet écart?
R: Les Franco-Ontariens ont placé l’école au cœur de leur survie, tout comme les Franco-Manitobains et certains groupes issus de l’immigration. C’est que, chez les communautés minoritaires, les parents accordent une importance primordiale à l’éducation. On constate le même phénomène chez les anglophones québécois. Les minorités défendent leur culture au moyen de l’éducation. Pourquoi pas nous?

Q : Selon plusieurs, tous les problèmes du réseau public seraient réglés si le gouvernement arrêtait de financer l’enseignement privé. Qu’en pensez-vous?
R : Il s’agit d’une analyse non fondée. Les Québécois tiennent à leurs écoles privées. Certains se saignent à blanc pour envoyer leurs enfants dans ces écoles. Je pense que ces institutions ont un rôle à jouer, à condition qu’elles acceptent d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis des élèves en difficulté. Le pire recul en éducation actuellement serait de ramener ces jeunes dans des classes à cheminement particulier à cause de l’écrémage qui est pratiqué par le privé. Les faits sont là : quand vous entrez dans une classe spéciale, à moins qu’elle soit de grande qualité, vous n’en sortez pas.

Q : Vous avez réclamé à maintes reprises que l’enseignement soit encadré par un ordre professionnel au Québec. Pourquoi?
R : Même si la majorité des gens que l’on accepte en éducation dans les universités ont les qualités requises pour devenir enseignant, il est de notoriété publique qu’un grand nombre d’enseignants ont toujours une connaissance du français déficiente et un dossier scolaire trop faible. Je recommande donc que la qualité de la langue et du dossier scolaire deviennent une exigence d’admission au baccalauréat en enseignement. Si les qualifications en français de l’aspirant enseignant sont trop faibles, on pourrait, par exemple, lui recommander de reprendre certains cours. Mais pour que la profession soit régulée comme elle se doit, je pense qu’il faudrait un Ordre des enseignants, ce qui permettrait d’établir des standards et de nous assurer de la qualité des services offerts par ses membres.

Note

Prévu pour 2019, le huitième livre du Dr Égide Royer sera un manuel recensant tous les problèmes émotifs et comportementaux liés à l’école « allant de la morsure en garderie à l’anorexie en passant par la dépression ». Intitulé Petite encyclopédie de l’enseignant efficace, l’ouvrage de 400 pages s’adressera principalement aux travailleurs de l’éducation, mais il fera également une place importante aux psychologues.