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Impacts des traumas relationnels précoces sur le développement de la confiance épistémique chez l’enfant


Dr Vincent Domon-Archambault, psychologue
Psychologue en protection de la jeunesse au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, il s’intéresse aux impacts des traumas relationnels précoces sur le développement social et affectif de l’enfant.
 


Dr Miguel M. Terradas, psychologue
Professeur titulaire au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke, il s’intéresse aux impacts des traumas relationnels précoces sur la capacité de mentalisation et le jeu de l’enfant.

 


La capacité d’un enfant à faire des apprentissages en s’appuyant sur son environnement dépend en grande partie de sa confiance épistémique. Celle-ci semble être primordiale pour maximiser les effets d’un accompagnement thérapeutique. Or, les traumas vécus par un enfant affectent le développement de cette capacité, plaçant plutôt ce dernier dans une position de méfiance ou de trop grande crédulité face aux savoirs inculqués par autrui. Le présent article s’intéressera aux notions de confiance, de méfiance, de vigilance et de crédulité épistémiques dans le rétablissement des enfants ayant vécu des traumas.

Quiconque a déjà travaillé auprès des enfants et des adolescents ayant vécu des traumas relationnels précoces a pu constater qu’il est souvent difficile pour ceux-ci de faire confiance aux intervenants et de s’appuyer sur eux pour faire des apprentissages pourtant salutaires. Selon Fonagy et Allison (2014), cette situation pourrait s’expliquer par le fait que ces jeunes n’ont pu développer une confiance épistémique (CE) envers leurs figures de soins en raison de leur vécu adverse. La CE se définit comme l’ouverture à considérer les nouvelles connaissances transmises par autrui comme étant authentiques, fiables, généralisables et pertinentes pour soi (Fonagy et Allison, 2014). En d’autres mots, cette notion réfère au degré de confiance que l’on accorde à l’information qui nous est communiquée en fonction de la nature de celle-ci et, surtout, de la personne qui nous la transmet.

Le développement de la confiance épistémique

La CE d’un enfant se développe au sein de la relation d’attachement avec sa figure de soins. En effet, selon Sperber et al. (2010), les humains présenteraient dès leur jeune âge une propension adaptative à la vigilance épistémique afin de discerner et de rejeter efficacement les informations fausses, voire dommageables. Plusieurs études documentent d’ailleurs la tendance marquée chez l’enfant à s’attarder par différents moyens à la fiabilité de l’information qui lui est donnée, et ce, dès l’âge de 16 mois (Li et al., 2023; Poulin-Dubois et Chow, 2009). Au fil des interactions contingentes, sensibles à son monde interne et régulatrices qu’il entretient avec sa figure de soins, l’enfant en vient à comprendre qu’il peut s’ouvrir aux réponses et aux informations que celle-ci lui offre, lesquelles sont bienveillantes et dans son intérêt. Il peut en quelque sorte diminuer sa vigilance naturelle pour bénéficier du savoir de l’autre. 

Sans surprise, la sécurité de l’attachement et la capacité de mentalisation du parent sont intimement liées à la CE de l’enfant (Fonagy et Allison, 2014). La CE tend ensuite à se généraliser aux autres relations de l’enfant, ce dernier se montrant alors ouvert aux apprentissages sociaux tout en conservant son regard critique sur l’information qui lui est offerte (Jaffrani et al., 2020; Li et al., 2023). Il s’agit d’un équilibre sain entre l’appui sur autrui et l’autonomie, qui rappelle l’équilibre entre la sécurité et l’exploration proposé par la théorie de l’attachement.

La méfiance et la crédulité épistémiques

A contrario, un enfant vivant des traumas relationnels précoces n’est pas à même de développer sa CE et tend plutôt à s’ancrer dans une posture de méfiance épistémique l’empêchant de s’appuyer sur autrui pour faire des apprentissages cruciaux pour son développement socioaffectif (Jaffrani et al., 2020; Knox, 2009; Li et al., 2023). Pire encore, l’ouverture à l’autre peut se lier à des expériences profondément aversives, comme l’abus ou la négligence (Knox, 2009). Paradoxalement, à cette méfiance peut parfois s’adjoindre un phénomène dit de crédulité épistémique, soit un manque prononcé de vigilance et de discrimination face à l’information donnée par autrui, qui rend la personne vulnérable à l’exploitation et à la désinformation (Campbell et al., 2021). Cette crédulité semble naître d’un déficit sur le plan de la mentalisation et d’une profonde perte d’agentivité causée par la négligence vécue ou l’abus subi, rendant l’individu sujet à une répétition du trauma. En d’autres mots, la personne demeure globalement méfiante, mais vulnérable au contrôle, souvent malveillant, de l’autre sans égard à son monde interne. Tout comme pour la CE, la méfiance épistémique ne concerne pas seulement les personnes significatives pour l’enfant : elle tend à se généraliser à autrui, dont les intervenants et les institutions (Jaffrani et al., 2020). Des liens significatifs ont été documentés entre la méfiance épistémique et les difficultés sur le plan de la mentalisation, l’insécurité de l’attachement et des indices globaux de qualité de vie, de psychopathologie, de stress et de dérégulation émotionnelle (Li et al., 2023). Il est même avancé que la méfiance épistémique pourrait avoir un impact sur le parcours scolaire d’un enfant, l’école constituant un environnement au sein duquel la confiance envers les enseignants et l’information qu’ils prodiguent est cruciale (Platz, 2021). 

Le rétablissement de la confiance épistémique

Heureusement, il est possible de transformer la méfiance en CE, notamment par le biais de relations réparatrices (Sprecher et al., 2022). Il a été démontré que la psychothérapie peut soutenir le développement de la CE. Plus encore, les données colligées semblent suggérer que l’amélioration de la CE dans le contexte de la psychothérapie est corrélée à de meilleurs résultats thérapeutiques, indépendamment de l’approche théorique utilisée (Li et al., 2023). Différents facteurs contributifs ont été proposés comme moteurs potentiels de changement. D’abord, il appert que la posture du psychothérapeute joue un rôle crucial dans l’amélioration de la CE. La neutralité bienveillante, la mise en place d’un espace réflexif sécuritaire, le non-jugement, l’empathie et la curiosité ont été décrits comme des facteurs bénéfiques (Jaffrani et al., 2020). Plusieurs de ces éléments se retrouvent en fait au sein de l’intervention basée sur la mentalisation, laquelle a démontré son efficacité dans le traitement de diverses psychopathologies (voir Bateman et Fonagy, 2019). De plus, cette approche semble soutenir particulièrement le rétablissement de la CE (Parolin et al., 2023). Par ailleurs, les études indiquent que la diminution de la méfiance au profit de la CE est un processus qui prend du temps et nécessite une prévisibilité et une continuité du lien thérapeutique (Jaffrani et al., 2020; Sprecher et al., 2022). Ce constat semble faire écho à notre expérience clinique en protection de l’enfance, au sein de laquelle l’établissement du lien thérapeutique à lui seul peut nécessiter plusieurs mois. Il s’agit bien sûr d’un processus difficile pour les enfants pour qui une proximité affective telle que celle suscitée par la relation psychothérapeutique est potentiellement liée à des expériences adverses suscitant la méfiance (Knox, 2009). Plus particulièrement, l’abandon de la position de crédulité épistémique et la reprise du sentiment d’agentivité chez l’enfant peuvent même se lier à des affects de rage, à du contrôle et à des agirs en psychothérapie (Knox, 2009). En outre, il importe de souligner que les données préliminaires suggèrent que la CE se rétablit graduellement, probablement de façon inégale et différenciée selon les sujets ou les sphères de la vie considérés (Sprecher et al., 2022). Elle peut aussi être affectée négativement lors des épisodes de grande activation émotionnelle. L’amélioration de la CE auprès d’un intervenant semble cependant, tel qu’anticipé, avoir un effet bénéfique sur les autres relations personnelles et professionnelles de l’individu (Jaffrani et al., 2020).  

En somme, la CE est un concept récent, mais fort pertinent dans la compréhension et l’intervention auprès des enfants et des adolescents ayant vécu des traumas relationnels précoces. Il convient de s’y attarder pour permettre le rétablissement de ces jeunes au sein des diverses sphères de leur vie.

Bibliographie

  • Bateman, A. et Fonagy, P. (2019). Handbook of mentalizing in mental health practice (2e édition). American Psychiatric Association Publishing.
     
  • Campbell, C., Tanzer, M., Saunders, R., Booker, T., Allison, E., Li, E., O’Dowda, C., Luyten, P. et Fonagy, P. (2021). Development and validation of a self-report measure of epistemic trust. PLoS One, 16(4). 
     
  • Fonagy, P. et Allison, E. (2014). The role of mentalizing and epistemic trust in the therapeutic relationship. Psychotherapy, 51(3), 372-380. 
     
  • Jaffrani, A. A., Sunley, T. et Midgley, N. (2020). The Building of Epistemic Trust: An Adoptive Family’s Experience of Mentalization-Based Therapy. Journal of Infant, Child and Adolescent Psychotherapy, 19(3), 271-282. 
     
  • Knox, J. (2016). Epistemic mistrust: a crucial aspect of mentalization in people with a history of abuse?. British Journal of Psychotherapy, 32(2), 226-236. 
     
  • Li, E., Campbell, C., Midgley, N. et Luyten P. (2023). Epistemic trust: a comprehensive review of empirical insights and implications for developmental psychopathology. Research in Psychotherapy. 26(3), 704.  
     
  • Parolin, L., Milesi, A., Comelli, G. et Locati, F. (2023) The interplay of mentalization and epistemic trust: a protective mechanism against emotional dysregulation in adolescent internalizing symptoms. Research in Psychotherapy, 26(3), 707. 
     
  • Platz, M. (2021). Trust between teacher and student in academic education at school. Journal of Philosophy of Education, 55, 688-697. 
     
  • Poulin-Dubois, D. et Chow, V. (2009). The effect of a looker’s past reliability on infants’ reasoning about beliefs. Developmental Psychology, 45(6), 1576-1582. 
     
  • Sperber, D., Clément, F., Heintz, C., Mascaro, O., Mercier, H., Origgi, G. et Wilson, D. (2010). Epistemic vigilance. Mind & Language, 25(4), 359-393. 
     
  • Sprecher, E. A., Li, E., Sleed, M. et Midgley, N. (2022). ‘Trust me, we can sort this out’: a theory-testing case study of the role of epistemic trust in fostering relationships. Qualitative Research in Psychology, 19(4), 1117-1142.
     
  • Winnicott, D. W. (1965). The maturational process and the facilitating environment: Studies in the theory of emotional development. Hogarth Press.