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Le pouvoir transformationnel des approches axées sur le trauma

Dre Delphine Collin-Vézina, psychologue
Professeure titulaire à l’Université McGill, elle est directrice du Centre de recherche sur l’enfance et la famille et du Consortium canadien sur les traumas chez les enfants et adolescents.

 

Dre Rosée Bruneau-Bhérer, psychologue
Professeure de clinique à l’Université Laval, elle pratique auprès des enfants et des adolescents suivis par la protection de la jeunesse au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale.

 

Dre Alexandra Matte-Landry, psychologue
Neuropsychologue, elle est professeure adjointe à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval et titulaire de la Chaire Richelieu de recherche sur la jeunesse, l’enfance et la famille.

 


Les services spécifiques aux traumatismes incluent les programmes et les interventions thérapeutiques basées sur les données probantes qui visent à traiter les symptômes ou les conditions résultant d’un ou de plusieurs événements traumatiques, alors que les approches axées sur le trauma (Trauma-Informed Care) impliquent un changement de paradigme à une plus large échelle. Ces approches considèrent la prévalence et l’impact des traumatismes, mettent l’accent sur la sécurité physique, psychologique et émotionnelle pour les personnes desservies et le personnel, et créent la possibilité de donner à tous et à toutes un sentiment de contrôle et d’autonomie. Elles ciblent la diminution des facteurs de risque afin d’agir à titre préventif pour éviter la répétition des expériences traumatiques et, en ce sens, elles s’assurent que les processus institutionnels ne sont pas des contributeurs à des traumas additionnels (par exemple les multiples placements d’un enfant). Finalement, elles favorisent la participation des personnes concernées dans l’élaboration, la prestation et l’évaluation des services (De Candia et al., 2014).

Par exemple, le modèle Attachement, Régulation et Compétence (ARC) (Blaustein et Kinniburgh, 2019) a été développé pour répondre aux diverses séquelles développementales vécues par les enfants et les jeunes qui ont des antécédents traumatiques complexes. Un exemple est donné dans la vignette suivante. 

Gabriel est un enfant de 8 ans hébergé en foyer de groupe en raison de difficultés de comportement. Il est décrit comme opposant, impulsif et agressif. Il est en échec scolaire et vit de l’isolement social. L’équipe ressent beaucoup d’impuissance et craint pour le futur de cet enfant. La violence et les conséquences qui en découlent (mesures d’isolement et de contention) sont en hausse depuis son arrivée. Gabriel aurait été victime de négligence grave et aurait été exposé à la violence conjugale. L’évaluation psychologique révèle des enjeux d’attachement, des difficultés de régulation des émotions et une faible estime de soi. L’équipe fait appel à la psychologue pour obtenir une consultation clinique et un suivi psychologique pour Gabriel.

Le modèle ARC est conçu à la fois comme une intervention clinique individuelle à utiliser auprès des jeunes et des familles et comme un cadre organisationnel à mettre en œuvre au sein des systèmes de services (par exemple en milieu scolaire, dans les milieux d’hébergement en protection de la jeunesse, dans les diverses organisations communautaires). L’objectif central des interventions s’appuyant sur le modèle ARC est de soutenir les processus de résilience chez les jeunes. Il importe d’aller au-delà de la réduction des symptômes ou de la correction de la pathologie. Une recension de Bailey et ses collègues (2023) montre des résultats positifs lors de l’implantation du modèle ARC dans les services en santé mentale et en protection de la jeunesse, notamment une diminution des symptômes traumatiques et des comportements extériorisés et intériorisés des enfants. En outre, les résultats indiquent une forte réduction de l’utilisation de la contention et de l’isolement, ce qui a été confirmé par Matte-Landry et Collin-Vézina en contexte québécois (2022; 2024). Dans un contexte similaire, Black et ses collègues (2022) ont documenté une amélioration des attitudes du personnel à l’égard des approches axées sur le trauma à la suite de l’implantation du modèle ARC.

Trois stratégies de base et huit cibles d’intervention principales liées aux trois piliers du modèle ARC (attachement, régulation des affects et compétences) sont utilisées pour soutenir la capacité de l’enfant et de la famille – ou du système de soins – à tolérer les affects, à faire preuve de curiosité à l’égard de leurs expériences et à s’engager de plus en plus et à faire des choix actifs, et ce, même dans les moments difficiles (Blaustein et Kinniburgh, 2019).

Figure 1. Le modèle ARC


Les trois stratégies de base sont : l’engagement, l’éducation, et les routines et le rythme. L’engagement renforce le réseau de soutien autour de l’enfant et veille à ce qu’il ait accès à des personnes impliquées émotionnellement et physiquement. L’éducation vise à fournir à ces personnes des informations appropriées et pertinentes sur l’histoire de vie de l’enfant et les sources de stress actuelles. Les routines cohérentes et la prévisibilité contribuent à réduire l’insécurité et la vulnérabilité; elles sont réexaminées dans tous les écosystèmes de la vie de l’enfant (famille, école, autres institutions).

Le pilier de l’attachement délimite trois des huit cibles d’intervention principales : la gestion des affects, la syntonie et la réponse efficace aux besoins de l’enfant. Ces trois blocs visent à établir des relations plus sécurisantes et saines entre les enfants ayant subi des traumatismes et les personnes qui s’occupent d’eux, et à donner aux systèmes de soins les moyens de mieux soutenir ces enfants à mesure qu’ils progressent dans leur processus de rétablissement. Le pilier de la régulation des affects comprend deux cibles : l’identification et la modulation des affects, qui visent à aider les enfants à développer des compétences pour comprendre leurs expériences internes et les réguler de manière adaptée et socialement acceptée. Le pilier des compétences se concentre sur le développement des ressources internes et externes afin de promouvoir un développement personnel sain, un fonctionnement cognitif positif et des moyens sûrs de s’exprimer avec des pairs et des adultes dignes de confiance, au moyen de trois cibles : le concept de soi et l’identité, le fonctionnement exécutif et les liens relationnels. Le résumé du plan d’intervention de Gabriel nous permet d’apprécier la portée d’une telle approche chez des enfants exposés à des traumatismes.

Un plan de traitement individuel et systémique inspiré du modèle ARC est mis en place. La collaboration de l’ensemble des personnes impliquées (foyer, école, équipe psychosociale, psychologue, etc.) et leur engagement envers Gabriel est essentielle, et discutée en concertation (Engagement). Une sensibilisation sur les traumatismes complexes et leurs impacts est offerte à tous, et une analyse de la situation de Gabriel est offerte par la psychologue (Éducation). Les routines au foyer et à l’école sont revisitées et adaptées afin de les rendre plus efficaces pour créer des moments de calme et de sérénité pour Gabriel (Routines). Gabriel a besoin de cohérence dans la planification de la journée, de constance dans la réponse des donneurs de soin et d’accompagnement pour être apaisé. Des rencontres multidisciplinaires régulières visent à explorer les réactions du personnel face aux comportements difficiles et à favoriser la saine gestion de leurs affects (Gestion des affects des donneurs de soin). Les déclencheurs post-traumatiques de Gabriel sont identifiés et des interventions de co-régulation sont prévues pour éviter une escalade d’émotions difficiles (Syntonie). L’équipe revisite son système de renforcement afin de promouvoir des moments de succès pour Gabriel, d’offrir du renforcement verbal lors de comportements positifs et de trouver des solutions alternatives aux mesures de contrôle (contention et isolement), qui accroissent son sentiment d’injustice et de rejet (Réponse efficace). Un suivi psychologique individuel est mis en place. On utilise des jeux pour l’aider à reconnaître ses émotions. On l’accompagne aussi pour observer ses sensations physiques et ses états internes avant et après avoir fait des activités physiques. Avec son consentement, on utilise ces observations pour mettre en place des moyens de régulation accessibles au quotidien au foyer et à l’école (Identification et modulation des affects). Au foyer et à l’école, on utilise des jeux de société pour favoriser la flexibilité cognitive, la prise de décision éclairée et l’inhibition (Fonctionnement exécutif). On propose diverses activités pour lui apprendre à mieux se connaître, à apprécier ses forces et à découvrir ses talents (Identité), et à développer de meilleures habiletés de socialisation pour créer et maintenir des relations épanouissantes (Liens relationnels). Avec le temps, Gabriel accepte plus facilement l’aide offerte par les adultes et ses comportements violents diminuent. Gabriel arrive progressivement à mieux tolérer ses émotions intenses et à mettre en place des actions pour se réguler. Un an plus tard, on observe une baisse significative des symptômes intériorisés et extériorisés. Gabriel fait preuve d’une grande résilience, osant faire graduellement confiance aux autres pour abandonner ses mécanismes de protection et apprendre de nouvelles compétences.

Cette vignette clinique illustre des résultats positifs rendus possibles par des services axés sur le trauma, tel le modèle ARC. Lorsque les familles et les institutions travaillent ensemble et s’impliquent activement pour changer le cours de la vie des enfants, des changements positifs peuvent se produire.

Nous sommes tous concernés par ce problème social – et de santé publique – incontournable et nous avons tous le pouvoir de faire la différence, individuellement et collectivement.

Bibliographie

  • Bailey, B., Tabone, J., Smith, B., Monnin, J., Hixon, B., Williams, K. et Rishel, C. (2023). State of the evidence of Attachment Regulation and Competency framework and adaptions: A rapid scoping review. Journal of Child & Adolescent Trauma,17, 1-13.
     
  • Black. K., Collin-Vézina, D., Brend, D. et Romano, E. (2022). Trauma-informed attitudes in residential treatment settings: Staff, child and youth factors predicting adoption, maintenance and change over time. Child Abuse & Neglect, 130, 105361.
     
  • Blaustein, M. et Kinniburgh, K. (2019). Treating traumatic stress in children and adolescents: How to foster resilience through attachment, self-regulation and competency (2e édition). Guilford Press.
     
  • De Candia, C. J., Guarino, K. et Clervil, R. (2014). Trauma-informed care and trauma-specific services: A comprehensive approach to trauma intervention. American Institutes for Research. Washington, DC.
     
  • Matte-Landry, A. et Collin-Vézina, D. (2024). Patterns of change in restrictive measures in residential care: Trauma-informed staff training benefits children and youth who need it the most. Child Abuse & Neglect, 147, 106576. 
     
  • Matte-Landry, A. et Collin-Vézina, D. (2022). Patterns of change in restraints, seclusions and time-outs over the implementation of trauma-informed staff training programs in residential care for children and youth. Residential Treatment for Children Youth, 39, 154-178.