Usage des médias sociaux : état de la situation, cyberdépendance, usage responsable et pistes de solution
Dre Marie-Anne Sergerie, psychologue
Clinicienne, formatrice et conférencière, elle est également autrice du livre Cyberdépendance : quand l’usage des technologies devient un problème et fondatrice du site Cyberdependance.ca.
Les médias sociaux intègrent la technologie, l’interaction sociale et la création de contenus. Ils évoluent à une vitesse fulgurante et nous devons sans cesse nous y adapter. Ils permettent d’apprendre, de s’informer, de diffuser du contenu, de se divertir, de développer de nouvelles relations et de communiquer facilement avec les autres. Mais quelles sont les répercussions des médias sociaux? À quel moment leur usage devient-il un problème ? Comment développer un usage responsable des médias sociaux ? Cet article fera un survol de l’état de la situation quant aux aspects psychologiques associés à l’usage des médias sociaux après 20 ans d’utilisation. Il explorera aussi quelques pistes de solution afin d’aider les professionnels qui interviennent auprès des personnes aux prises avec des difficultés liées à leur usage des médias sociaux.
Usage des médias sociaux
En 2022, 79 % des adultes québécois ont utilisé les médias sociaux, dont 91 % des adultes âgés de 18 à 44 ans. Le temps moyen passé sur les médias sociaux était de 2 heures 50 minutes par jour. Les adultes québécois rapportent les utiliser au quotidien pour rester en contact avec des amis et des proches (60 %), discuter et envoyer des messages (58 %), regarder des vidéos et écouter de la musique (54 %) et lire sur les nouvelles et les actualités (52 %). Les plateformes les plus souvent utilisées par les adultes québécois sont Facebook (88 %), YouTube (69 %), Instagram (39 %) et TikTok (34 %) (ATN, 2022).
À quel moment l’usage des médias sociaux devient-il un problème?
La cyberdépendance aux médias sociaux se manifeste par une utilisation excessive, par des préoccupations persistantes quant à l’usage des médias sociaux (comme anticiper la prochaine connexion) ainsi que par un état de manque lorsque l’accès est impossible, qui se traduit par de l’anxiété, de l’irritabilité, de l’ennui ou de la colère. Ainsi, l’usager aura tendance à perdre le contrôle de son utilisation, à se connecter de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps pour se sentir satisfait ou apaiser sa détresse ou son inconfort, et à être moins intéressé par les activités ou divertissements hors ligne. On observera différents comportements comme vérifier constamment les mises à jour ou faire défiler à répétition (voire compulsivement) pendant des heures le contenu sur les fils d’actualité des plateformes, contenu qui est sans fin. L’usage sera maintenu en dépit des conséquences négatives qui perturbent le fonctionnement, comme des problèmes psychologiques (anxiété, dépression, etc.), des problèmes scolaires ou professionnels (procrastination, échecs, problèmes d’assiduité, etc.) ou des problèmes sociaux et relationnels (isolement social, conflits dans le couple ou avec la famille ou les amis, etc.). L’usage problématique des médias sociaux est aussi associé au phénomène FOMO (fear of missing out), c’est-à-dire la peur de manquer quelque chose et la « nomophobie » (no mobile phobia), soit la peur d’être déconnecté, de ne pas avoir accès à son téléphone intelligent ou de ne pas pouvoir l’utiliser (Brown et Kuss, 2020; Huang, 2022; Sergerie, 2020).
Quelles sont les répercussions des médias sociaux?
Les effets sur le cerveau
Des études ont tenté de déterminer si l’usage des technologies ou des médias sociaux pouvait avoir des effets sur le cerveau et un potentiel de dépendance comme l’usage de substances. Une recension systématique de la littérature a montré que l’usage problématique des médias sociaux aurait des similitudes neuronales avec l’abus de substances. En effet, une réduction du volume du striatum ventral, notamment du noyau accumbens, qui est situé dans cette région, aurait été observée chez des personnes présentant un usage problématique des médias sociaux, ce qui rejoint des résultats obtenus relativement à la dépendance aux substances. Le noyau accumbens est un ensemble de neurones impliqué dans le circuit de la récompense. Il réagit aux plaisirs et est lié aux mécanismes de dépendance. L’usage problématique des médias sociaux entrainerait aussi une activité accrue dans cette région. De plus, la région serait davantage activée chez les usagers réguliers lorsqu’ils reçoivent des indices de récompense sociale, comme des clics « J’aime » sous une publication (Wadsley et Ihssen, 2023).
Une augmentation de l’activité de l’amygdale aurait également été relevée chez les usagers réguliers lorsqu’ils aiment la publication d’une autre personne. Rappelons que l’amygdale est une structure impliquée, entre autres, dans la motivation et l’anticipation de récompenses. En cliquant « J’aime » sous une publication, l’usager augmenterait les probabilités que l’autre aime ses publications en retour, ce qui accroitrait l’anticipation d’une récompense (Sherman et al., 2018). Des études ont montré un lien entre une réduction du volume de l’amygdale et l’utilisation excessive des médias sociaux, ce qui a aussi été observé pour les troubles liés à l’usage de substances. Une réduction de la taille de l’amygdale serait associée à des difficultés à gérer les envies et amènerait les usagers à utiliser les médias sociaux d’une façon plus importante ou délétère (He, Turel et Bechara, 2017; He et al., 2017; Wadsley et Ihssen, 2023). Une autre étude a relevé qu’une réduction de la matière grise dans la région de l’insula pourrait être liée à un usage problématique des médias sociaux, ce qui entrainerait plus d’impulsivité et de recherche de gratifications immédiates chez ces usagers (Turel et al., 2018). Des liens ont d’ailleurs été démontrés entre le temps d’écran et l’exacerbation des symptômes du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, dont l’impulsivité (Wallace et al., 2023).
Par ailleurs, le réseau du mode par défaut (RMD) est un réseau cérébral qui s’active lorsque le cerveau d’une personne est au repos et n’effectue aucune tâche précise. Le RMD s’active donc lorsqu’une personne laisse libre cours à ses pensées, ce qui permet le vagabondage mental, la rêverie, l’évocation de souvenirs ou l’élaboration de plans pour le futur. Des études ont observé une activation accrue du RMD et des connexions altérées dans différentes régions du cerveau, dont les réseaux d’attention dorsal et ventral, lors du visionnement de vidéos sur TikTok et après la lecture de microblogues sur les médias sociaux. Le réseau d’attention dorsal est impliqué dans l’orientation délibérée de l’attention, son maintien dans le temps et la capacité à traiter plusieurs informations, tandis que le réseau d’attention ventral est impliqué dans la réaction à la nouveauté et aux informations marquantes et à la capacité à résister à l’interférence et à contrôler la distractibilité. Le RMD pourrait donc être activé lorsque l’usager fait défiler passivement et distraitement du contenu sur les médias sociaux, ce qui pourrait prolonger la durée d’utilisation (Su et al., 2021a; Su et al., 2021b).
Les effets psychologiques
Des effets néfastes sur le bien-être, l’estime de soi, l’humeur et l’anxiété ont été associés à l’usage problématique des médias sociaux (Keles, McCrae et Grealish, 2020; Marino, Gini, Vieno et Spada, 2017). L’usage de Facebook pourrait être lié à des symptômes dépressifs lorsque la personne ressent de l’envie devant le contenu publié par les autres, par exemple lorsqu’elle surveille les publications des autres pour se comparer et se dévaloriser. De plus, les utilisateurs qui passent plus de temps sur les médias sociaux seraient plus enclins à ressentir de l’envie en étant exposés aux publications des autres (Tandoc, Ferrucci et Duffy, 2015).
Les adolescents ayant une haute estime d’eux-mêmes seraient moins affectés par les commentaires sur les médias sociaux et feraient plus souvent un usage orienté vers eux-mêmes (p. ex. faire des publications). Ceux qui feraient un usage orienté vers l’autre (p. ex. aimer ou commenter les publications des autres) présenteraient des niveaux d’estime d’eux-mêmes plus faibles et auraient tendance à craindre que leurs croyances négatives envers eux-mêmes soient confirmées s’ils publient ou à se sentir rejetés en l’absence de rétroactions comme des clics « J’aime » (Martinez-Pecino et Garcia-Gavilan, 2019).
Les analyses transversales d’une étude menée sur une période de 8 ans auprès de 500 adolescents ont montré que le temps passé à utiliser les médias sociaux était modérément lié à l’anxiété et à la dépression. Toutefois, les analyses longitudinales ont montré qu’un adolescent qui utilisait davantage les médias sociaux que la moyenne des jeunes de son âge ne présentait pas plus de symptômes d’anxiété ou de dépression au début de l’âge adulte. De la même façon, la réduction du temps d’utilisation des médias sociaux n’était pas associée à une réduction des symptômes d’anxiété et de dépression. En somme, l’étude a pu mettre en relief que le temps passé en ligne sur les médias sociaux n’est pas le seul facteur à considérer, et qu’il importe de prendre en compte d’autres variables, comme les prédispositions biologiques, la difficulté à gérer les impulsions, les traumas, les problèmes de sommeil, etc. (Coyne et al., 2019).
Toutefois, les résultats d’une étude longitudinale québécoise menée auprès d’adolescents sur une période de 4 ans suggèrent pour leur part qu’un plus grand usage des médias sociaux serait lié à des symptômes d’anxiété et de dépression ainsi qu’à des difficultés sur le plan de l’estime de soi. L’exposition répétée à certains contenus, comme des images idéalisées ou des publications véhiculant des messages négatifs, pourrait contribuer à diminuer le niveau d’estime de soi ainsi qu’à déclencher et renforcer les symptômes dépressifs (Boers et al., 2019).
L’usage des médias sociaux peut également comporter des effets positifs. Wang et Edwards (2016) ont conclu que l’exposition aux médias sociaux peut être positive et constructive chez les jeunes, notamment parce que ceux-ci ont la possibilité de gérer plusieurs types de relations simultanément et ce, dans différents espaces créés par ces outils.
Weinstein (2018) a présenté les aspects positifs et négatifs des médias sociaux sous la forme d’un balancier pour mettre en relief certains paradoxes liés à leur usage (voir figure 1). Par exemple, les médias sociaux peuvent créer à la fois un sentiment de proximité dans les relations interpersonnelles et un sentiment de déconnexion et d’isolement. Sur le plan de l’expression de soi, ils peuvent faciliter l’affirmation, mais aussi générer des inquiétudes par rapport au jugement des autres. Les médias sociaux permettent de rechercher de l’information et d’explorer ses intérêts, ce qui peut être une source d’inspiration. Toutefois, ils peuvent entrainer de la détresse lorsque l’usager est exposé à du contenu négatif. Cette conception permet donc de nuancer l’expérience liée à l’usage des médias sociaux. L’absence d’éléments négatifs ne signifie pas forcément que l’expérience des médias sociaux est positive ou inoffensive, tout comme la présence d’éléments négatifs ne veut pas dire que l’usage est forcément nocif. Les expériences peuvent être plus ou moins négatives en fonction des dimensions. La fréquence des interactions sur les médias sociaux et la durée de leur effet peuvent conduire à des conséquences différentes sur le bien-être affectif. Le bien-être affectif sera plus grand si les expériences sont associées fréquemment à des émotions positives et peu fréquemment à des émotions négatives. Le bien-être affectif dépendra aussi de la manière dont les usagers vont gérer leurs expériences.
Quelques pistes pour aider les personnes présentant un usage problématique des médias sociaux à développer un usage responsable
Les psychologues et les intervenants en santé mentale ont le défi de s’adapter à la réalité des nouvelles technologies pour outiller adéquatement leur clientèle afin qu’elle développe un usage responsable. L’usage responsable des technologies passe par l’établissement d’un équilibre et implique une utilisation modérée. Plusieurs stratégies peuvent être mises en place pour y parvenir (Sergerie, 2020). Mettre des alarmes pour limiter son temps d’utilisation permet de prendre conscience du temps passé en ligne. Se mettre au défi de ne pas utiliser les médias sociaux durant une période donnée peut être un exercice intéressant pour en apprendre davantage sur son usage et développer de nouvelles habitudes (p. ex. durant les jours de congé ou de vacances). En prenant une pause, il est possible d’observer s’il y a des changements au chapitre de l’humeur ou des émotions (déprime, irritabilité, colère, etc.). Apprendre à diversifier ses activités afin de mieux répondre à ses besoins est aussi conseillé. Trouver plusieurs activités pour se divertir, se distraire, se détendre ou se désennuyer réduit le risque que l’usage des technologies ne comble tous ses besoins (p. ex. des activités physiques, plaisantes, gratifiantes, artistiques, créatives, sociales, etc.). L’activité physique est importante à intégrer, car plus elle est présente, plus les liens entre les symptômes dépressifs et la dépendance aux médias sociaux seraient faibles (Brailovskaia et Margraf, 2020). Les appareils permettent de configurer différents modes pour éviter d’être dérangé par des notifications (p. ex. durant le sommeil, le travail ou l’étude). En réduisant les distractions, il est plus facile de rester concentré sur les tâches et les priorités et ainsi de réduire le risque d’effets nuisibles.
Pour les professionnels en santé mentale, l’évaluation de l’usage des technologies est primordiale (p. ex. le temps d’utilisation, les applications utilisées, les habitudes liées à l’usage, comme les lieux ou les situations, etc.). On peut combiner cette évaluation à des auto-observations effectuées par l’usager pour déterminer la fonction et les besoins comblés par l’usage (des modèles de fiches sont disponibles sur cyberdependance.ca; Sergerie, 2020). Bien entendu, il faut évaluer les difficultés liées à l’anxiété, à l’humeur, à l’estime de soi ou à d’autres troubles psychologiques afin d’avoir un portrait complet de la situation et de mettre en place des stratégies ciblées.
La sensibilisation et la prévention auprès des parents et des enfants sont essentielles dans le développement de saines habitudes liées aux technologies, car les enfants peuvent y être exposés à un très jeune âge. Il convient donc d’être informé des recommandations quant au type de contenu et à la durée d’exposition aux écrans pour les enfants et les adolescents (p. ex. exposition à du contenu à vocation éducative en présence du parent, maximum de 1 heure de temps d’écran par jour pour les 2 à 5 ans et maximum de 2 heures par jour pour les 6 ans et plus [Gouvernement du Québec, 2023]). La communication entre parents et enfants ainsi que l’établissement de règles et d’un cadre clairs dès que les enfants sont exposés aux technologies sont des ingrédients clés.
En somme, les technologies et les médias sociaux font partie intégrante de nos vies. Ils ne sont pas en tous points nuisibles et ils comportent plusieurs avantages. Afin de favoriser une meilleure santé mentale et de réduire les effets néfastes, il importe donc de s’interroger et de mieux comprendre l’usage des médias sociaux pour ainsi trouver un équilibre et apprendre à les utiliser de façon responsable, en cohérence avec nos besoins.
Références
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