Introduction au dossier
Dre Séverine Hervouet, psychologue | Experte invitée
Psychologue de la santé passionnée, elle accompagne une clientèle aux prises avec différentes problématiques de santé physique depuis plus de 20 ans. Cofondatrice de la Clinique Psychologie Santé à Québec, une clinique spécialisée en psychologie médicale et de la santé, elle a oeuvré en psycho-oncologie dans différents centres hospitaliers de la province. Parallèlement à sa pratique clinique, elle est également chargée d’enseignement et superviseure clinique auprès d’étudiants inscrits au doctorat à l’École de psychologie de l’Université Laval. Elle agit régulièrement comme formatrice et conférencière pour les professionnels de la santé, auprès des médecins et du grand public.
Grâce aux progrès de la médecine, l’espérance de vie augmente dans de nombreux pays. À l'échelle internationale, le Québec compte parmi les endroits où la durée de la vie est la plus élevée, avec une moyenne de 83 ans (Institut de la statistique du Québec, 2021). Néanmoins, ce résultat ne doit pas faire oublier que de nombreuses personnes sont atteintes de conditions médicales chroniques et que celles-ci ont des répercussions considérables sur la santé mentale des individus.
Au Canada, parmi les adultes de plus de 20 ans, un sur deux présente au moins une affection médicale chronique (Agence de la santé publique du Canada, 2016). La présence de conditions médicales chroniques peut aussi se présenter à l’aube de la vie, chez des enfants et des adolescents qui auront à composer avec des conditions congénitales innées ou encore acquises, comme l’asthme ou l’arthrite.
La chronicité d’une condition médicale renvoie à la persistance dans le temps de ses manifestations non seulement sur le plan physique, mais aussi sur les plans fonctionnel, psychologique et relationnel. La personne qui en est affectée aura plusieurs défis à relever, de l’annonce du diagnostic au parcours de soins, qui s’étire souvent sur des années, en passant par l’adaptation saine à une vie différente (Trahan et Hervouet, 2014). Vivre avec une condition médicale chronique peut impliquer des renoncements et des bouleversements touchant l’identité ou les rôles, une atteinte à l’intégrité, et des remaniements relationnels qui exigent des changements et beaucoup d’adaptation (laquelle est parfois aisée, parfois plus ardue). Le bien-être psychologique étant associé à une meilleure santé physique (Pressman, Jenkins et Moskowitz, 2019), le psychologue peut y contribuer en offrant un point d’appui appelé « tuteur de développement » (Cyrulnik, 2002).
C’est dans ce contexte que se révèle toute la pertinence des interventions en psychologie qui dépassent la santé mentale et intègrent aussi la santé physique, afin de favoriser l’adaptation de la personne à toutes les étapes de la trajectoire d’une maladie chronique. Les psychologues de tous horizons auront tôt ou tard à composer en séance avec des enjeux psychologiques qui sont associés, en toile de fond, à des conditions médicales chroniques, et ce, même si ces dernières ne figuraient pas dans le motif de consultation initial.
Les différentes facettes psychologiques associées aux conditions médicales chroniques
Ce dossier thématique illustre la diversité des répercussions émotionnelles associées à différentes affections médicales chroniques et présente des pistes d’intervention adaptées pouvant outiller le psychologue soucieux d’accompagner certaines clientèles particulières.
Dès l’enfance, la douleur persistante peut survenir et devenir un handicap sévère pour la personne qui en souffre. Une gestion multidisciplinaire selon une approche biopsychosociale apparaît nécessaire, ce dont la Dre Stéphanie Léon, neuropsychologue, nous fait part dans son texte portant sur « La prise en charge psychologique de la douleur chronique chez l’enfant ». Elle enrichit notre compréhension de cet enjeu en traitant d’une intervention qui préconise une approche globale incluant des éléments spécifiques de la thérapie cognitive-comportementale. Aider les enfants à revoir leur perception de la douleur et à reprendre des activités délaissées en raison de la peur d’avoir mal sera favorable à leur adaptation, et optimisera leur développement et leur fonctionnement général.
Poursuivons avec l’adolescence, qui est une période charnière dans la construction identitaire. Un adolescent aux prises avec une condition médicale chronique navigue déjà entre les questionnements identitaires spécifiques à cette période de la vie, mais aura également à composer avec les répercussions que la maladie peut avoir sur sa perception de lui-même. Dans leur texte, « Défis identitaires chez les adolescents atteints d’une condition médicale chronique : considérations cliniques », les Dres Tziona Lugasi et Amélie Benoit, toutes deux psychologues cliniciennes, nous présentent avec finesse les dimensions identitaires de la maladie permettant d’illustrer le degré d’intégration et d’adaptation de la condition médicale chez un adolescent en pleine période exploratoire. Les autrices proposent des considérations cliniques claires permettant de favoriser et de soutenir la réflexion et le dialogue touchant les enjeux identitaires liés à une condition médicale.
Ce concept d’intégration de l’expérience de la maladie figure parmi les thèmes universels en psycho-oncologie. Dans leur texte « Au-delà de la rémission : accompagner les patients ayant un historique de cancer », la Dre Dominique Girard, psychologue, et ses collègues nous sensibilisent aux répercussions d'un corps blessé par le parcours de soins en oncologie. Sont abordés entre autres les concepts de vulnérabilité, de sens donné à l’expérience, de réintégration d’un nouveau corps et de tolérance à l’incertitude. Ce dernier point amené par les auteurs suscite une réflexion fort intéressante sur les précautions à adopter face à cette incertitude quant à la santé, qui peut faire vivre un sentiment d’impuissance à l’intervenant.
Le rapport au corps est discuté sous un angle différent par la Dre Caroline Ouellet, psychologue, et sa collègue Liz Ferland, technologue en physiothérapie, dans leur article intitulé « Intervenir en douleur chronique auprès des professionnels des services d’urgence ». En effet, elles nous invitent à prendre conscience de l’exigence pour les professionnels des services d’urgence de maintenir une condition physique optimale, ce qui s’accompagne d’un risque élevé de blessures et donc de douleur potentielle et de troubles psychologiques, dont le stress post-traumatique. Les compétences attendues des psychologues dans le traitement de ces problématiques sont explicitées avec une attention portée aux défis liés à la stigmatisation de la vulnérabilité, couramment observée dans cette population.
La gestion efficace des maladies chroniques implique souvent une approche multidisciplinaire, combinant des traitements médicaux, des modifications du mode de vie, un suivi régulier par des professionnels de la santé, et parfois un suivi psychologique. Notre formation et notre rôle en tant que psychologues nous offrent la possibilité de soutenir la reconstruction de la personne malade et de l’accompagner dans les mouvements de sa vie malgré les changements de cap imposés par une santé fragilisée.
Pour aller plus loin, le livre Mieux vivre avec une maladie chronique – Faire face au choc, trouver l’apaisement et se reconstruire, de la psychologue Marie de Bonnières, est un ouvrage bien vulgarisé qui pourra épauler autant le clinicien que les personnes directement concernées.
Je terminerai sur une note personnelle : évoluant comme clinicienne dans le domaine de la psychologie médicale et de la santé depuis plusieurs années, je suis toujours agréablement surprise de voir la capacité de l’être humain à s’ajuster face à l’adversité. Ce constat insuffle l’espoir : s’adapter est possible, parfois même face à ce qui paraît insurmontable.
Bibliographie
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