La thérapie cognitivo-comportementale axée sur le trauma chez les jeunes ayant vécu des agressions sexuelles
Dre Isabelle Denis, psychologue
Professeure à l’École de psychologie de l’Université Laval, elle s’intéresse à l’intervention auprès des jeunes et des familles.
Lydia Gamache
Candidate au doctorat en psychologie (recherche et intervention) de l’Université Laval, elle s’intéresse à l’intervention auprès d’adultes et de jeunes victimes d’agressions sexuelles.
La prévalence des agressions sexuelles dans le monde indique qu’une fille sur cinq et un garçon sur dix en auraient subi une avant l’âge de 18 ans (Pereda et al., 2009). Au Québec, cette prévalence s’élèverait à 16 % chez les jeunes (filles et garçons) (Cotter et Savage, 2019). Les conséquences des agressions sexuelles sont nombreuses, autant chez les jeunes, chez qui elles peuvent causer par exemple l’anxiété, la dépression ou l’isolement social, ou encore mener à l’apparition de symptômes post-traumatiques, de comportements extériorisés ou de comportements sexuels à risque (Ali et al., 2024; Hailes et al., 2019), que chez leurs parents, à qui elles peuvent faire vivre de l’inquiétude, un sentiment de perte de contrôle, de l’hypervigilance ou de la colère (Davies et Bennett, 2021; Fong et al., 2020). En outre, le dévoilement de l’agression sexuelle représente une crise familiale importante.
À ce jour, la thérapie cognitive-comportementale axée sur le trauma (TCC-T) (Cohen et al., 2017) a fait l’objet d’études scientifiques qui ont montré son efficacité pour diminuer de façon significative, avec des tailles d’effets variant de petites à fortes, les symptômes anxieux et dépressifs (d = ,28-,89), les symptômes post-traumatiques (d = ,40-,94) et les comportements extériorisés (d = ,26-,83) chez les jeunes, ainsi que des comportements sexuels à risque ((d = ,22; Cohen et al., 2004; Hébert et Daignault, 2015; Cohen et al., 2017; King et al., 2000; Hébert et Amédée, 2020; McTavish et al., 2021). Cohen et ses collaborateurs (2004) ont également montré des diminutions significatives du sentiment de honte (d = ,46) et de culpabilité (d = ,19). Chez les parents non agresseurs, les études montrent des réductions significatives, avec des tailles d’effet variant de petites à fortes, de la détresse psychologique (d = ,52), des symptômes dépressifs (d = ,38) et post-traumatiques (d = 1,18), ainsi qu’une augmentation des compétences et du soutien offert par les parents (d = -,57-,46) (Cohen et al., 2004; Hébert et Daignault, 2015).
Description de la TCC-T
La TCC-T comporte habituellement de 12 à 20 rencontres individuelles avec le jeune, puis avec les parents. L’importance de l’implication parentale sera d’ailleurs discutée ultérieurement. La TCC-T se déroule généralement en trois phases : 1) la stabilisation et le développement de compétences, 2) le récit de l’agression sexuelle et l’intégration du traumatisme et 3) la consolidation des acquis et la conclusion de la thérapie. Comme l’illustre la figure 1, chacune des étapes comporte des stratégies de TCC regroupées sous l’acronyme « PRACTICE ». Bien que toutes les stratégies soient importantes, certaines apparaissent essentielles à discuter; elles sont présentées dans les lignes qui suivent.
L’éducation psychologique joue un rôle primordial dans la TCC-T. Son but premier est de communiquer des informations quant aux réponses psychologiques et physiologiques que les jeunes vivent typiquement à la suite d’une agression sexuelle. Ensuite, il convient de normaliser ces réponses et les réactions des parents. L’éducation psychologique permet également de susciter l’espoir et d’amener le jeune à penser qu’il pourra éventuellement aller mieux et retrouver une vie plus normale. Bien qu’elle soit présentée au début de l’acronyme PRACTICE, elle est utilisée tout au long de l’intervention (par exemple pour expliquer le côté rationnel des stratégies).
Une autre stratégie importante est la restructuration cognitive, qui permet de cibler les croyances erronées comme le fait de se sentir responsable de ne pas avoir pu ou su éviter l’agression, ainsi que la culpabilité et la honte que les jeunes vivent généralement à la suite d’une agression sexuelle.
La narration du traumatisme est sans aucun doute une stratégie centrale dans la TCC-T. Elle consiste à décrire ce qui est arrivé avant, pendant et après l’agression sexuelle, ainsi que les pensées et les émotions vécues à ces moments. Elle peut se faire en parlant avec le thérapeute ou en écrivant (par exemple une histoire, peut-être sous la forme d’une bande dessinée, ou encore un poème), et elle doit se faire graduellement. Le but de la narration du traumatisme est de désensibiliser le jeune aux rappels du traumatisme, mais également, pour le thérapeute, de mieux comprendre les émotions et les pensées qui découlent des gestes vécus. Ce processus, qui se déroule sur plusieurs rencontres, est aussi l’occasion pour le thérapeute de valider le vécu du jeune, de lui offrir son soutien et des encouragements, et ce, tout en lui posant des questions pour mieux comprendre ou pour détailler graduellement le récit. Il est important que le côté rationnel et la pertinence de cette stratégie soient bien expliqués afin d’obtenir la collaboration du jeune et de son parent, puisqu’il s’agit d’une étape du traitement fort difficile, autant psychologiquement que physiquement. Tout comme les questions à formuler, un défi non négligeable pour le thérapeute est de bien se calibrer afin que l’exposition soit graduelle et se déroule au rythme du jeune.
Enfin, la dernière stratégie de l’acronyme PRACTICE concerne le renforcement de la sécurité et d’un développement favorable. Cruciale, elle vise entre autres à limiter les risques de revictimisation. En effet, les événements vécus ainsi que les nombreuses conséquences peuvent faire en sorte que le jeune se retrouve dans des situations qui le placent à risque d’une nouvelle agression (Pittenger et al., 2019). Il est alors important qu’il puisse les reconnaître et qu’un plan de sécurité soit établi. Il demeure essentiel de surveiller le jeune tout au long de l’intervention pour lui éviter de se retrouver dans des situations risquées. Dans tout ce processus, il importe d’éviter de renforcer le sentiment de culpabilité par rapport à l’agression sexuelle (par exemple: « j’aurais dû faire ceci ou cela pour me protéger »).
Les stratégies de TCC-T sont présentées dans un ordre spécifique afin de permettre d’introduire graduellement des rappels du traumatisme. Toutefois, l’ordre peut être modifié selon les besoins du jeune et de sa famille. Néanmoins, certaines stratégies comme la narration du traumatisme ou l’exposition graduée in vivo ne devraient probablement pas être appliquées en début de thérapie, puisqu’elles nécessitent une relation de confiance bien établie, ainsi que des acquis préalables pouvant aider le jeune à mieux y faire face (par exemple l’apprentissage de la relaxation lorsque l’exposition est trop difficile).
Importance de l’implication des parents non agresseurs
L’implication des parents dans la TCC-T est très importante pour soutenir la relation parent-enfant. En effet, des rencontres peuvent se dérouler conjointement avec les parents afin de pratiquer les stratégies vues en rencontres individuelles avec l’enfant et, vers la fin de la thérapie, pour offrir des occasions de communication bienveillante à propos du traumatisme. Selon les besoins, les parents peuvent être rencontrés seuls afin de travailler certaines habiletés parentales (par exemple le renforcement positif, la gestion des comportements, le maintien des routines) ou de discuter des défis qu’ils rencontrent avec le jeune et pour eux-mêmes. Ce travail est d’autant plus important si les difficultés rencontrées par les parents nuisent au travail effectué avec le jeune. Il importe que les parents offrent, le plus possible, un environnement familial stable et prévisible pour aider le jeune face à ce très grand stress.
Éléments cruciaux à considérer pour le succès de la TCC-T
Le succès d’une TCC-T dépend notamment de la relation thérapeutique établie avec le jeune, ce qui représente souvent un défi en raison de la nature interpersonnelle et intime de l’agression sexuelle. La formation du thérapeute et le jugement clinique sont également deux éléments essentiels pour permettre le succès de la thérapie, étant donné la complexité de la clientèle. Un autre aspect non négligeable est l’évaluation initiale et continue. En effet, plusieurs aspects reliés à l’agression sexuelle (par exemple la nature de l’agression, le lien avec l’agresseur, le nombre d’abus subis et le nombre d’agresseurs) ainsi qu’au contexte de dévoilement (par exemple s’il est forcé ou volontaire) et à la réaction au dévoilement (validante ou invalidante) sont des éléments à connaître pour mener une bonne intervention. Il faut garder en tête que le thérapeute n’aura peut-être pas accès à toutes ces informations lors de l’évaluation initiale étant donné que le jeune ne sera pas nécessairement prêt à tout divulguer, d’où l’importance de l’évaluation continue.
Figure 1 – Les phases de la TCC-F
Psychoeducation and parenting skills – Éducation psychologique et entraînement aux habiletés parentales
Relaxation – Relaxation
Affective modulation – Modulation affective
Cognitive coping – Restructuration cognitive
Phase 2 : Trauma narration and processing – Narration et intégration du traumatisme
Phase 3 : Consolidation and closure – Consolidation des acquis et conclusion de la thérapie
In vivo mastery of trauma reminders – Exposition graduée in vivo
Conjoint child-parent sessions – Séances conjointes parent-enfant
Enhancing future safety and development – Renforcement de la sécurité et d’un développement favorable
Bibliographie
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