Le droit d’utiliser le terme diagnostic pour les psychologues et les neuropsychologues au Québec
Dre Salima Mamodhoussen, psychologue | Directrice de la qualité et du développement de la pratique – smamodhoussen@ordrepsy.qc.ca
En collaboration avec Stéphane Beaulieu, psychologue et secrétaire général, Me Édith Lorquet, directrice des services juridiques, et Dre Isabelle Montour-Proulx, psychologue et responsable de l'inspection professionnelle
L’entrée en vigueur du projet de loi 67 (PL-67), intitulé Loi modifiant le Code des professions pour la modernisation du système professionnel et visant l’élargissement de certaines pratiques professionnelles dans le domaine de la santé et des services sociaux, marque un tournant décisif pour la profession de psychologue et représente une avancée majeure pour l’accès aux services en santé mentale au Québec. Cette chronique vise, premièrement, à faire le point quant aux changements législatifs apportés par le PL-67 et sur les travaux à venir à la suite de son entrée en vigueur. Nous reviendrons également sur certaines notions associées à l’évaluation initiale, à l’évaluation du fonctionnement psychologique et mental ainsi qu’au diagnostic.
Un résumé des enjeux liés au PL-67 pour les psychologues et la population
Depuis longtemps, les psychologues et les neuropsychologues jouent un rôle central dans l’évaluation des troubles mentaux et des troubles neuropsychologiques, que ce soit dans le réseau de la santé, en milieu scolaire ou en pratique privée. Cependant, jusqu’à présent, leurs conclusions issues de ces évaluations ne pouvaient être officiellement qualifiées de « diagnostic » selon la loi. Afin de dissiper la confusion sémantique entourant les activités réservées aux psychologues, l’article 3 du PL-67 vient modifier l’article 37.1 du Code des professions, soit « évaluer les troubles mentaux, qui incluent le retard mental, et évaluer les troubles neuropsychologiques », en remplaçant le terme évaluer par diagnostiquer et le terme retard mental par déficience intellectuelle. Concrètement, le Code des professions ainsi modifié vient clarifier que les psychologues peuvent diagnostiquer les troubles mentaux, la déficience intellectuelle et les troubles neuropsychologiques, sous réserve, dans ce dernier cas, de détenir une attestation de formation.
Cette confusion sémantique n’a pas été sans conséquences au fil des ans, tant pour le public que pour les décideurs, les employeurs, les assureurs, les tribunaux, les ministères et organismes, et même les professionnels. Elle a nui à la reconnaissance des conclusions cliniques du psychologue, compliquant ainsi l’accès aux services, à l’aide financière ou à des exemptions fiscales. Actuellement, la législation, la réglementation et les directives exigent souvent que les gens fournissent un certificat médical pour bénéficier de services, alors que l’évaluation et l’identification des troubles sont fréquemment réalisées par des professionnels compétents et habilités en amont. Par exemple, une personne présentant un trouble de stress post-traumatique sévère évalué par un psychologue doit obtenir une confirmation de son diagnostic par un médecin pour que sa demande de reconnaissance d’une contrainte à l’emploi soit prise en compte. Ce double processus entraîne non seulement des difficultés d’accès aux soins, mais également des délais supplémentaires pour la population et des coûts supplémentaires pour la société.
L’entrée en vigueur du PL-67 est un premier pas important et envoie un message clair aux décideurs et législateurs. D’autres étapes sont toutefois à venir, et elles nécessiteront une révision du corpus législatif et réglementaire, qui impose parfois encore un diagnostic établi uniquement par un médecin. Ainsi, bien que le PL-67 reconnaisse désormais le diagnostic posé par le psychologue, il sera par exemple nécessaire de modifier les formulaires des différents organismes de façon qu’on n’y exige plus que le diagnostic provienne exclusivement d’un médecin; il pourra plutôt provenir de tout professionnel en santé habilité à établir un tel diagnostic. Une fois cela réalisé, nous pourrons mesurer pleinement l’impact positif du PL-67.
Cette réforme permettra de désengorger les cabinets des médecins de famille, dans la mesure où 18 % des consultations médicales dans la population générale sont liées à des problèmes de santé mentale (Collège des médecins, 2022) et que ces patients ne nécessitent pas toujours une pharmacothérapie. Dans les cas où une ordonnance serait nécessaire, d’autres professionnels habilités pourraient soutenir le travail des psychologues en prescrivant la médication requise. Le PL-67 pourra également améliorer les parcours de soins en valorisant les expertises des différents professionnels, permettant ainsi de désengorger l’accès à certains médecins spécialistes, notamment en psychiatrie. Pour la population québécoise, cette réforme facilitera l’accès aux programmes de soins spécialisés, vers lesquels le psychologue pourrait diriger directement les clients, ainsi qu’aux accommodements liés au travail, aux arrêts de travail et aux aides financières, rendant ainsi les ressources plus accessibles (Ordre des psychologues du Québec, 2024).
La pratique des psychologues
En date de la mi-novembre 2024, l’OPQ compte 9 504 membres, dont 8 439 sont des psychologues actifs au Québec (psychologues retraités et hors Québec exclus). En tout, 5 730 psychologues évaluent les troubles mentaux, les troubles neuropsychologiques et la déficience intellectuelle. Ce sont ainsi 68 % qui offrent des services diagnostiques.
L’évaluation initiale, l’évaluation du fonctionnement psychologique et mental et l’évaluation à des fins diagnostiques
Plusieurs types d’évaluation psychologique existent, variant selon les interventions ou le secteur de pratique du psychologue. Quelle que soit la nature de l’évaluation menée, celle-ci repose avant tout sur un dialogue entre le client et le psychologue, mais peut requérir des outils psychométriques. L’exploration des besoins, de la réalité personnelle et des difficultés rencontrées nécessite une écoute empathique et la création d’une alliance thérapeutique solide. Elle exige également une considération attentive des caractéristiques individuelles, sociales et culturelles des personnes, qu’il s’agisse d’évaluations auprès d’un individu, d’un couple, d’une famille ou d’une organisation. De plus, comme le souligne le guide explicatif du PL-21, les psychologues sont souvent amenés à collaborer de manière complémentaire dans l’intérêt de leurs clients. En effet, les bonnes pratiques mettent en lumière l’importance de la collaboration interdisciplinaire et multidisciplinaire, un seul professionnel ne disposant pas toujours de toutes les compétences nécessaires pour répondre aux besoins complexes de la clientèle.
La présente section explique les différences entre trois types d’évaluation dont certains éléments peuvent être confondus avec l’évaluation à des fins diagnostiques.
L’évaluation initiale réfère à toute forme d’évaluation qu’un professionnel juge nécessaire d’effectuer avant d’offrir des services, son objectif principal étant de cerner la situation du client et le motif de sa consultation. L’évaluation initiale se fait également dans d’autres contextes que celui de la clinique, par exemple pour comprendre les besoins, la demande et l’approche requise en psychologie du travail et des organisations. L’évaluation initiale, quel que soit le contexte, ne vise pas à établir un diagnostic au sens du Code des professions.
Lorsqu’il s’agit de l’exercice de la psychothérapie, le Code des professions a introduit la notion d’évaluation initiale rigoureuse, que définit le guide explicatif du PL-21 afin d’assurer une certaine cohérence entre les différents professionnels habilités à exercer la psychothérapie. Dans ce contexte, cette évaluation initiale vise à déterminer la pertinence d’entreprendre une psychothérapie. Elle guide alors le psychologue dans sa décision d’initier et de poursuivre le processus psychothérapeutique, en tenant compte de ses connaissances et compétences pour traiter le trouble ou le problème particulier du client. Le guide explicatif du PL-21 spécifie que l’évaluation initiale rigoureuse tient compte notamment des éléments suivants : la demande formulée par la personne et son histoire thérapeutique; les facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et culturels de la personne; l’utilisation et l’interprétation de différents tests, questionnaires et techniques, le cas échéant; les ressources et les forces du client; l’existence d’un diagnostic, notamment d’un trouble mental, et d’un traitement actuel ou antérieur. Les résultats de cette évaluation influencent le choix de l’approche psychothérapeutique ainsi que les tests et techniques associés, mais peuvent également amener le psychologue à déterminer que la psychothérapie n’est pas indiquée et que d’autres services seraient plus appropriés (ex. : des rencontres d’éducation psychologique ou une référence à un autre type de professionnel). Les objectifs sous-jacents à cette évaluation font qu’elle se distingue de l’évaluation du fonctionnement psychologique et mental, ainsi que du diagnostic des troubles mentaux, de la déficience intellectuelle et des troubles neuropsychologiques.
En raison du terme rigoureuse, certains psychologues ont parfois eu l’impression que cette évaluation initiale devait être longue et très détaillée, ce qui n’est pas le cas. Le mot rigoureuse réfère ici à la qualité de l’évaluation initiale et non à sa longueur. Cette évaluation n’exige pas nécessairement la production d’un rapport d’évaluation, les conclusions pouvant être indiquées sous forme de note au dossier.
L’évaluation du fonctionnement psychologique et mental fait partie intégrante du champ d’exercice des psychologues. Elle vise à analyser divers aspects de la personne évaluée, notamment ses affects, ses cognitions, sa personnalité, ses défenses, ses motivations et se ressources. Cette évaluation intègre des entretiens cliniques, des observations comportementales et une analyse des antécédents, permettant ainsi de réaliser un portrait global du fonctionnement psychologique et mental du client. L’objectif de cette évaluation est de comprendre la réalité psychique d’un individu, par exemple pour formuler un plan d’intervention et des recommandations individualisées ou pour éclairer une impasse ou un plateau thérapeutique. Les tests psychologiques, tels que les échelles d’évaluation standardisées, peuvent jouer un rôle important dans cette démarche. Ils permettent de quantifier des aspects tels que l’anxiété, la dépression et d’autres symptômes psychologiques, et de comparer le profil de l’individu à celui de groupes dans la communauté ou de groupes cliniques, fournissant ainsi des données précieuses pour une compréhension nuancée de la situation. D’autres tests peuvent permettre, par exemple, de mieux comprendre les éléments de la personnalité qui teintent le fonctionnement de la personne et son cheminement à travers son parcours de soins. Cette évaluation ne repose pas nécessairement sur un cadre prédéterminé. La démarche peut varier, être plus ou moins exhaustive, et elle peut s’étaler sur un échéancier flexible. Bien qu’elle puisse permettre de documenter la présence d’un trouble mental, cette évaluation n’a pas pour visée première de conclure à un diagnostic. Elle permet également d’identifier de multiples facteurs associés aux difficultés rencontrées par la personne.
Le diagnostic
Le diagnostic des troubles mentaux a pour objectif d’établir des conclusions sur la nature et la présence ou non d’un trouble mental ou d’autres troubles, en utilisant notamment une démarche nosologique s’appuyant sur des nomenclatures reconnues telles que le DSM-5TR et la CIM-11 – quoique le DSM-5TR soit la nomenclature la plus utilisée au Québec. Cela permet d’assurer une compréhension commune des conclusions entre les intervenants. Cette démarche vise non seulement à formuler un diagnostic en ayant pris soin d’examiner les comorbidités potentielles, mais également à écarter d’autres troubles potentiels par le biais du diagnostic différentiel. Elle nécessite une expertise ainsi qu’une compréhension des subtilités des différents troubles mentaux. Dans le cadre de cette démarche, le psychologue peut utiliser des tests psychologiques et des outils diagnostiques tels que des entrevues semi-structurées. Par ailleurs, le diagnostic s’élabore dans un cadre collaboratif entre le psychologue et le client, où les expériences et les perceptions de ce dernier jouent un rôle central dans la compréhension des symptômes (McFall, 1991) et du contexte dans lequel ceux-ci se manifestent. L’écoute de l’autre, de sa souffrance, de son besoin est essentielle, le diagnostic des troubles mentaux se voulant empreint d’humanité. Il est important de reconnaître, cependant, que l’établissement d’un diagnostic peut ne pas suffire pour élaborer un plan de services complet. Les conclusions diagnostiques doivent être documentées dans le dossier ou dans un rapport.
Il est possible que le psychologue soit en mesure d’identifier un trouble et de poser un diagnostic après une seule séance auprès de son client. Il est tout aussi possible, cependant, qu’un psychologue n’ait pas toute l’information nécessaire pour conclure de manière définitive, par exemple lorsqu’il doit écarter la présence de conditions médicales ou de problèmes psychosociaux ou environnementaux. Le diagnostic émis peut donc être provisoire. En effet, il est parfois important de conclure, même de façon temporaire, afin de pouvoir rapidement offrir des services que requiert une personne et qui demeureront pertinents quelles que soient les conclusions finales (par exemple des services de soutien ou d’accompagnement) (Office des professions, 2021). Il est entendu qu’un diagnostic peut être révisé au fil du temps par le psychologue dans le cadre d’un suivi psychothérapeutique auprès de son client ou par un autre professionnel habilité dans un autre contexte. En effet, les individus ne s’inscrivent pas toujours parfaitement dans une catégorie diagnostique unique et leur situation peut évoluer au fil du temps, influencée par les interventions reçues et les événements de la vie. Ainsi, l’établissement du diagnostic est un processus dynamique, les conclusions pouvant évoluer avec le temps.
Le diagnostic des troubles neuropsychologiques consiste à poser un jugement clinique sur la nature des affections cliniquement significatives, caractérisées par des changements neurocomportementaux, de nature cognitive, émotionnelle et comportementale, reliés au dysfonctionnement des fonctions mentales supérieures en raison par exemple d’atteintes neurologiques développementales, acquises ou dégénératives, et à en communiquer les résultats.
Il repose sur l’administration et l’interprétation de tests psychométriques standardisés ainsi que sur l’observation systématique du comportement, dans une perspective intégrée et dynamique de la relation cerveau-comportement. L’objectif du diagnostic des troubles neuropsychologiques est d’établir un lien entre les affections cliniques et une altération (possible ou confirmée) des fonctions cérébrales, plus spécifiquement des fonctions mentales supérieures ou cognitives (Office des professions, 2021). Ceci est à distinguer du diagnostic des troubles mentaux, qui vise à établir la présence et la nature d’une affection clinique se caractérisant par un ensemble de symptômes, de manifestations cliniques ou de difficultés, sans toutefois viser à établir un lien entre l’affection clinique et une altération possible des fonctions cérébrales ou des fonctions mentales supérieures.
Ainsi, conclure à la présence d’un trouble d’apprentissage chez un enfant, par exemple, ne constitue pas nécessairement un diagnostic neuropsychologique, sauf si l’évaluation cherche à établir un lien entre les manifestations comportementales, émotionnelles ou cognitives, d’une part, et le cerveau ou l’une de ses fonctions, d’autre part.
Le respect de la pratique des psychologues
À la suite de l’adoption du PL-67, il est important de rappeler que, fondamentalement, nos pratiques professionnelles demeurent inchangées : c’est uniquement la fin d’une confusion sémantique et la reconnaissance formelle des conclusions diagnostiques des psychologues qui sont maintenant confirmées dans la loi. Dans ce contexte, le PL-67 n’oblige pas un psychologue à exercer cette activité réservée s’il ne le souhaite pas.
Parfaire ses connaissances et ses compétences en évaluation
L’adoption du PL-67 représente un tournant majeur dans le domaine de la psychologie au Québec et pourrait bien être le catalyseur d’une transformation positive et durable de la santé mentale dans la province.
Ainsi, dans les années à venir, les psychologues pourraient être de plus en plus sollicités pour poser des diagnostics. Pour ceux qui souhaitent parfaire leurs connaissances, plusieurs cours et formations sont offerts, couvrant des thématiques telles que l’évaluation des troubles mentaux, le diagnostic différentiel et l’évaluation de troubles spécifiques. Nous vous invitons à consulter notre catalogue des activités de formation continue (FOS) pour en prendre connaissance.
La supervision et la consultation avec des professionnels expérimentés constituent également des outils précieux, tout comme les communautés de pratique et les groupes de codéveloppement, qui offrent des occasions supplémentaires de soutien et d’échange, favorisant ainsi le partage d’expertise et le développement des compétences.
Références
- Collège des médecins du Québec. (2022, 2 mai). Sondage du Collège des médecins du Québec. Actualités. https://www.cmq.org/fr/actualites/sondage-du-college-des-medecins-du-quebec
- Marleau, I. (2019, 18 septembre). L’évaluation des troubles mentaux. Ordre des psychologues du Québec. https://www.ordrepsy.qc.ca/-/evaluation-troubles-mentaux
- Office des professions du Québec. (2021). Guide explicatif - Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. Des compétences professionnelles partagées en santé mentale et en relations humaines : la personne au premier plan. https://www.opq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/Publications/Guides/2020-21_020_Guide-explicatif-sante-rh-28-04-2021.pdf
- Ordre des psychologues du Québec. (2024, septembre). Projet de loi no 67 : Loi modifiant le Code des professions pour la modernisation du système professionnel et visant l’élargissement de certaines pratiques professionnelles dans le domaine de la santé et des services sociaux. Mémoire déposé à la Commission des institutions. https://www.ordrepsy.qc.ca/c/document_library/get_file?uuid=40093ed4-3bcb-9675-d40c-40863bd20786&groupId=26707