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L’intérêt de l’hypnose auprès des patients en oncologie

Dre Pascale Vézina-Gagnon, psychologue
Psychologue clinicienne, elle travaille en oncologie au CHUM et en pratique privée. Elle enseigne aussi comme chargée de cours et superviseure à l’Université de Montréal.
 

Clarisse Defer, psychologue
Psychologue clinicienne et superviseure, elle travaille en oncologie à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Elle y anime des ateliers d’entraînement à l’autohypnose depuis 2011.


À ce jour, il est estimé que 45 % des Canadiens sont susceptibles de recevoir un diagnostic de cancer au cours de leur vie. Cette probabilité serait similaire chez les femmes (44 %) et chez les hommes (45 %) (Société canadienne du cancer, 2024). Ainsi, en 2023, au Québec, 67 548 personnes auraient reçu un diagnostic de cancer (ce qui représente 185 nouveaux cas par jour) et 22 500 personnes en seraient décédées (62 décès par jour), ce qui fait de cette maladie la première cause de mortalité dans notre province (Institut de la statistique du Québec, 2024 ; ministère de la Santé et des Services sociaux, 2024 ; Société canadienne du cancer, 2023).

Prévalence de la détresse psychologique

Face au diagnostic, aux différents traitements à suivre, à leurs effets secondaires et à toute l’incertitude liée à l’évolution de la maladie, il est bien reconnu que les patients en oncologie peuvent vivre une détresse psychologique significative. L’apparition du cancer les oblige à composer avec de nombreux changements qui s’imposent, que ce soit dans leur quotidien par l’arrêt de travail, au chapitre de leur identité (p. ex., statut de « malade », changements corporels, perte d’autonomie et de capacités) ou bien par rapport à l’idée de la finitude, à laquelle ils doivent faire face. Nous savons aujourd’hui grâce aux méta-analyses que, à un moment ou à un autre de leur parcours de soins, plus d’un tiers de ces patients souffriront d’un trouble de santé mentale (trouble d’adaptation, dépression, anxiété) (Mitchell et al., 2011 ; Krebber et al., 2014) requérant un soutien spécialisé. Par ailleurs, de 2 à 32 % des patients rapporteront des symptômes apparentés au trouble de stress post-traumatique en réponse à l’annonce d’une maladie potentiellement mortelle (Arnaboldi et al., 2017 ; Chan et al., 2018 ; Leano et al., 2019), et pour plus d’un tiers d’entre eux (34-37 %), ces symptômes perdureront ou s’accroîtront de quatre à cinq ans après le diagnostic (Smith et al., 2011 ; Chan et al., 2018).

Intérêt de l’hypnose en oncologie : arguments cliniques et scientifiques

Alors que le patient est atteint dans son corps et qu’il se trouve probablement à l’un des moments de sa vie où il est le plus vulnérable, les symptômes physiques qu’il présente et qui sont dus au cancer ou aux traitements reçus sont souvent fortement intriqués avec les symptômes psychologiques. Recourir à l’hypnose permettrait d’intervenir efficacement à la fois sur des symptômes psychologiques et sur des symptômes physiques. En effet, les recherches scientifiques ont révélé que l’hypnose serait une intervention efficace comme traitement adjuvant en oncologie : elle aurait permis de réduire significativement, comparativement aux groupes témoins (c'est-à-dire sans hypnose), tant l’anxiété et les symptômes dépressifs que des symptômes physiques tels que la douleur, la fatigue, les nausées et les bouffées de chaleur (Chen et al., 2017 ; Franch et al., 2023 ; Sine et al., 2022).

Cet outil polyvalent peut donc s’avérer pertinent à ajouter à notre éventail thérapeutique alors que la préoccupation première du patient est de guérir ou de contrôler la menace présente dans son corps et de traverser les traitements médicaux sans trop de complications (effets secondaires physiques et psychologiques des traitements, stress financier, impact sur les membres de la famille, etc.). Nous constatons que la phase des traitements où il y a urgence d’agir est parfois moins propice au travail d’élaboration psychique en profondeur, alors que nombre de patients nous arrivent tétanisés par la peur et focalisés sur la maladie, la douleur ou le futur, et ne sont pas nécessairement demandeurs de psychothérapie.

Histoire de cas et applications : Sylvia, 40 ans

C’est le cas de Sylvia (prénom fictif), 40 ans, que nous rencontrons alors qu’elle est encore sous le choc de l’annonce d’un cancer gynécologique et qu’elle doit commencer rapidement des traitements. Envahie par la peur de mourir et de laisser ses deux enfants, elle anticipe de façon catastrophique les effets secondaires potentiels. Aux prises avec une phobie des aiguilles préexistante à la suite d’une mauvaise expérience (réaction allergique lors d’un vaccin), elle se dit motivée à recevoir les traitements, mais terrorisée. Elle présente une perte d’appétit, ne dort plus, a des nausées et est très émotive, agitée et fatiguée.

Lors d’un état de transe hypnotique, alors que le système nerveux sympathique peut se calmer et le corps se détendre, et que l’attention n’est plus focalisée sur la menace de la maladie ou la douleur, les patients peuvent accéder plus facilement à leurs ressources internes, ce qui leur permet une meilleure régulation émotionnelle et une plus grande adaptation à la situation. Grâce aux suggestions faites dans une séance d’hypnose en préparation aux traitements (p. ex., visualisation d’un lieu de sécurité agréable), certaines sensations apaisantes, images ou pensées utiles ou inspirantes ont pu se présenter à Sylvia durant la transe, lui permettant de se défocaliser de ses peurs et de retrouver un certain contrôle sur son expérience.

Nous utiliserons à plusieurs reprises l’hypnose avec Sylvia durant son parcours de soins pour soulager ses nausées d’anticipation et les symptômes associés à la ménopause induite brusquement (p. ex., suggestion de sensation de fraîcheur et d’approfondissement de la détente pour soulager les nausées et les bouffées de chaleur et favoriser le sommeil). Puis, nous lui proposerons de l’utiliser comme technique de désensibilisation à un souvenir d’agression sexuelle ravivé par la procédure de curiethérapie, un mode de radiothérapie interne qui implique d’introduire la source de radiation dans la cavité du vagin et de l’y laisser quelques heures pour traiter plus directement la tumeur. Certaines expériences traumatiques survenues en amont du cancer peuvent en effet être réactivées dans de telles circonstances et faire obstacle aux traitements ou les rendre très pénibles. Par le biais de métaphores durant l’hypnose, comme celle de la nature qui parvient à reprendre le dessus après une catastrophe naturelle – tel un feu de forêt – pour se régénérer parfois de façon encore plus luxuriante, Sylvia en viendra à réassocier le dispositif de traitement à un symbole de vie et d’espoir. L’hôpital qui était initialement le lieu de ses peurs est progressivement devenu un lieu de sécurité, ce qui a permis de transformer son expérience de soins et de prévenir un potentiel vécu traumatique. Ainsi, selon le besoin identifié, la pratique de l’hypnose permet de travailler sur différentes composantes : sensorielle (p. ex., soulager un inconfort), émotionnelle (p. ex., apaiser la peur) et cognitive (p. ex., changer de perspective). Le but n’est pas d’éviter les sensations ou les émotions douloureuses, mais plutôt d’offrir un outil visant à mieux accueillir ce qui est parfois difficile et à mieux vivre en sa présence, et de favoriser l’adaptation et la résilience.

Au terme du suivi, Sylvia est en rémission, fière d’avoir pu jouer un rôle actif dans son parcours de soins pour mieux surmonter ses peurs et traverser chaque étape. Elle espère ne pas vivre de récidive, mais n’est pas envahie par l’anxiété et apparaît plus confiante en ses capacités à composer avec l’adversité. L’état hypnotique étant une habileté qui se travaille, elle a appris à l’induire par elle-même et continue d’utiliser l’autohypnose quotidiennement pour s’aider dans la récupération des douleurs et de la fatigue physique et cognitive, et dans la régulation des bouffées de chaleur et du stress. Plus apaisée tant physiquement que psychologiquement, elle nous est apparue aussi plus disponible pour mentaliser son expérience et intégrer les deuils inhérents au cancer.

Autres applications

Dans notre pratique, il nous arrive aussi de proposer des techniques hypnotiques pour soutenir la motivation du patient dans l’adoption de meilleures habitudes de vie (p. ex., cessation du tabagisme). L’hypnose peut également être utilisée dans l’accompagnement en fin de vie, notamment pour diminuer la douleur et l’anxiété et optimiser le confort physique et psychologique (Brugnoli, 2024). Par ailleurs, plusieurs études démontrent son efficacité chez les enfants et les adolescents en contexte oncologique pour réduire l’anxiété et la douleur associées aux procédures (p. ex., traitements par intraveineuse, installation d’un cathéter, ponction de la moelle osseuse) (Nunns et al., 2018).

Précautions

Bien que l’on puisse y voir des similitudes, notamment la formulation de suggestions positives, le recours à l’hypnose est à différencier de la simple pensée positive et magique. Ici, la rigueur et le jugement clinique du psychologue sont de mise dans l’utilisation de cet outil afin de préciser des objectifs réalistes avec le patient à la suite de son évaluation. On peut ainsi éviter l’écueil de nourrir l’attente d’une guérison magique par la pensée. Dans l’optique de susciter une pensée optimiste réaliste (Savard, 2010), l’hypnose peut être utilisée pour soutenir l’espoir d’un plus grand confort psychique et corporel et donc d’une meilleure qualité de vie.

Conclusion

À notre connaissance, au Québec, l’hypnose en milieu hospitalier et en oncologie est encore peu pratiquée, comparativement aux pays européens comme la France ou la Belgique. Pourtant, les différents professionnels de la santé (p. ex., infirmières, technologues en radiologie, médecins, psychologues) auraient avantage à être formés à des techniques de base pour mieux accompagner les patients, chacun dans leur champ de compétences respectif. Notons aussi que, pour le psychologue, cet outil complémentaire peut s’intégrer de façon personnalisée à sa pratique, quelle que soit son orientation théorique.

 

Bibliographie

  • Arnaboldi, P., Riva, S., Crico, C. et Pravettoni, G. (2017). A systematic literature review exploring the prevalence of post-traumatic stress disorder and the role played by stress and traumatic stress in breast cancer diagnosis and trajectory. Breast Cancer : Targets and Therapy, 473-485.
     
  • Brugnoli, M. P. (2024). Clinical hypnosis in palliative care. Dans The Routledge International Handbook of Clinical Hypnosis (p. 723-735). Routledge.
     
  • Chan, C. M. H., Ng, C. G., Taib, N. A., Wee, L. H., Krupat, E. et Meyer, F. (2018). Course and predictors of post‐traumatic stress disorder in a cohort of psychologically distressed patients with cancer : A 4‐year follow‐up study. Cancer, 124(2), 406-416.
     
  • Chen, P. Y., Liu, Y. M. et Chen, M. L. (2017). The effect of hypnosis on anxiety in patients with cancer : A meta‐analysis. Worldviews on Evidence‐Based Nursing, 14(3), 223-236.
     
  • Comité consultatif des statistiques canadiennes sur le cancer, en collaboration avec la Société canadienne du cancer, Statistique Canada et l’Agence de la santé publique du Canada. (2023). Statistiques canadiennes sur le cancer 2023. Toronto (Ontario) : Société canadienne du cancer. https://cancer.ca/Canadian-Cancer-Statistics-2023-FR
     
  • Franch, M., Alarcón, A. et Capafons, A. (2023). Applications of hypnosis as an adjuvant in oncological settings : A systematic review. International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 71(1), 1-24.
     
  • Institut de la statistique du Québec (ISQ). (2024). Causes de décès. https://statistique.quebec.ca/fr/document/causes-de-deces
     
  • Krebber, A. M. H., Buffart, L. M., Kleijn G., Riepma, I. C., De Bree, R., Leemans, C. R., Backer, A., Brug, J., van Straten, A., Cuijpers, P. et Verdonck‐de Leeuw, I. M. (2014). Prevalence of depression in cancer patients : A meta-analysis of diagnostic interviews and self-report instruments. Psycho-Oncology, 23(2), 121-130.
     
  • Leano, A., Korman, M. B., Goldberg, L. et Ellis, J. (2019). Are we missing PTSD in our patients with cancer? Part I. Canadian Oncology Nursing Journal, 29(2), 141.
     
  • Ministère de la Santé et des Services sociaux. (4 juin 2024). Statistiques du Registre québécois du cancer. https://www.quebec.ca/sante/systeme-et-services-de-sante/organisation-des-services/donnees-systeme-sante-quebecois-services/donnees-cancer
     
  • Mitchell, A. J., Chan, M., Bhatti, H., Halton, M., Grassi, L., Johansen, C. et Meader, N. (2011). Prevalence of depression, anxiety, and adjustment disorder in oncological, haematological, and palliative-care settings : A meta-analysis of 94 interview-based studies. The Lancet. Oncology, 12(2), 160-174.
     
  • Nunns, M., Mayhew, D., Ford, T., Rogers, M., Curle, C., Logan, S. et Moore, D. (2018). Effectiveness of nonpharmacological interventions to reduce procedural anxiety in children and adolescents undergoing treatment for cancer : A systematic review and meta‐analysis. Psycho‐oncology, 27(8), 1889-1899.
     
  • Savard, J. (2010). Faire face au cancer avec la pensée réaliste (1re éd.). Flammarion Québec.
     
  • Sine, H., Achbani, A. et Filali, K. (2022). The effect of hypnosis on the intensity of pain and anxiety in cancer patients : A systematic review of controlled experimental trials. Cancer Investigation, 40(3), 235-253.
     
  • Smith, S. K., Zimmerman, S., Williams, C. S., Benecha, H., Abernethy, A. P., Mayer, D. K., Edwards, L. J. et Ganz, P. A. (2011). Post-traumatic stress symptoms in long-term non-Hodgkin’s lymphoma survivors : does time heal? Journal of Clinical Oncology, 29(34), 4526.