La pratique interjuridictionnelle de la profession
Stéphane Beaulieu, psychologue et secrétaire général de l'Ordre des psychologues du Québec - sbeaulieu@ordrepsy.qc.ca
La pandémie a contribué à accentuer l’utilisation des plateformes de visioconférence pour l’offre de services psychologiques. Il y a quelques années, les psychologues s’adressaient à l’Ordre afin d’obtenir la permission d’offrir des services à distance à leurs clients. Les choses ont bien changé. Il est maintenant convenu que l’offre de services à distance est possible et qu’elle fait partie des pratiques courantes chez les psychologues.
Mais qu’advient-il si un psychologue québécois offre des services à distance à une personne qui est située dans une autre province canadienne, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde? Le psychologue doit-il détenir un permis là où se trouve le client, et ce, même s’il ne se rend pas physiquement sur le territoire où son client se trouve? Et qu’en est-il du psychologue québécois situé temporairement ou pour une période prolongée à l’extérieur du Québec?
Nous répondons à certaines de ces questions dans les lignes qui suivent, au moyen d’exemples concrets.
Psychologue au Québec et client à l’extérieur du Québec
Plusieurs psychologues nous posent des questions à l’égard des règles encadrant la pratique à distance lorsque le client est à l’extérieur du Québec. En voici un exemple :
1. « J’ai commencé un suivi psychothérapeutique avec un client au Québec depuis un an. Ce client déménage en Ontario pour six mois en raison de son travail et il souhaite continuer sa thérapie avec moi. Ai-je le droit de continuer à le suivre par visioconférence pendant qu’il habite en Ontario? »
La pratique à distance introduit une nouvelle réalité quant à la notion de lieu d’exercice. Lors d’une consultation à distance, si le client est chez lui, à son domicile, et que le psychologue est dans son bureau, où le service psychologique est-il rendu? Chez le client ou chez le psychologue? Doit-on considérer que le psychologue se déplace virtuellement chez le client, ou l’inverse? Cette question a peu d’incidence lorsque le client et le psychologue sont au Québec, mais elle est tout autre lorsque le psychologue est au Québec et que son client est temporairement hors du Québec, par exemple lors de vacances ou durant un transfert temporaire ou permanent pour des études ou pour le travail.
Il est important de savoir que dans la plupart des juridictions au Canada et aux États-Unis, les ordres professionnels considèrent que les services à distance sont dispensés là où se trouve le client1. On y considère donc que le psychologue se déplace virtuellement sur le territoire où se trouve le client, et ce, même si le psychologue n’entre jamais physiquement sur ce territoire et que l’offre de services est dispensée exclusivement à distance au moyen d’une plateforme de visioconférence. Ces juridictions exigent donc du psychologue qu’il obtienne un permis (ou une autorisation légale d’exercer) pour offrir des services à distance à une personne qui se situe sur leur territoire.
Tableau 1 - Conditions à respecter pour l’offre de services à distance : psychologue physiquement au Québec et client à l’extérieur du Québec
Psychologue à l’extérieur du Québec
Qu’en est-il lorsque le psychologue québécois se rend physiquement sur un autre territoire? Voici deux exemples.
2. « Je m’en vais passer six mois aux États-Unis et j’aimerais continuer à offrir des services à ma clientèle québécoise en utilisant Zoom. Suis-je autorisé à le faire? »
3. « J’assure un suivi psychologique auprès des membres d’une équipe sportive qui s’en va en entraînement en Californie pendant deux mois et je voyage avec eux durant leur séjour aux États-Unis. Puis-je continuer à exercer auprès d’eux à titre de psychologue du Québec, et ai-je besoin de détenir un permis en Californie? »
Dans ces deux cas, il s’agit de situations temporaires où les services commencent alors que le psychologue et le client sont au Québec et se poursuivent alors que le psychologue quitte le Québec. Si le psychologue continue d’agir à titre de psychologue québécois (c’est le cas la majorité du temps), les services continuent d’être offerts à ce titre. Le psychologue doit donc conserver son inscription au Tableau de l’Ordre à titre de membre régulier. De plus, comme il offre des services alors qu’il se trouve sur un autre territoire, il doit également vérifier les règles applicables dans la juridiction où il se trouve. Ceci prévaut malgré le fait qu’il offre seulement des services à ses clients québécois, que ceux-ci soient au Québec (à distance) ou qu’ils soient dans la même juridiction que lui (en personne ou à distance).
Le tableau 2 (plus bas) présente les conditions exigées uniquement pour un psychologue québécois qui se déplace en dehors du Québec et qui continue à exercer à titre de psychologue québécois.
Psychologue non inscrit au Tableau de l’Ordre
Dans le cas où le psychologue est dans une autre juridiction et qu’il décide de ne plus offrir de services à titre de psychologue québécois, ce dernier n’a pas l’obligation de demeurer inscrit au Tableau de l’Ordre. Ceci survient habituellement lorsque le psychologue déménage dans une autre juridiction de manière prolongée ou définitive.
4. « Mon partenaire de vie est muté en Colombie-Britannique. Nous allons déménager sous peu et je ne prévois pas revenir au Québec d’ici les trois prochaines années. Il est possible que nous nous établissions dans cette province de manière permanente. J’ai entrepris les démarches pour obtenir un permis de psychologue en Colombie-Britannique. »
Dans l’exemple qui précède, le psychologue a le choix de demeurer inscrit au Tableau de l’Ordre ou de se désinscrire de manière temporaire ou permanente. S’il advenait qu’il décide d’offrir des services à distance à des personnes se trouvant sur le territoire du Québec, il aurait alors le choix de le faire à titre de psychologue du Québec ou de la Colombie-Britannique, ou les deux à la fois. S’il choisissait d’offrir des services à titre de psychologue québécois, il devrait satisfaire les exigences du tableau2.
Tableau 2 - Conditions à respecter pour l’offre de services à distance : psychologue physiquement à l’extérieur du Québec qui continue à exercer à titre de psychologue québécois2
Canada et États-Unis
Au Canada, toutes les provinces à l’exception du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse3 prévoient des mécanismes permettant aux psychologues provenant d’une autre province d’offrir des services à distance à des personnes situées sur leur territoire pour une durée temporaire4. Les conditions et les modalités varient d’une province à l’autre. Cela prend habituellement la forme d’une autorisation spéciale temporaire délivrée exclusivement pour la pratique à distance. Au moment d’écrire ces lignes, l’Association des organismes canadiens de réglementation en psychologie (ACPRO) est sur le point de publier un guide détaillant les exigences pour chacune des provinces. Les psychologues souhaitant offrir des services à distance auprès de clients qui se trouvent dans une autre province sont invités à consulter le site de l’ACPRO ou à contacter directement l’ordre professionnel dans la province où se situent les clients potentiels. La liste des ordres canadiens se trouve dans le site Web de l’ACPRO.
Aux États-Unis, chaque État américain est responsable de l’encadrement légal de l’exercice de la profession. À notre connaissance, tous les États américains exigent une forme d’enregistrement pour les services à distance. La liste des organismes de réglementation nord-américaine (Canada et États-Unis) est disponible dans le site de l’Association of State and Provincial Psychology Boards. Le psychologue qui veut offrir des services à distance dans un État américain doit contacter l’organisme de réglementation de l’État où se trouve son client.
Nous espérons que cet article répond à vos questions. N’hésitez pas à communiquer avec le Secrétariat général de l’Ordre à secretariatgeneral@ordrepsy.qc.ca pour plus d’information au sujet de la pratique interjuridictionnelle de la profession de psychologue.
Notes
- À l’exception du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, les provinces canadiennes considèrent que le lieu d’exercice est là où se trouve le client.
- Les conditions exposées dans ce tableau s’appliquent seulement lorsque le psychologue offre des services à titre de psychologue québécois.
- Ces trois provinces n’exigent pas d’autorisation légale d’exercer lorsque le psychologue ne vient pas physiquement sur leur territoire.
- Au-delà de la période temporaire, les provinces exigent un permis régulier délivré selon les paramètres de l’Accord de libre-échange canadien (ACI) de type « permis-sur-permis », ce qui inclut un examen concernant la déontologie et des conditions visant la compétence langagière en anglais dans la plupart des provinces.