In memoriam : Kieron O’Connor - le psy qui a changé la façon de traiter les TOC
Hélène de Billy, journaliste et écrivaine
Photo - Dr Kieron O'Connor : Archives personnelles
Professeur, chercheur clinicien et co-fondateur du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM), le Dr Kieron O’Connor, psychologue, a passé une grande partie de sa carrière à développer de nouveaux traitements pour les gens atteints de troubles obsessionnels-compulsifs (TOC). Près de 30 ans après qu’il en a testé les premières hypothèses, son approche thérapeutique basée sur les inférences ne cesse de gagner en popularité tant ici qu’ailleurs dans le monde.
En août 2018, Mammouth, le magazine officiel du Centre d’études sur le stress humain (CESH), a demandé au Dr Kieron O’Connor de nommer la réalisation dont il était le plus fier. Après une seconde d’hésitation, le chercheur clinicien a bien voulu mentionner l’« impact tangible » que ses travaux avaient eu sur le bien-être de ses patients et sur l’ensemble des personnes touchées par les troubles obsessionnels-compulsifs (TOC).
Étant donné les succès de son approche, les mots « impact tangible » constituent un euphémisme. Directeur du Centre de recherche de l’IUSMM, le Dr Stéphane Guay, psychologue, le confirme : « Kieron était un scientifique d’exception et un chercheur immense. Chacune de ses recherches a eu des retombées concrètes dans la communauté des chercheurs et chez les patients. »
Le Dr Kieron O’Connor est mort le 27 août 2019 à l’Hôpital général de Montréal. Spécialiste mondial dans le traitement des TOC, Kieron, comme tout le monde l’appelait, était l’un des fondateurs du Centre de recherche de l’IUSMM, où il œuvrait toujours au moment de son décès.
« Il est mort comme Molière, presque sur les planches de son aire de travail où, jusqu’à très récemment, il écrivait encore des articles », a souligné son collègue et ami, le Dr Emmanuel Stip, psychiatre et ancien directeur du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal. « Sa contribution au rayonnement de Montréal et de ses institutions universitaires et cliniques est immense », a-t-il ajouté.
Thérapie à inférences
Le moment charnière dans la carrière du Dr O’Connor est survenu en 1995. Cette année-là, il publiait deux articles dans lesquels il présentait les TOC non plus comme un trouble phobique incurable, mais comme un trouble relevant des croyances primaires qui pourrait bénéficier d’une thérapie comportementale basée sur les inférences.
Tout cela s’intégrerait dans un modèle cohérent qu’il développerait ensuite tout au long de sa carrière. « Il a été l’un des premiers à proposer un solide continuum entre l’obsession et le trouble délirant (paranoïa) », a expliqué le Dr Emmanuel Stip dans une déclaration écrite au lendemain du décès de son collègue.
Parmi les nombreux doctorants que la théorie de Kieron O’Connor allait inspirer, le psychologue hollandais Frederick Aardema en a fait le pivot de ses travaux. À son arrivée à Montréal au début des années 2000, il ignorait que « le chercheur qui avait eu le plus d’influence sur [sa] carrière » habitait sa ville d’adoption. « Kieron était la modestie incarnée. Il était très discret. Jusqu’à la toute fin, la plupart d’entre nous ignorions qu’il avait publié deux romans! »
La Dre Julie Leclerc, chercheuse et professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, a vécu une expérience semblable. « En 2003, j’étais tombée sur un article dans lequel Kieron proposait une façon très originale de traiter la maladie de Gilles de la Tourette à partir de son modèle à inférences. À mon grand étonnement, j’ai découvert que cette sommité poursuivait sa carrière à Montréal et qu’il parlait très bien français. »
Le Dr O’Connor était un précurseur. En 2013, dans DSM-5, les TOC ont quitté la famille des troubles anxieux pour constituer une nouvelle catégorie spécifique. Le chercheur montréalais était toujours à l’affût des dernières découvertes, disent ses collègues, et on l’imaginait en train de travailler tout le temps… sauf qu’il accomplissait des tas d’autres choses…
Le TIC TAG TOC
Kieron O’Connor était très fier de ses origines irlandaises. Avant son arrivée à Montréal en 1988, « il avait songé à devenir comédien », a appris la Dre Julie Leclerc, qui le fréquentait sur une base quasi quotidienne au Centre de recherche de l’IUSMM.
Psychologue, il s’était d’abord intéressé aux neurosciences pour ensuite bifurquer vers la psychologie clinique. Détenteur d’une maîtrise en psychologie expérimentale à la Sussex University, puis d’un doctorat de recherche en psychophysiologie à la University of London, il allait devenir « l’un des psychologues les plus compétents de sa génération », selon ses collègues.
Professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal, le Dr O’Connor a dirigé plus de quarante étudiants au doctorat et plus d’une dizaine au postdoctorat.
Sommité internationale pour tout ce qui concernait les TOC, les TIC (troubles involontaires compulsifs) et le TAG (trouble anxieux généralisé), il avait surnommé son laboratoire le TIC TAG TOC.
Un côté Tournesol
Il était un parfait exemple de chercheur lunatique, et cela contribuait à le rendre attachant pour ses collègues et autres collaborateurs : « Parfois, dans une réunion, il avait l’air de dormir, observe la Dre Julie Leclerc. Puis, tout à coup, il lançait une observation et sa remarque était tellement juste qu’on en tombait à la renverse. »
Écrivain, poète, homme de théâtre, amateur de plein air, serviteur public et citoyen impliqué dans la communauté, il avait, comme les hommes de la Renaissance, des intérêts multiples et embrassait autant les arts que la science. Érudit, il possédait des connaissances approfondies en philosophie, pouvait interpréter de grands classiques de jazz au piano et avait publié deux romans sous le pseudonyme de Ken Konor.
Ses atouts? La curiosité, disent certains. Sa grande capacité de travail, soutiennent les autres. « Il était le dernier à quitter le Centre, peu importe le jour ou la saison », rappelle le Dr Stéphane Guay.
« C’était un surdoué », résume la Dre Julie Leclerc.
Enjeux de santé publique
Son principal souci, comme chercheur clinicien, était de faire en sorte que les gens vivant avec un TOC se sentent mieux. Pour cette raison, il a lutté contre la stigmatisation de cette maladie en soutenant, entre autres, les programmes de réinsertion sociale. « Sa conscience sociale primait sur tout le reste », estime le Dr Frederick Aardema.
Le Dr Stéphane Guay, pour sa part, se souvient que son mentor était en relation constante avec les organismes communautaires de Montréal. « On le voyait attraper son manteau en fin de journée pour aller animer une rencontre avec un groupe de soutien, ce qui le tenait bien souvent sur la touche jusqu’à 22 heures. Je peux vous garantir que vous ne trouverez pas beaucoup de chercheurs qui font ça! »
Il répondait aux questions des journalistes. « À ses yeux, la valeur de sa recherche était décuplée lorsqu’elle s’accompagnait d’une campagne de sensibilisation auprès du public », rappelle la Dre Julie Leclerc.
Dysmorphophobie
Actif en recherche jusqu’à la fin de sa vie, le Dr O’Connor avait mis en place un modèle d’intervention pour la dysmorphophobie, un TOC qui touche la perception de l’apparence physique. L’artiste Cœur de Pirate a avoué souffrir de ce syndrome, qui l’amène parfois à rester cloîtrée longtemps chez elle. « La personne devient obsédée par une imperfection imaginaire ou fort exagérée de son corps qu’elle cherche à cacher à tout prix », avait expliqué le Dr Kieron O’Connor lors d’une entrevue accordée aux médias, en 2009.
Grand Montréalais bien qu’ayant toujours travaillé dans l’ombre, le Dr O’Connor laisse derrière lui une relève solide de chercheurs innovants formés dans la plus parfaite rigueur. Auteur prolifique, il a signé de nombreux articles scientifiques, mais aussi des ouvrages grand public notamment sur les stratégies pour arrêter de fumer (Comment arrêter de fumer pour de bon, Éditions de l’Homme, 1990) et pour cesser la consommation d’anxiolytiques (La vie sans tranquillisants, Stanké, 2006).
Plus de 20 ans après qu’il en a testé les premières hypothèses, son approche thérapeutique basée sur les inférences ne cesse de gagner en popularité, et ce, tant ici qu’ailleurs dans le monde.