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La prise en charge psychologique de la douleur chronique chez l’enfant

Dre Stéphanie L. Léon, psychologue
Neuropsychologue, elle se spécialise dans l’évaluation et le traitement de troubles complexes associés aux conditions médicales. Elle travaille à l’hôpital pédiatrique CHEO et en cabinet privé. 


La douleur chronique est une condition médicale qui touche près de 20 % des enfants et des adolescents canadiens (Canadian Psychological Association, 2022). La nature intense et souvent imprévisible de la douleur chronique contribue au sentiment d’impuissance chez l’enfant et ses parents. Par conséquent, certaines familles adoptent des stratégies mal adaptées, notamment les comportements d’évitement, la réassurance, la peur du mouvement et les pensées catastrophiques face à la douleur. Chez ces enfants, la douleur chronique peut devenir un handicap sévère (Carter et Threlkeld, 2012). Cet article survole les enjeux propres à la gestion psychologique de la douleur chronique pédiatrique.

Qu’est-ce que la douleur chronique pédiatrique?

On la définit comme une douleur persistante ou épisodique qui perdure au-delà de trois mois. La douleur chronique peut être secondaire à une condition médicale ou génétique (ex. : anémie falciforme, maladies inflammatoires intestinales, syndrome d’Ehlers-Danlos, arthrite). Elle peut également survenir à la suite d’un épisode de douleur aiguë (ex. : blessure, commotion cérébrale) ou avoir une cause inconnue (ex. : syndrome myofascial, maux musculosquelettiques) (Carter et Threlkeld, 2012).

Peu importe l’origine de la douleur, son association à des expériences physiologiques et émotionnelles est bien réelle et interfère avec le bien-être (anxiété, dépression, problèmes de sommeil, etc.) et le fonctionnement de l’enfant au quotidien (ex. : fréquentation et rendement scolaires, participation aux activités, relations familiales et amitiés) (Coakley et Wihak, 2017).

Comment aborder la douleur chronique pédiatrique?

La douleur chronique est un phénomène biopsychosocial nécessitant une gestion multidisciplinaire (pharmaceutique, physique et psychologique). Les interventions psychologiques visent à réduire la douleur non pas directement, mais indirectement, par l’entremise d’objectifs fonctionnels (ex. : retour à la fréquentation scolaire à temps plein, meilleure qualité du sommeil) et émotionnels (ex. : réduction des symptômes dépressifs).

Les interventions d’approche TCC (thérapie cognitivo-comportementale) sont reconnues et ont été validées. Néanmoins, plusieurs recherches se penchent également sur l’évaluation d’autres interventions comme la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT), la thérapie comportementale dialectique (TCD), la thérapie de pleine conscience, le biofeedback, la thérapie interpersonnelle, la thérapie de résolution de problèmes et les thérapies familiales.

Éléments clés de la TCC pour la douleur chronique pédiatrique

  1. Psychoéducation en neuroscience
    Le volet psychologique peut être difficile à accepter par certains enfants et leur famille, car il n’est pas intuitif. Pour cette raison, il est important d’aborder le contenu suivant :
     
    • La douleur chronique ne communique pas la même information (blessure, danger) que la douleur aiguë. Ainsi, les stratégies utilisées lors de douleur aiguë (immobilisation, repos, évitement d’activités lors de douleur intense) ne sont pas adaptées à la douleur chronique (Coakley et Wihak, 2017).
    • La douleur physique est interprétée, en grande partie, par les mêmes régions du cerveau que la douleur émotionnelle. Les sentiments de détresse émotionnelle (stress, anxiété, dépression) augmentent la sensation de douleur, car ils diminuent la capacité à moduler les signaux de douleur (Coakley et Wihak, 2017). Ainsi, en agissant sur les émotions en thérapie, on modifie également l’expérience de la douleur.
       
  2. Journalisation et recadrage cognitif
    La catastrophisation est un ensemble de processus cognitifs/émotionnels négatifs qui comprennent l’amplification de l’importance de la douleur, la rumination anxieuse et le sentiment d’impuissance. Il existe une forte corrélation entre le degré de catastrophisation chez l’enfant (et chez son parent) et l’expérience de la douleur (Friedrichsdorf et al., 2016).

    Le journal de pensées aide l’enfant à faire le lien entre ses pensées négatives au sujet de la douleur, ses changements émotifs et physiologiques et sa réaction comportementale (Coakley et Wihak, 2017). Par exemple, la pensée « ça va faire trop mal » peut engendrer de la peur et une hausse du rythme cardiaque et des comportements d’évitement, comme le refus de sortir de la maison. L’enregistrement des pensées aide à réduire la honte, à normaliser les craintes de l’enfant et à dissocier l’expérience sensorielle de l’évaluation affective et cognitive de la douleur (Coakley et Wihak, 2017).

    En séance, il est important de cerner les pensées automatiques et les croyances dysfonctionnelles pour ensuite développer d’autres pensées qui reflètent mieux la réalité. Par exemple, remplacer « ma vie est gâchée par la douleur » par « je souffre beaucoup actuellement et je peux trouver de beaux moments dans ma journée ».
     
  3. Exposition graduée et désensibilisation
    En douleur chronique, un cercle vicieux s’installe où l’enfant évite les activités qui sont négativement associées à la douleur (ex. : une crise de douleur est survenue après que l’enfant a joué au soccer donc il évite de jouer au soccer). Cette association est souvent aléatoire et mène invariablement à une réduction des activités à long terme.

    L’approche pacing préconise un rythme lent, mais constant dans les activités, peu importe le niveau de douleur. En séance, le psychologue développe avec l’enfant une approche graduée (ex. : regarder les autres jouer au soccer, puis participer au jeu en parallèle) pour rebâtir une association positive (Coakley et Wihak, 2017). Cette approche génère un équilibre plus sain dans le cycle d’activité-repos de l’enfant et aide à réduire l’évitement.
     
  4. Hygiène de sommeil
    La prépondérance de difficultés liées au sommeil est très grande chez les enfants ayant de la douleur chronique et prédit une qualité de vie réduite (Carter et Threlkeld, 2012). Il est donc essentiel d’incorporer des interventions spécifiques au rétablissement de bonnes habitudes de sommeil, qui peuvent comprendre des techniques de relaxation.

Autres interventions proposées en gestion de la douleur chronique pédiatrique

Certains défis propres à la douleur chronique pédiatrique et des pistes d’intervention sont abordés ci-dessous.

Ambivalence et résistance envers le volet psychologique
L’ambivalence et la résistance au cours de la psychothérapie sont très communes en douleur chronique. L’ambivalence peut être liée à l’incertitude de l’enfant quant à sa capacité d’apporter les changements nécessaires pour se sentir mieux ou à la recherche active d’une résolution médicale (médicament, opération). L’entrevue motivationnelle – qui implique d’exprimer de l’empathie et d’amplifier la divergence entre le comportement actuel de la personne et la situation souhaitée – est un bon outil pour renforcer le sentiment d’efficacité personnelle et accompagner l’enfant vers la prise en charge active de stratégies de gestion de la douleur (Smith et Logan, 2022).

Détresse et accommodations parentales
La recherche démontre que la dynamique parentale et familiale a un effet important sur l’incapacité de l’enfant (Coakley et Wihak, 2017). Plusieurs parents vivent de l’impuissance et de la détresse (particulièrement ceux qui ont eux-mêmes un historique de douleur ou de problèmes de santé mentale), ce qui les porte à se concentrer exclusivement sur l’intensité de la douleur de leur enfant. Ceci renforce l’attention que l’enfant porte à sa propre douleur et augmente son handicap (Carter et Threlkeld, 2012). Le psychologue peut explorer avec les parents leurs réactions à la douleur (ou leurs expériences personnelles) et développer avec eux des façons différentes de réagir à cette dernière pour soutenir la participation de l’enfant à des activités fonctionnelles.

Les accommodations parentales – qui impliquent des pratiques parentales visant à prévenir la détresse de l’enfant associée à l’exposition à des stimuli évités (dans ce cas, la douleur) – sont communes en douleur chronique (Carter et Threlkeld, 2012). Bien que la validation parentale soit importante pour donner à l’enfant l’espace pour s’exprimer et comprendre son expérience sans honte, le parent doit faire face au défi complexe d’offrir cette validation tout en encourageant la participation de l’enfant à des activités afin de prévenir le cycle d’évitement de la douleur.

Contexte scolaire
Une hausse de l’absentéisme et de l’intimidation par les pairs ainsi qu’une baisse du rendement scolaire sont documentées chez les enfants souffrant de douleur chronique. De plus, le TDA/H et les troubles d’apprentissage sont aussi plus fréquents dans cette population (Groenewald, Tham et Palermo, 2020 ; Kerekes et al., 2022). L’école peut aider à briser le cercle vicieux de l’évitement scolaire en mettant en place un plan de gestion de la douleur (voir dans la liste des ressources le Guide de la douleur chronique chez les élèves : ressource pour les milieux scolaires). Il est aussi important d’orienter la famille vers une évaluation psychoéducationnelle (ou neuropsychologique dans le cas de conditions médicales complexes) si nécessaire.

En bref

La douleur chronique pédiatrique est une condition médicale peu connue qui, très souvent, a une incidence négative sur le fonctionnement global de l’enfant. La nature biopsychosociale de la douleur chronique pédiatrique nécessite une approche multidisciplinaire qui doit inclure un volet psychologique. En tant qu’expert, le psychologue pédiatrique est bien placé pour répondre au défi complexe de la douleur chronique et améliorer le bien-être de l’enfant et de sa famille.

 

Ressources à consulter

 

 

Bibliographie

  • Canadian Psychological Association (2022). “Psychology Works” Fact Sheet: Pediatric Chronic Pain. Repéré à Psychology Works Fact Sheet - SubjectName (cpa.ca).
     
  • Carter, B. D. et Threlkeld, B. M. (2012). Psychosocial perspectives in the treatment of pediatric chronic pain. Pediatric Rheumatology, 10(1), 1-11.
     
  • Coakley, R. et Wihak, T. (2017). Evidence-based psychological interventions for the management of pediatric chronic pain: new directions in research and clinical practice. Children, 4(2), 9.
     
  • Friedrichsdorf, S. J., Giordano, J., Desai Dakoji, K., Warmuth, A., Daughtry, C. et Schulz, C. A. (2016). Chronic pain in children and adolescents: diagnosis and treatment of primary pain disorders in head, abdomen, muscles and joints. Children, 3(4), 42.
     
  • Groenewald, C. B., Tham, S. W. et Palermo, T. M. (2020). Impaired school functioning in children with chronic pain: A national perspective. The Clinical Journal of Pain, 36(9), 693.
     
  • Kerekes, N., Lundqvist, S., Schubert Hjalmarsson, E., Torinsson Naluai, Å., Kantzer, A. K. et Knez, R. (2022). The associations between ADHD, pain, inflammation, and quality of life in children and adolescents – a clinical study protocol. Plos one, 17(9), e0273653.
     
  • Smith, A. M. et Logan, D. E. (2022). Promoting readiness and engagement in pain rehabilitation for youth and families: Developing a pediatric telehealth motivational interviewing protocol. Paediatric and Neonatal Pain, 4(3), 125-135.