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Défis identitaires chez les adolescents atteints d’une maladie chronique : considérations cliniques

Dre Tziona Lugasi, psychologue
Clinicienne au service d’hémato-oncologie du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, elle oeuvre auprès d’enfants et d’adolescents atteints du cancer ou de maladies hématologiques. 

 

Dre Amélie Benoit, psychologue
Travaillant à la clinique de neurologie du CHU Sainte-Justine, elle intervient auprès d’enfants et d’adolescents atteints de conditions médicales neurologiques et de troubles fonctionnels.

 


À l’échelle internationale, il est répertorié qu’entre 10 et 30 % des adolescents seraient atteints d’une maladie chronique, laquelle se définit comme une condition qui persiste dans le temps, nécessite une attention médicale régulière et peut avoir des répercussions sur le fonctionnement quotidien d’un individu (Russo, 2022 ; Centers for Disease Control and Prevention, 2021). Plusieurs conditions médicales chroniques peuvent se développer au cours de l’enfance ou de l’adolescence (par ex., le diabète, l’épilepsie, l’asthme, les cancers) et perdurer à l’âge adulte, avec des degrés de sévérité et des répercussions variables au quotidien. Vivre avec une maladie chronique et les contraintes qui en découlent est susceptible de représenter une source de stress significative dans la vie d’un adolescent. En effet, composer avec les malaises physiques et la douleur, recevoir des traitements médicaux pouvant impliquer des hospitalisations, de même que négocier avec des limitations physiques ou fonctionnelles peuvent affecter la qualité de vie et la santé psychologique (Berkelbach van der Sprenkel et al., 2021). De ce fait, la présence d’une condition médicale chronique peut avoir des effets délétères sur le développement et le fonctionnement des adolescents, en plus de rendre cette population plus à risque de vivre de la détresse psychologique (Brady, Deighton et Stansfeld, 2020). Sur le plan familial, les soins entourant la maladie imposent fréquemment une implication parentale accrue, ce qui peut être associé à des tensions dans la relation parent-adolescent (Christin et al., 2015) et peut ainsi complexifier l’autonomisation et le processus de séparation-individuation. De plus, les symptômes physiques, le temps consacré aux soins et l’absentéisme scolaire qui s’y rattache peuvent avoir une incidence sur le cheminement scolaire et les possibilités de socialisation de ces jeunes (Maurice-Stam et al., 2019). Dans le contexte de l’adolescence, les expériences singulières vécues par les jeunes atteints d’une maladie chronique sont à même d’influencer le processus de construction identitaire, une étape cruciale à cette période de la vie.

Construction identitaire : la place de la maladie chronique

Selon la théorie de l’identité d’Erikson (1963) et de Marcia (1966), l’adolescence est une période charnière durant laquelle le jeune traverse une période de questionnements et d’expérimentations l’amenant à définir son identité. Ce processus de construction identitaire implique l’intégration de l’histoire passée, des caractéristiques personnelles actuelles et des projections dans la vie future. À travers l’expérimentation et les interactions avec son environnement, l’adolescent est appelé à développer progressivement une vision cohérente de soi et à se positionner en fonction de ses valeurs, sur les plans personnel, occupationnel, sexuel et idéologique (Steinberg, 2008). Une identité bien définie et intégrée est associée à des niveaux plus élevés de bien-être et d’estime de soi (Phillips et Pittman, 2007), de même qu’à une meilleure adaptation psychosociale (Ferrer-Wreder et al., 2008).

Les adolescents atteints d’une condition médicale chronique doivent négocier cette quête identitaire dans un contexte où l’accès aux expériences adolescentes est potentiellement affecté. Sur le plan physique, ils se retrouvent à devoir investir et s’approprier un corps à la fois transformé par les changements pubertaires et pouvant être perçu comme « défaillant », ceci étant susceptible de nuire au développement de l’estime de soi et du sentiment de compétence (Johnston, Drieu et Flambard, 2014). Parallèlement aux questionnements identitaires attendus en fonction de l’âge, l’adolescent atteint d’une maladie chronique est aussi appelé à intégrer les expériences de la maladie à sa perception de soi. L’identité de la maladie repose sur la perception que l’individu entretient de sa condition médicale et des traitements requis, ainsi que sur le degré auquel la condition médicale est intégrée à son identité au sens plus large (Van Bulck et al., 2018). Quatre dimensions de l’identité de la maladie permettent d’illustrer ce degré d’intégration, soit l’engouffrement, le rejet, l’acceptation et l’enrichissement (en anglais : engulfment, rejection, acceptance, enrichment ; Van Bulck et al., 2018). Alors que l’engouffrement implique le sentiment d’être envahi et de n’être défini que par sa maladie, le rejet réfère à un refus d’intégrer la condition médicale à l’identité. En contrepartie, l’acceptation suggère un niveau d’adaptation et d’intégration plus équilibré de la maladie, sans pour autant que les autres parties intégrantes de l’identité soient éclipsées. Enfin, on réfère à l’enrichissement pour décrire l’individu dont la condition médicale non seulement est acceptée et intégrée à l’identité, mais représente également une occasion de croissance personnelle (Van Bulck et al., 2018). Les adolescents et les jeunes adultes présentant un niveau plus élevé d’intégration de leur condition médicale à leur identité seraient à même de profiter d’une meilleure qualité de vie et démontreraient généralement une adhésion plus optimale à leur traitement (Oris et al., 2016).

Soutenir la construction identitaire des adolescents atteints d’une maladie chronique

Le psychologue oeuvrant en contexte médical pédiatrique est appelé à intervenir auprès d’adolescents et de leur famille, fréquemment envoyés par l’équipe médicale traitante pour des motifs variés tels que l’acceptation du diagnostic, l’adhésion au traitement et des altérations de l’humeur et du fonctionnement. Dans ce contexte, il apparaît primordial de trouver un équilibre entre le soutien apporté au jeune et les demandes et objectifs indiqués par l’équipe médicale (par ex., encourager l’adolescent à adhérer à ses traitements). Le psychologue peut négocier ce défi en considérant le patient comme « un adolescent d’abord, puis comme un adolescent porteur de maladie chronique ensuite » (Lemerle-Gruson et Méro, 2010, p. 26). En effet, bon nombre de ces adolescents ne sont pas enclins à venir parler de leur condition médicale et n’en voient pas la pertinence initialement. En conséquence, il est primordial d’accueillir l’adolescent dans sa globalité sans nécessairement imposer l’échange sur le thème de la maladie. C’est en permettant au jeune d’explorer les différentes facettes de lui-même (par ex., intérêts, vie sociale, vie scolaire, dynamique familiale, expérimentations, forces et défis personnels) et en revisitant son histoire et son expérience de la maladie au moment opportun que le psychologue peut contribuer à soutenir la construction identitaire de l’adolescent. Ce travail d’intégration implique l’exploration de différents questionnements et dilemmes personnels pouvant émerger au fil des échanges avec l’adolescent. À titre d’exemple, les préoccupations du jeune peuvent s’articuler autour de l’acceptation d’un trajet de vie qui est différent de celui de ses pairs, de certaines contradictions entre le vécu interne lié à la maladie (par ex., vulnérabilité, honte) et ses caractéristiques personnelles dans la sphère publique (par ex., vouloir être vu comme énergique et attrayant), ou encore du développement d’un sentiment de contrôle et de prise en charge de sa condition (Wicks, Berger et Camic, 2019). Le psychologue peut ainsi accueillir ces thèmes, valider et normaliser le vécu du jeune tout en respectant l’intimité et la confidentialité qui lui sont dues.

Le maintien d’une bonne alliance thérapeutique favorise l’élaboration des thèmes entourant la maladie qui sont amenés par le jeune, en plus d’autres thèmes qui pourront être introduits par le psychologue, tels que la prise de risques entourant la santé, la consommation de substances et leurs répercussions sur la vie de l’adolescent (Lemerle-Gruson et Méro, 2010). Le psychologue pourra progressivement explorer la perception que le jeune entretient de sa condition médicale et favoriser la prise de conscience sur les répercussions dans sa vie personnelle et relationnelle. Il n’est pas rare que les adolescents développent des croyances concernant leur diagnostic ou la maladie qui peuvent être erronées et sources de détresse. Par exemple, ils peuvent attribuer la cause de leur condition médicale à un événement particulier ou à une faute commise (Jacquin, 2011). Le psychologue pourra alors travailler à introduire davantage de nuances et de flexibilité dans les représentations de la maladie en vue d’aider le jeune à développer une vision plus réaliste de soi, incluant ses capacités et ses limites.

En somme, il est possible que la construction identitaire se voie complexifiée par la maladie chronique et nécessite un soutien particulier à l’adolescence. Pouvoir bénéficier d’un espace consacré à la réflexion et à la discussion constitue une occasion pour le jeune de se situer autant dans les expériences typiques de l’adolescence que dans celles propres à la maladie. Le psychologue peut ainsi soutenir les adolescents atteints de maladies chroniques à travers cette période d’exploration tout en les aidant à mieux vivre les fluctuations émotionnelles dans leur rapport à la maladie – un rapport passant de périodes où la maladie peut être vécue comme envahissante dans la vie de l’adolescent à des périodes où ce dernier parvient à l’intégrer à son identité de manière plus fluide (Wicks et al., 2019).

 

 

 

Bibliographie

  • Berkelbach van der Sprenkel, E. E., Nijhof, S. L., Dalmeijer, G. W., Onland-Moret, N. C., de Roos, S. A., Lesscher, H. M. B., van de Putte, E. M., van der Ent, C. K., Finkenauer, C. et Stevens, G. W. J. M. (2021). Psychosocial functioning in adolescents growing up with chronic disease: The Dutch HBSC study. European Journal of Pediatrics, 181(2), 763-773.
     
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  • Centers for Disease Control and Prevention (CDC). (2021). National Center for Chronic Disease Prevention and Health Promotion. https://www.cdc.gov/chronicdisease/about/index.htm
     
  • Christin, A., Akre, C., Berchtold, A. et Suris, J. C. (2015). Parent-adolescent relationship in youths with a chronic condition. Child: Care, Health and Development, 42(1), 36-41.
     
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  • Jacquin, P. (2011). Adolescence et maladie chronique : quelles vérités? Pour qui? Enfances et psy, 53(4), 113-121.
     
  • Johnston, G., Drieu, D. et Flambard, C. (2014). L’image du corps chez l’adolescente porteuse de maladie chronique. Psychosomatique relationnelle, 3(2), 73-93.
     
  • Lemerle-Gruson, S. et Méro, S. (2010). Adolescence, maladies chroniques, observance et refus de soins. Laennec, 58(3), 21-27.
     
  • Marcia, J. E. (1966). Development and validation of ego identity status. Journal of Personality and Social Psychology, 3(5), 551-558.
     
  • Maurice‐Stam, H., Nijhof, S. L., Monninkhof, A. S., Heymans, H. S. A. et Grootenhuis, M. A. (2019). Review about the impact of growing up with a chronic disease showed delays achieving psychosocial milestones. Acta Pediatrica, 108(12), 2157-2169.
     
  • Oris, L., Rassart, J., Prikken, S., Verschueren, M., Goubert, L., Moons, P., Berg, C. A., Weets, I. et Luyckx, K. (2016). Illness Identity in Adolescents and Emerging Adults With Type 1 Diabetes: Introducing the Illness Identity Questionnaire. Diabetes Care, 39(5), 757-763.
     
  • Phillips, T. M. et Pittman, J. F. (2007). Adolescent psychological well-being by identity style. Journal of Adolescence, 30(6), 1021-1034.
     
  • Russo, K. (2022). Assessment and treatment of adolescents with chronic medical conditions. Journal of Health Service Psychology, 48(2), 69-78.
     
  • Steinberg, L. (2008). Adolescence. New York : McGraw-Hill.
     
  • Van Bulck, L., Luyckx, K., Goossens, E., Oris, L. et Moons, P. (2018). Illness identity: Capturing the influence of illness on the person’s sense of self. European Journal of Cardiovascular Nursing, 18(1), 4-6.
     
  • Wicks, S., Berger, Z. et Camic, P. M. (2019). It’s how I am... it’s what I am... it’s part of who I am: a narrative exploration of the impact of adolescent-onset chronic illness on identity formation in young people. Clinical Child Psychology and Psychiatry, 24(1), 40-52.