Exclusif Web | Les pères et la séparation conjugale : comprendre pour mieux soutenir l’adaptation
Dr Karl Larouche, psychologue
Chercheur postdoctoral à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ses travaux de recherche portent sur la santé et le bien-être des pères présentant une vulnérabilité psychosociale.
Tamarha Pierce
Professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval. Ses travaux portent sur l’engagement paternel et la coparentalité dans divers contextes familiaux.
Diane Dubeau, Ph. D.
Professeure titulaire au Département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais. Ses expertises portent sur la paternité, la coparentalité et l’évaluation de programmes.
Près de 20 % des parents québécois se séparent au cours des cinq premières années suivant la naissance d’un enfant (Ministère de la Famille, 2023), un événement de vie ayant des répercussions sur chaque membre de la famille (Raley et Sweeney, 2020). Bien que cette transition familiale puisse impliquer des défis similaires pour chaque parent d’un enfant, les pères font face à des défis uniques lors de la séparation qui peuvent compromettre leur adaptation (Leopold, 2018; Mercadante et al., 2014). Or, les pères occupent un rôle important au regard de la santé et du bien-être de l’enfant et de la famille (Diniz et al., 2021). Être au fait des défis que les pères séparés sont susceptibles de vivre peut aider à mieux soutenir leur adaptation lors de cette importante période de réorganisation, d’autant plus que les premières années suivant la séparation sont déterminantes pour l’engagement paternel ultérieur (Larouche et al., 2023).
Défis que les pères sont susceptibles de rencontrer à la suite d’une séparation conjugale
Les femmes sont plus nombreuses à amorcer la séparation conjugale que les hommes, qu’ils aient ou non un enfant (Pierce et al., 2023; Symoens et al., 2013). L’annonce de la séparation peut donc entraîner un vécu différent chez chacun des parents quant au processus de deuil de leur relation. Dans ce contexte, la réorganisation matérielle du père peut s’avérer être un important défi, d’autant plus si sa situation financière est précaire (Deslauriers et Dubeau, 2019; Mercadante et al., 2014). De plus, certains font l’expérience d’une perte de contact avec leur enfant, parfois temporaire, parfois prolongée, en raison de la réorganisation urgente de leur vie précipitée par la séparation (Deslauriers et Dubeau, 2019; Mercadante et al., 2014). La question des contacts avec l’enfant est d’ailleurs un thème central lors de mésententes entre les parents séparés. Des procédures judiciaires peuvent s’avérer nécessaires pour trouver un terrain d’entente à ce sujet, bien que ce ne soit pas gage de satisfaction pour le père (Deslauriers et Dubeau, 2019; Shorey et Pereira, 2022).
Cette importante période de réorganisation a été associée à une détérioration de la santé mentale des pères. Outre l’impact émotionnel de la rupture conjugale et de la fin de la famille unie avec lequel les pères doivent composer, notamment d’importants sentiments de perte, de culpabilité et d’angoisse (Mercadante et al., 2014; Shorey et Pereira, 2022), les pressions financières et professionnelles découlant des changements matériels et des procédures judiciaires ont été associées à l’apparition de symptômes dépressifs (Barry et Liddon, 2020; Rueger et al., 2011). Par ailleurs, les conflits avec l’autre parent de l’enfant, qu’ils concernent ce dernier ou non, ont également été associés à une moins bonne adaptation psychologique des pères séparés (Pierce et al., 2023). Or, la diminution des contacts avec l’enfant est l’un des facteurs les plus fortement associés aux difficultés psychologiques que les pères séparés rencontrent (Barry et Liddon, 2020; Köppen et al., 2020). Heureusement, la très grande majorité des pères québécois récemment séparés s’estiment en bonne santé psychologique, bien adaptés à la séparation et satisfaits de leur vie (Pierce et al., 2023).
La séparation conjugale implique inévitablement des changements au regard de la manière dont les pères vont exercer leur rôle de parent. D’une part, collaborer avec l’autre parent concernant l’éducation et les soins à l’enfant peut être un défi à la suite d’une séparation conjugale (Shorey et Pereira, 2022). Selon l’Enquête québécoise sur la parentalité, 59 % des pères séparés disent s’entendre toujours ou souvent avec l’autre parent au sujet de leur enfant, comparativement à 84 % des pères en couple avec l’autre parent (Pierce, 2024). D’autre part, bien que les pères séparés soient plus nombreux qu’auparavant à avoir la garde partagée ou principale de leur enfant (Pelletier, 2017), les périodes de contacts avec ce dernier sont entrecoupées de séparations, plus ou moins longues selon la modalité de garde. Or, même si certains pères compensent la diminution des contacts physiques par des contacts virtuels lorsque l’âge de l’enfant le permet (Troilo et Coleman, 2012), moins les périodes de contacts physiques avec l’enfant sont nombreuses et prolongées, moins les pères ont la possibilité de s’engager dans les soins à leur enfant, de prendre en charge les tâches parentales qui ne se produisent pas quotidiennement (par exemple aller chez le médecin) et de participer aux activités de loisirs avec leur enfant (Koster et al., 2021; Larouche et al., 2023; Larouche et al., 2024). Pour certains, ces changements auront raison de leur engagement parental au long cours (Larouche et al., 2023). À l’inverse, d’autres vont continuer d’assumer une part significative de responsabilités parentales malgré le peu de contacts avec leur enfant, ce qui est facilité par le fait d’habiter près de la résidence de l’autre parent et d’avoir un bon statut socioéconomique, mais surtout par la présence d’une relation coparentale collaborative et mutuellement soutenante entre les parents séparés (Larouche et al., 2023; Larouche et al., 2024).
Considérations pour l’intervention auprès des pères séparés
Outre le soutien psychologique qui peut leur être offert pour mieux composer avec les impacts émotionnels de la séparation (Ashbourne et al., 2013), les pères séparés ont besoin de sentir qu’ils sont importants et compétents en tant que parents (Dubeau et al., 2013). La relation avec leur enfant est d’ailleurs une importante motivation sous-jacente à leur demande d’aide (Dubeau et al., 2023). Une première piste d’intervention pour soutenir l’adaptation des pères à la séparation consiste donc à les aider à entrevoir comment ils peuvent continuer à exercer leur rôle de parent malgré les contacts physiques plus limités avec leur enfant. À cet égard, ils peuvent être encouragés à assumer davantage de tâches et d’activités parentales, telles que d’accompagner leur enfant à ses rendez-vous, de même que de s’impliquer dans la prise de décisions qui le concerne (par exemple le choix de l’école; Larouche et al., 2024). Tout dépendant de l’âge de leur enfant, ils peuvent aussi être encouragés à user de stratégies de contacts virtuels (par exemple le cellulaire, les applications de communication permettant de faire des appels vidéo) pour échanger avec ce dernier et ainsi pouvoir l’accompagner s’il vit des difficultés au quotidien (Troilo et Coleman, 2012). Les pères séparés qui, au contraire, assument largement plus de tâches et de responsabilités parentales que l’autre parent pourraient plutôt avoir davantage besoin de soutien dans leur rôle parental, puisque ceci survient souvent dans un contexte où ces pères doivent composer avec une relation coparentale conflictuelle potentiellement liée à des enjeux de santé mentale chez l’autre parent (Larouche et al., 2024).
Dans toute situation où un père séparé vit des difficultés, la relation coparentale ne devrait pas être négligée. Cette relation est cruciale pour le bien-être du père, mais aussi celui de l’enfant et de l’autre parent (McHale et Sirotkin, 2019). En outre, une collaboration difficile du père avec l’autre parent en ce qui concerne les soins et l’éducation à leur enfant peut poser obstacle à la hausse ou au maintien de l’engagement des pères séparés dans la vie de leur enfant (Larouche et al., 2023; Larouche et al., 2024). Lorsque cela s’avère possible, la qualité de la relation coparentale devrait donc être évaluée pour repérer de potentielles difficultés dans ce domaine. Le cas échéant, les interventions visant à améliorer celle-ci sont prioritaires (Ashbourne et al., 2013). Un élément important qui doit faire l’objet d’une attention particulière est le deuil de la relation conjugale, que ce soit chez le père, l’autre parent ou les deux, puisqu’il s’agit d’un obstacle important à la mise en place d’une bonne relation coparentale et conséquemment au maintien du rôle parental pour la majorité des pères. L’éducation psychologique quant à l’importance d’une bonne relation coparentale et aux comportements à favoriser pour limiter les difficultés dans ce domaine (par exemple, éviter le dénigrement, gérer les conflits, bien communiquer) est également une piste d’intervention pertinente (Ashbourne et al., 2013; McHale et Sirotkin, 2019). Par ailleurs, les interventions de groupes, misant à la fois sur l’éducation psychologique et des exercices pratiques (par exemple des stratégies de communication) se sont montrées efficaces pour diminuer les conflits entre les parents séparés (Bussières et al., 2021). L’amélioration de la relation coparentale n’est toutefois pas toujours possible, selon les contextes (par exemple si l’autre parent de l’enfant présente d’importantes difficultés psychologiques). Dans ce cas, les interventions devraient être centrées sur le père et sa relation avec son enfant.
En conclusion, les pères sont susceptibles de rencontrer différents défis à la suite d’une séparation conjugale qui peuvent compromettre leur adaptation et ultimement la santé et le bien-être de leur famille. Afin de favoriser une réorganisation familiale post-séparation harmonieuse, il importe de soutenir les pères dans leur rôle de parent et leur relation coparentale, et ce, toujours en considérant les particularités de chaque situation.
Bibliographie
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