Le cadre thérapeutique en contexte de pandémie : vers un nouvel équilibre
Andrée-Anne Magny, psychologue
Clinicienne en pratique privée après plusieurs années dans le réseau public et autrefois travailleuse sociale, elle s’intéresse particulièrement à la conscience réflexive de soi et de l’autre en interaction et pratique la psychothérapie gestaltiste des relations d’objet (PGRO).
Cet article propose une réflexion sur le cadre thérapeutique dans une situation où thérapeutes et clients vivent une expérience partagée de déstabilisation hors du commun et dont la source est extérieure à la relation thérapeutique.
J’ai tergiversé un moment avant de réaliser que quelque chose en moi résistait au cadre que je m’étais donné pour rédiger cet article. Cela m’a rappelé à quel point le cadre permet ou entrave le processus, et que saisir le sens de la résistance permet de remettre le processus en mouvement. Le mouvement qui voulait se faire entendre en moi était celui d’une thérapeute ayant à cœur de réfléchir à sa pratique, et qui, en même temps, se trouve elle-même déstabilisée, sursollicitée par le contexte et donc fatiguée. Peut-être vous reconnaissez-vous dans cette expérience…
Bien que fortement ébranlés par la transformation, voire la disparition de nos points de repère personnels et professionnels, nous sommes restés présents pour nos clients, malgré tout. C’est probablement l’aide la plus importante que nous ayons pu leur offrir, et l’expérience la plus formatrice que nous puissions vivre depuis mars dernier. Et cela passe inévitablement par davantage de souplesse, comme pour le roseau qui casserait sous le vent de la tempête s’il ne pliait pas. Nous devons maintenant réaménager le cadre thérapeutique pour qu’il soit favorable à la poursuite de la thérapie et, en même temps, soutenable pour le client et aussi pour le thérapeute.
Le cadre thérapeutique avant la pandémie : quelques rappels
Le cadre thérapeutique réfère à la fois au cadre interne du thérapeute (identité professionnelle, approche, référents théoriques, etc.) et au cadre externe ou formel (dispositif, modalités diverses comme le nombre, la durée et le rythme des séances, honoraires, gestion des absences, etc.). Élément central de stabilité et de sécurité dans le processus thérapeutique balisant les repères de respect mutuel et favorisant l’alliance de travail, le cadre se veut un levier du processus de changement par les résistances qu’il met à jour et permet d’élaborer (Brillon, 2017). Il peut cependant devenir une embûche à ce processus s’il est mal ajusté aux caractéristiques du client (clientèle ciblée, demande, structure de personnalité) et du thérapeute (il doit découler de l’approche théorique et accommoder la personnalité du thérapeute). Un monitorage constant des effets du cadre dans la relation thérapeutique contribue à éviter des désaccordages inutiles et à réparer des ruptures d’alliances le cas échéant.
Le cadre thérapeutique en situation de crise liée à l’avènement de la pandémie : devenir contorsionnistes malgré soi
Le nouveau cadre sociosanitaire, devenant jusqu’à un certain point prioritaire aux objectifs thérapeutiques en cours avec les clients, est venu brusquement faire intrusion dans le caractère sacré de l’espace protégé de la relation thérapeutique. Ce cadre, externe à celui de la psychothérapie, a évidemment eu des effets sur les cadres internes des thérapeutes et des clients, ainsi que sur la relation thérapeutique.
Alors que nous sommes entraînés à maintenir une frontière bien définie et bien régulée entre le personnel et le professionnel, voilà que nos réalités personnelles sont venues interférer d’une manière beaucoup plus marquée dans le cadre que nous nous efforçons de maintenir avec les clients. Nous avons eu à élaborer et à contenir notre propre anxiété, à réguler la frustration liée aux aspects technologiques, à remettre en question notre dispositif et notre approche, et avons été confrontés à l’angoisse de mort surgie brusquement ou insidieusement.
Notre tâche de régulation a été accrue, et les assauts à notre cadre interne d’autant plus marqués. Un vécu chamboulé chez les clients pouvait tout autant ébranler notre cadre interne et remettre en question notre manière de composer avec différentes modalités de la démarche thérapeutique : absences, échanges par courriels, mode de paiement, etc. Maintenir une frontière saine entre notre vécu et celui du client pour protéger l’espace thérapeutique, alors que les vécus se rejoignaient inévitablement dans cette atmosphère sociosanitaire commune, n’était pas une mince tâche. Généralement enclins à interpréter que nos clients « réagissent au cadre », nous étions nous-mêmes en train de réagir, plus ou moins fortement, au cadre imposé par la santé publique.
Nous avons dû devenir contorsionnistes « du cadre », malgré nous, à la fois pour aménager notre cadre interne de thérapeutes et le cadre plus formel de la rencontre thérapeutique. Voilà l’image qui s’est construite en moi pour symboliser le processus par lequel nous sommes passés, à une vitesse particulièrement incommodante, expérimentant des espaces de souplesse inégalés à ce jour dans notre pratique clinique, pour pouvoir continuer à accompagner nos clients en psychothérapie, voire en accueillir de nouveaux malgré le confinement et la téléthérapie.
Le cadre thérapeutique adapté à la réalité de la pandémie qui perdure : vers un nouvel équilibre
Le cadre thérapeutique, assoupli à l’extrême par nécessité durant la crise pour permettre tant au client qu’au thérapeute de s’adapter à la situation, doit maintenant retrouver des assises plus définies pour maintenir le processus thérapeutique en cours malgré la pandémie et en tenant compte des éléments extrapsychiques liés au contexte qui perdure.
Quelles questions devons-nous nous poser afin de restreindre, ou non, cette souplesse et ces ajustements? Les restreindre pour qui : le client? Le thérapeute? Qui y gagne, qui y perd? Et quoi? Quelle est la pertinence de revenir au cadre « d’avant »? Que vit le thérapeute dans ces changements de cadre, que vit le client?
Réfléchir à ces aspects nous aide à resituer notre propre cadre interne, et ainsi à nous sentir plus solides et à devenir non plus des contorsionnistes, mais des équilibristes qui ne serons plus effrayés par le vide de repères autour de nous. Nous pourrons ainsi envisager avec moins d’inconfort les ajustements « à moyen-long terme » dans la thérapie avec nos clients en raison du contexte et les ajustements plus spécifiques pour tenir compte des réalités internes et externes propres à chacun d’eux.
Le cadre thérapeutique « ajusté » gagnera à être suffisamment clair et ferme (et ainsi sécurisant) pour offrir l’espace nécessaire à l’élaboration et à l’assimilation de l’expérience de l’« atmosphère » environnante qui continue d’évoluer. Cette élaboration est en elle-même à haut potentiel thérapeutique puisque le vécu actuel arrive à susciter des affects forts même chez les plus résilients, rationnels et dissociés d’entre nous tous. Le cadre peut, en même temps, permettre de faire des liens entre la situation et les enjeux du client qui s’activent au contact de ce contexte environnant, et nous pouvons ainsi poursuivre le travail psychothérapeutique amorcé, d’autant plus si le client n’est pas particulièrement sollicité ou incommodé par ce contexte.
Le cadre « revu » devra également soutenir le thérapeute en étant adapté à sa propre réalité, peut-être maintenant différente, et demeurer cohérent avec son approche. À ce sujet, probablement aurons-nous à puiser à nouveau dans notre résilience et dans notre créativité pour adapter notre approche au contexte. À cet effet, « co-construire » le « nouveau cadre » avec le client apparaît une avenue prometteuse pour protéger la poursuite de la psychothérapie.
Référence
- Brillon, M. (2017). Processus de changement et cadre en psychothérapie. Document de formation. Québec : Institut de psychothérapie du Québec.