Pandémie : les psychologues scolaires relèvent le défi
Dre Louise Rodrigue, psychologue
Neuropsychologue scolaire au Centre de services scolaire de la Beauce-Etchemin, la Dre Rodrigue s’intéresse particulièrement au déploiement en milieu scolaire des connaissances issues de la neuropsychologie pédiatrique dans un contexte d’approche RAI (« réponse à l’intervention »).
Nancy Hovington, psychologue
Psychologue scolaire et conseillère en adaptation scolaire, Mme Hovington pratique depuis plus de 30 ans en milieu scolaire. Elle a également développé une expertise dans le domaine de la douance.
La pandémie a sollicité les capacités d’adaptation des êtres humains du monde entier. Conséquemment, les psychologues ont dû faire preuve d’innovation. Dans les milieux scolaires, les actes habituels ont été suspendus, le rôle délégué aux psychologues ne pouvant plus tenir. C’est dans un contexte d’entraide et de créativité que l’équipe de psychologues du Centre de services scolaires de la Beauce-Etchemin (CSSBE), dont nous faisons partie, a relevé ses manches. Ce sont des professionnels volontaires, à l’écoute, proactifs, qui ont su définir les besoins, trouver des moyens d’y répondre et instaurer des solutions.
Dès les premières journées de confinement, les membres de l’équipe se sont spontanément mis à l’entraide et ils ont découvert, grâce aux plateformes technologiques, des moyens de se concerter pour offrir leur aide à la population. Les échanges ont permis de créer et d’offrir une gamme de nouveaux services particulièrement utiles pendant le confinement. Ainsi, les psychologues ont mis en place une ligne d’écoute destinée aux parents et ils ont produit une page Web sur laquelle ils ont pu proposer diverses ressources. Ils ont également contacté les organismes communautaires de la région dans le but d’y offrir leur aide, instauré un service de suivis psychologiques à distance pour les adolescents (au moyen de la plateforme Teams, du courrier électronique et d’un réseau téléphonique) et effectué des appels d’amitié aux familles les plus vulnérables. La mise en place de ces nouveaux services a suscité des réflexions et des ajustements dans nos pratiques. Les professionnels ont dû apprendre promptement à utiliser des plateformes technologiques et à créer de nouveaux outils (anamnèse sur Forms, aide-mémoire sur la résilience, etc.). Leurs réflexions ont porté entre autres sur la meilleure manière de joindre les adolescents de 14 ans et plus en respectant leur droit à la confidentialité, sur les façons d’obtenir un consentement éclairé dans un cadre de télépratique, sur le dépistage des enfants victimes de violences ou d’abus, etc. L’équipe devait agir rapidement, sans attendre que des formations, des outils ou des lignes directrices soient disponibles.
En mai dernier, à la suite de l’annonce ministérielle d’un retour en classe optionnel pour les élèves du primaire à l’extérieur de la grande région Montréal, le rôle des psychologues a été modifié à nouveau. En effet, ils ont été sollicités afin de réfléchir aux moyens de faciliter le retour du personnel et des élèves dans un contexte d’anxiété élevé. Avant la rentrée, l’équipe en psychologie et en psychoéducation du CSSBE a mobilisé son énergie avec brio et uni ses forces en produisant un Guide d’accompagnement pour le primaire et une capsule Web à l’intention du personnel. Malgré les très courts délais de production et le fait que les professionnels ne pouvaient échanger qu’au moyen d’outils technologiques, le résultat est un produit de grande qualité.
Lors du retour en classe, en mai dernier, les psychologues ont joué le rôle de premiers secours psychologiques, c’est-à-dire que leurs tâches principales ont été d’offrir leur présence, leur écoute et leur soutien. Au CSSBE, c’est d’ailleurs cette nouvelle posture qui a été proposée par l’employeur, la pratique évaluative étant très facultative à court terme. Conséquemment, au cours des premières semaines de retour en classe, les psychologues ont été déployés différemment dans les écoles. Afin de mieux soutenir les équipes-écoles, d’autres professionnels sont venus prêter main-forte à notre équipe, ce qui a permis à chaque spécialiste d’œuvrer dans une ou deux écoles au lieu des cinq ou six habituelles. Les intervenants concernés ont eu, entre autres, à promouvoir le sentiment de sécurité et celui de compétence personnelle et collective et à accompagner les adultes et les élèves en souffrance.
Le soutien des élèves et de l’équipe-école (par des actions préventives, universelles ou ciblées) est demeuré la priorité de notre équipe jusqu’à la fin de l’année scolaire. Plusieurs personnes ont soulevé de légitimes réflexions sur la pertinence de procéder à des évaluations psychométriques en ce temps si particulier de pandémie. Un objectif commun a toutefois semblé consensuel : favoriser le développement et le bien-être de chaque enfant. C’est donc avec prudence, jugement et modération que la décision d’effectuer ou non des évaluations psychométriques a été prise. Toutefois, soulignons que les psychologues étaient unanimes à ce sujet : nous ne procéderions à une évaluation que si elle était importante, urgente, nécessaire et que nous n’avions pas d’autre possibilité pour répondre aux besoins de l’élève. De plus, une attention particulière a été portée au fait de ne pas voir comme une pathologie un élément dû au contexte de la crise sanitaire : c’est-à-dire qu’avant de procéder à une évaluation, il fallait s’assurer que la problématique était présente avant la pandémie et que la situation actuelle n’avait pas pour effet d’exacerber les éléments sur lesquels notre évaluation porterait.
Nous avons choisi d’orienter nos agissements en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant afin d’éviter de lui porter préjudice, tant par nos actions que par nos inactions, et cette philosophie nous a servi de guide pour prendre nos décisions.
Aussi, dans notre organisation, un comité a procédé à une recension des écrits et à une réflexion commune afin de soumettre des suggestions à l’équipe concernant les différentes facettes à prendre en compte en contexte d’évaluation formelle. Faute d’espace, nous ne les énumérerons pas de façon exhaustive. Plusieurs ajustements ont toutefois été nécessaires, notamment en ce qui a trait au défi de procéder à des observations en classe tout en respectant les mesures de distanciation, d’effectuer des entrevues téléphoniques avec les parents, de transcrire et de transmettre les questionnaires au moyen d’un formulaire électronique, de nous adapter au matériel nécessaire pour éviter la propagation du virus (gants, visière, masque, produits désinfectants, etc.).
Au moment d’écrire ces lignes, la menace d’une deuxième vague est bien réelle. De nouveaux défis se présenteront à nous, mais nous serons certainement mieux outillés pour y faire face. Par ailleurs, malgré le contexte particulier, des idées novatrices auront fort probablement changé nos façons de faire de façon durable, notamment en ce qui a trait à l’intégration des outils technologiques dans nos pratiques, ce qui est très aidant sur les territoires étendus comme celui de notre région. De plus, la vision des acteurs du milieu s’est modifiée au regard des contributions que les psychologues peuvent apporter en milieu scolaire. Bien que déjà connue dans nos écoles, l’approche RAI a prouvé hors de tout doute sa pertinence et sa nécessité auprès des acteurs du milieu. Souhaitons que cette perception persiste dans les mois à venir, car il est utopique de croire qu’il sera possible, avec les ressources humaines actuelles, de rattraper tous les retards causés par la pandémie.
Références
- Centre de services scolaires de la Beauce-Etchemin. (2020). Guide d’accompagnement pour le primaire. Favoriser le retour des intervenants et des élèves.
- Organisation mondiale de la santé, War Trauma Foundation et World Vision International. (2012). Les premiers secours psychologiques : guide pour les acteurs de terrain. Genève, Suisse.
- Ordre des psychologues du Québec. (2020). Conseils aux enfants de 6 à 11 ans.