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Neurosciences, séduction et fallacieux sentiment de crédibilité

Dr Yves Martineau, neuropsychologue et conseiller scientifique à la Direction de la qualité et du développement de la pratique de l'Ordre des psychologues du Québec - ymartineau@ordrepsy.qc.ca

Avec la collaboration du Dr William Aubé, neuropsychologue et conseiller scientifique, de Denis Houde, psychologue et conseiller en déontologie, de Marc Lyrette, psychologue et syndic, de la Dre Isabelle Montour-Proulx, neuropsychologue et responsable de l'inspection professionnelle et de la Dre Véronique Parent, psychologue et conseillère à la qualité et au développement de la pratique de l'Ordre.


Les explications de phénomènes psychologiques sont jugées plus crédibles ou plus satisfaisantes lorsqu’elles traitent de neurosciences. Même de l’information neuroscientifique qui est sans pertinence, voire hors de propos, peut interférer avec la capacité à considérer de façon critique la logique d’une explication.

Weisberg et ses collaborateurs (2008) ont vérifié cette hypothèse auprès d’adultes sans connaissances spécifiques en psychologie ou en neuroscience, d’étudiants dans un cours d’introduction aux neurosciences et d’experts. La procédure consistait à leur donner une brève description de phénomènes psychologiques qui était suivie d’un des quatre types d’explications possibles dans lequel on croisait la qualité de l’explication (bonne ou mauvaise) avec une information qui pouvait être soit neutre, soit neuroscientifique. Ce qui est crucial, ici, c’est que les informations en neuroscience n’avaient aucun lien avec la logique de l’explication. Les sujets dans les trois groupes jugèrent les bonnes explications plus satisfaisantes que les mauvaises. Fort bien ! Cependant, les non-experts jugèrent que les explications contenant des informations sur les neurosciences étaient plus satisfaisantes que celles qui en étaient dépourvues. L’information neuroscientifique masquait donc les problèmes de ces explications (Weisberg et al., 2008).

D’autres expériences menées par McCabe et Castel (2008) ont montré que les images cérébrales sont plus convaincantes, car elles fournissent une explication physique tangible des processus cognitifs. Malgré les limites bien établies de l’imagerie cérébrale, non seulement le public, mais aussi des personnes scolarisées, notamment les psychologues, peuvent la valoriser sans bien tenir compte de ses lacunes. Une de celles-ci concerne la taille des échantillons des études reliant les caractéristiques de l’imagerie cérébrale à des traits comme les capacités cognitives : celle-ci est fréquemment trop petite pour être fiable. Marek et ses collaborateurs (2022) ont montré que la taille médiane de l’échantillon des études de neuro-imagerie, laquelle est d’environ 25, est trop faible pour mesurer des associations de phénotypes cerveau-comportement reproductibles1. Peuvent également s’ajouter des défauts méthodologiques2.

Neuroenchantement

Ali et ses collaborateurs (2014) ont testé les limites du phénomène de fascination pour les neurosciences, c’est-à-dire toute explication impliquant une composante neuropsychologique, et l’ont baptisé « neuroenchantement ». Ils ont introduit des participants à un scanneur du cerveau grossièrement simulé avec un vieil ordinateur et un antique sèche-cheveux de salon de coiffure des années 1970 qui était utilisé pour la mise en plis (Figure 1). On leur a expliqué que la machine mesurerait leur activité neurale, analyserait les données, puis inférerait le contenu de leurs pensées. Tout au long de la procédure d’« imagerie », une vidéo préenregistrée affichait des tranches tridimensionnelles de cerveau en rotation accompagnées d’un son similaire à celui d’un scanneur, donnant ainsi l’apparence de collecter et d’analyser l’activité cérébrale. Malgré l’infaisabilité actuelle d’une telle lecture et traduction des pensées, les participants n’étaient ni sceptiques ni méfiants, et la plupart des étudiants, incluant ceux de niveau avancé en neuroscience et en psychologie, ont jugé cette technologie improbable hautement plausible. Le jugement critique des étudiants a été biaisé par le contexte et les prémisses de l’étude (autorité scientifique en présence, équipements pseudosophistiqués, etc.).

Formation continue

Dans le cadre de la reconnaissance des activités de formation continue en psychothérapie, le neuroenchantement paraît poindre dans certaines demandes. Dans un cas, on proposait une formation à ceux « […] qui désirent découvrir de nouveaux modèles d’intervention en lien avec les neurosciences, les plus grandes recherches en psychologie et le développement de l’enfant ». Cette formulation ronflante mousse la formation en tablant sur le biais en faveur des neurosciences. Dans un autre cas, la technique utilisée était réputée fondée sur les neurosciences, argument d’autorité avancé sans qu’aucun contenu neuroscientifique soit détaillé dans le plan de formation.

Figure 1.

Le faux dispositif de neuro-imagerie fait de bric et de broc mis au rebut, y compris un sèche-cheveux de salon de coiffure des années 1970 récupéré de la ferraille. Tout au long de l’analyse simulée, une vidéo préenregistrée affichait des tranches de cerveau tridimensionnelles en rotation accompagnée d’un son de type scanneur, donnant l’apparence de collecter et d’analyser des modèles d’activité cérébrale (Ali et al., 2014).

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Dans d’autres dossiers et, heureusement, ils sont rares3, les relents du neuroenchantement s’accompagnaient également de difficultés de compréhension des notions relatives au système nerveux central, dont voici quelques illustrations : « […] un traitement utilisant [la technique] synchronise la connexion du cerveau primitif (paléocortex) au reste du cerveau et favorise le traitement de symptômes traumatiques. » Ailleurs, il était question que la technique « stimule le cerveau limbique afin de relâcher les émotions qui y sont bloquées » et qu’avec la « respiration thérapeutique », ladite technique fasse « entrer en dialogue les deux hémisphères du cerveau ». On affirmait par ailleurs, sans être en mesure de citer des sources pertinentes, que la technique permettait de « libérer les molécules d’émotions restées dans les récepteurs opiacés au niveau amygdalien et d’actualiser le potentiel spécifique à chaque hémisphère ». Cette description sursaturée de vocabulaire à saveur neuroscientifique n’a évidemment aucun sens, mais paraît conférer crédibilité et puissance à la « technique ».

Une autre demande de reconnaissance offrait à toute personne vivant de la détresse psychologique, qu’elle soit psychique, « comportementale » ou « psychosomatique », de résoudre des problèmes comme les troubles dépressifs, les troubles anxieux, les troubles du sommeil, les troubles de dépendance, le trouble de stress post-traumatique et les troubles somatoformes en utilisant une technique consistant à écrire ses problèmes avec la main gauche (non dominante), laquelle exprimerait le côté rationnel, puis de répondre de la main droite (dominante), laquelle exprimerait le côté émotionnel. D’emblée, on aurait pu s’attendre intuitivement à l’inverse étant donné la localisation controlatérale des fonctions de préhension dans le cerveau, mais, surtout, comme le mentionne Cozolino (2012), depuis 40 ans, on a à plusieurs reprises écrit sur le côté artiste (émotif) du cerveau droit et logique du cerveau gauche. Bien que cette perspective soit attirante, elle demeure beaucoup trop simpliste. On doit se montrer prudent lorsqu’on assigne des fonctions précises à des aires particulières du cerveau, et l’on doit se rappeler que nos connaissances évoluent encore.

Ceux qui pensent que la formation en psychologie pourrait « immuniser » contre cet effet devraient considérer une recherche de Weisberg et ses collaborateurs (2015), où on a soumis des étudiants de psychologie (prégradués) à une tâche visant à distinguer la bonne de la mauvaise explication d’un phénomène. Les sujets réussissaient généralement à choisir la bonne explication, sauf lorsque la mauvaise explication contenait des informations sur les neurosciences et la bonne non. La présence de neuroscience représentait donc d’emblée le marqueur d’une bonne explication pour les participants.

Selon Hopkins et ses collaborateurs (2016), le neuroenchantement est dû à une préférence générale pour les explications réductrices. Au cours de cette étude, les participants ont jugé meilleures les explications contenant des informations réductrices non pertinentes dans un éventail de sciences. L’effet d’allure séductrice n’est donc pas propre au couple psychologie et neurosciences, mais c’était pour celui-ci qu’il était le plus fort. Dans ce cas, l’impact de la réduction peut être renforcé par une conception relativement positive (plus crédible) des neurosciences, combinée à une conception relativement négative (moins crédible) de la psychologie (Hopkins et al., 2016).

Neuromythes

Kim et Zalaquett (2019) ont montré que les étudiants en réadaptation, en psychologie et en éducation acceptent largement les mythes concernant les neurosciences. Ces résultats sont cohérents avec ceux rapportés par Dekker et ses collaborateurs (2012) ainsi que par Macdonald et ses collaborateurs (2017) et suggèrent que les étudiants de premier cycle des programmes de profession d’aide entretiennent des neuromythes semblables à ceux des enseignants et des enseignants en formation.

Carboni et ses collaborateurs (2021) ont montré que parmi les personnes qui s’intéressent aux neurosciences, celles qui participent à des activités de plus longue durée (cours, stages de recherche) sont moins vulnérables aux neuromythes4 que celles qui ne font que suivre de la formation continue ou lire des publications de vulgarisation. Entendons- nous bien, le problème n’est pas tant d’avoir de fausses croyances sur le cerveau, surtout dans le secteur en pleine croissance des applications potentielles des neurosciences. Le problème est que si les spécialistes peuvent apprécier la base de preuves des affirmations, ceux qui ne sont pas spécialisés sont à la merci des meilleurs communicateurs, qui ne rapportent pas forcément les faits les plus véridiques (Carboni et al., 2021).

Neuromythes et biais cognitifs

L’étude de Van Elk (2019) auprès de participants recrutés en ligne a montré que la croyance aux neuromythes était liée à un style de pensée plus intuitif (par opposition à un style analytique), à un fort besoin de fermeture cognitive5, à une vision simple de la cognition, et à la croyance que l’intelligence est fixée et inversement liée à la culture scientifique. Cela étant, spécialistes et scientifiques ne sont pas à l’abri des mythes et du neuroenchantement. L’étude de Macdonald et ses collaborateurs (2017) qui comparait l’endossement des neuromythes chez les éducateurs, le grand public et les personnes fortement exposées aux neurosciences6 a montré que les facteurs qui favorisent la non-adhérence aux neuromythes étaient le fait d’avoir un diplôme d’études supérieures, celui de suivre de nombreux cours de neurosciences et celui de lire des revues à comité de lecture.

Selon Lithander et ses collaborateurs (2021), les croyances dans les neuromythes, lorsqu’elles sont réfutées, peuvent conduire à une révision durable des connaissances. Cependant, la revue de Rousseau (2021) a montré qu’un accès limité aux articles révisés par les pairs et l’exposition à des sources anecdotiques (récits de collègues, expériences personnelles7) peut prendre le pas sur la science, et résulterait d’un biais de confirmation8 (Riener et Willingham, 2010). La recherche a aussi montré que les textes de réfutation, basés sur des preuves scientifiques, ne rivalisent pas bien avec les preuves anecdotiques9. Comme l’a spéculé Pasquinelli (2012), les biais cognitifs de disponibilité10 et de familiarité11 pourraient également jouer un rôle critique ici.

Conclusion

Deux constats peuvent maintenant être tirés. Le premier a trait à l’expertise du psychologue formateur lorsqu’il utilise les connaissances en neurosciences dans la conception d’une formation. Reconnaît-il les limites de sa propre compétence ? Est-il en mesure de situer l’état des connaissances actuelles en neurosciences concernant le sujet de son enseignement ? Clarifie-t-il avec humilité ses limites avec les participants afin de modéliser la prudence professionnelle ? Le deuxième constat concerne le psychologue participant à une formation. Est-il sensible au neuroenchantement que Ramus (2018) a décrit comme l’aura et la réputation de « science dure » des neurosciences par rapport à la psychologie, discipline qui peut sembler (à tort) un peu désuète et « molle » ? Aborde-t-il les neurosciences avec un esprit critique ? L’attitude la plus saine consiste à reconnaître que les neurosciences peuvent induire de la fascination, voire une illusion de crédibilité à laquelle nous pouvons tous être sensibles à divers degrés. Lorsque la formation du psychologue ne lui permet pas de distinguer les informations exactes de celles qui sont inexactes et de distinguer les neuromythes des découvertes scientifiques (voir l’encadré « Quiz »; les réponses sont à la fin de la liste des références), il convient de demeurer prudent. Et il faut l’être en particulier lorsque l’on reçoit des affirmations présentées comme des vérités sans preuve pour les soutenir, incluant dans une formation reconnue par l’Ordre12. Le cerveau n’est pas l’esprit. Sur le plan pratique, c’est la question de la réelle contribution des explications neuroscientifiques à une approche, à une méthode ou à une technique de psychothérapie qu’il faut poser.


Vrai ou faux?

(Tiré de Kim et Zalaquett, 2019)

  1. Les différences de dominance hémisphérique (cerveau gauche, cerveau droit) peuvent aider à expliquer les différences individuelles entre les apprenants.
  2. Les hémisphères gauche et droit du cerveau travaillent toujours ensemble.
  3. Il y a des périodes critiques dans l’enfance après lesquelles certaines choses ne peuvent plus être apprises.
  4. La plupart des apprentissages ne sont pas dus à l’ajout de nouvelles cellules au cerveau.
  5. Les individus apprennent mieux lorsqu’ils reçoivent des informations dans leur style d’apprentissage préféré (par exemple, auditif, visuel, kinesthésique).
  6. La production de nouvelles connexions dans le cerveau peut se poursuivre jusqu’à un âge avancé.
  7. Les environnements riches en stimuli améliorent le cerveau des enfants d’âge préscolaire.
  8. Le développement normal du cerveau humain implique la naissance et la mort de cellules cérébrales.

RÉPONSES AU QUIZ
Les chiffres pairs dans le quiz sont des connaissances générales portant sur les neurosciences et sont tous vrais, alors que les chiffres impairs sont des mythes et sont tous faux.

Notes et bibliographie

Notes

  1. Même les associations établies dans une étude de 2 000 participants – importantes selon les normes actuelles – n’avaient que 25 % de chances d’être reproduites. Des études plus typiques, avec 500 participants ou moins, ont produit des associations fiables environ 5 % du temps seulement (Callaway, 2022 ; Marek et al., 2022).
  2. Par exemple, dans plus de la moitié des 55 études analysées par Vul et ses collaborateurs (2009) utilisant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour étudier l’émotion, la personnalité et la cognition sociale, les auteurs des études originales ont reconnu avoir utilisé une stratégie qui gonfle artificiellement les corrélations tout en produisant des diagrammes de dispersion d’apparence rassurante.
  3. L’Ordre promeut la collaboration avec les formateurs lorsque des lacunes sont repérées dans une demande de reconnaissance et, dans la plupart des cas, les formateurs coopèrent avec le conseiller, tiennent compte des observations et fournissent des révisions pertinentes ou retirent simplement leur demande de reconnaissance. Ainsi, sur plus de 4 500 demandes de reconnaissance depuis 2012, le conseiller a renvoyé avec recommandation de refus au comité de reconnaissance des activités de formation continue en psychothérapie moins d’une dizaine de dossiers au motif que le contenu n’était pas fondé sur des modèles reconnus sur les plans scientifique et professionnel.
  4. Fausse croyance sur le fonctionnement neuronal.
  5. Le besoin de fermeture cognitive est défini comme le désir d’obtenir une réponse afin de mettre fin au traitement de l’information et au jugement, même si cette réponse n’est pas la bonne ou la meilleure réponse (https://sjdm.org/dmidi/Need_for_(Cognitive)_Closure_Scale.html). Ce besoin se manifeste de manière latente dans des aspects comme le désir de prévisibilité, la préférence pour l’ordre et la structure, le malaise face à l’ambiguïté, voire à l’étroitesse d’esprit. Pour plus d’information, voir Roets et Van Hiel (2011) ainsi que Webster et Kruglanski (1994).
  6. Ce groupe rassemblait des personnes ayant suivi plusieurs cours (collège, université) en neuroscience.
  7. Selon Pasquinelli (2012), les personnes qui rapportent leurs expériences personnelles ont tendance à se concentrer sur les succès et à omettre les ratés (perception et souvenirs sélectifs), à voir des corrélations là où il n’y en a pas (corrélation illusoire) et à déduire la causalité de la corrélation (causalité illusoire).
  8. C’est la tendance instinctive de l’esprit humain à rechercher en priorité les informations qui confirment sa manière de penser et à négliger tout ce qui pourrait la remettre en cause.
  9. Selon les théories du double traitement de la cognition (Dual Processing Theories of Cognition; Kahneman, 2011 ; Evans et Stanovich, 2013), les gens s’engagent dans deux modes de pensée. La pensée de type 1 est un mode rapide, automatique et intuitif qui s’appuie sur des preuves anecdotiques et l’expérience personnelle, tandis que la pensée de type 2 est un mode plus lent, exigeant et réfléchi qui s’appuie sur la raison et l’analyse objective.
  10. Mode de raisonnement qui se base uniquement ou principalement sur les informations immédiatement disponibles en mémoire, sans chercher à en acquérir de nouvelles concernant la situation.
  11. Ce biais consiste à faire davantage confiance à ce qui nous est familier ou proche, à ce qu’on connaît le mieux, même de manière vague, et à le favoriser par rapport à d’autres options.
  12. L’examen le plus fin soit-il d’un plan de formation par le conseiller ne saurait traduire tout ce qu’un formateur avancera au cours d’une formation. Par ailleurs, le processus de reconnaissance ne signifie pas que l’Ordre des psychologues du Québec s’est prononcé sur la valeur ou la validité de l’activité de formation continue. Il s’agit essentiellement de s’assurer que l’activité a un lien avec l’exercice de la psychothérapie, comme le précise la résolution du conseil d’administration sur les modalités de formation continue en psychothérapie. L’Ordre ne se porte pas garant des contenus enseignés et ne considère pas les formations reconnues comme étant nécessairement supérieures à d’autres activités de formation. Sur le plan pédagogique, le processus de reconnaissance n’a pas comme objectif de conclure sur le design pédagogique de l’activité. L’Ordre s’assure d’une certaine cohérence entre les objectifs et le descriptif de l’activité, dont le contenu doit respecter les normes scientifiques et professionnelles en psychologie.

Bibliographie