La surprotection maternelle : origine, croyances et tempérament de l’enfant
Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée
En phase d’évaluation auprès d’une dyade mère-enfant, un psychologue se penche sur la dynamique relationnelle en jeu entre Thomas, trois ans, qui semble timide et a un comportement fuyant, et sa mère Mathilde, qui se dit dépassée par la myriade de dangers associés au développement d’un enfant.
La théorie familiale systémique met en lumière l’interaction de facteurs découlant à la fois du parent et de l’enfant dans la dynamique entre un enfant anxieux et son parent présentant des comportements anxiogènes. La surprotection parentale, à savoir un type de parentalité hypercontrôlant, implique des comportements démesurément protecteurs pour l’enfant dans des contextes où cela ne s’avère pas nécessaire, ce qui a pour effet de limiter le développement de l’autonomie de l’enfant. Ce dernier peut en arriver à se percevoir comme étant incapable de se réguler ou de composer avec son environnement par lui-même, ce qui peut générer et alimenter son anxiété. Le tempérament inhibé de l’enfant, mis en lumière par un comportement de retrait en réponse à de nouvelles personnes ou à de nouveaux stimuli ou environnements, est l’un des facteurs associés à la parentalité surprotectrice, de même que l’arythmie sinusale respiratoire (ASR) maternelle. L’ASR désigne la variation de la fréquence cardiaque influencée par la respiration normale de la mère, et constituerait une mesure du système nerveux parasympathique, à l’origine de la régulation des systèmes corporels après un stress. La théorie polyvagale associe l’ASR à la capacité de régulation émotionnelle, quoique d’autres études ne confirment pas cette corrélation. Une investigation plus poussée apparaît donc nécessaire pour permettre de bien comprendre les mécanismes en jeu derrière la surprotection parentale. Il se peut que la mesure de l’anxiété de l’enfant, combinée à des facteurs maternels comme l’ASR, puisse aider à mieux prédire la capacité d’autorégulation maternelle, elle-même associée à la capacité du parent d’être moins réactif, d’une part, et de se centrer davantage sur les émotions et comportements de l’enfant plutôt que sur les siens propres, d’autre part.
Bien qu’un tempérament inhibé chez l’enfant apparaisse corrélé à la surprotection maternelle, les mécanismes soutenant cette corrélation restent à identifier, avec une hypothèse pointant la cognition maternelle. Le modèle du traitement de l’information sociale (en anglais, la théorie SIP : Social Information and Emotion Processing), qui consiste à caractériser les étapes du traitement de l’information sociale (Lemerise et Arsenio, 2000), soutient cette hypothèse en suggérant que les indices émotionnels communiqués par les enfants et les réponses physiologiques maternelles associées ont des répercussions sur l’interprétation et les comportements parentaux.
L’étude d’Aaron et Kiel (2024) considère la relation entre (1) le tempérament inhibé de l’enfant, (2) l’ASR maternelle de base, (3) les croyances maternelles à propos de l’anxiété de l’enfant (CMA) et (4) la surprotection maternelle. Afin d’aider à comprendre le style parental surprotecteur à partir du modèle du traitement de l’information sociale, l’étude explore les relations entre ces quatre variables, à des moments précis de la petite enfance (un, deux et trois ans), permettant une perspective longitudinale (valeur prédictive de certaines corrélations). Dans cette étude, 189 dyades mère-enfant mènent en laboratoire quatre tâches évaluant le tempérament inhibé de l’enfant et l’ASR maternelle de base. Les mères remplissent des questionnaires (perception du tempérament de l’enfant et CMA), et une dernière situation en laboratoire relève les comportements maternels de réconfort et de surprotection de l’enfant.
Cette étude démontre que le modèle du traitement de l’information sociale s’avère utile à une meilleure compréhension des relations parent-enfant, dans le « ici et maintenant ». D’abord, le tempérament inhibé de l’enfant (perçu et observé) s’avère corrélé à la surprotection maternelle (observée), ce qui confirme l’hypothèse selon laquelle des comportements de surprotection se déploient généralement de la part d’une figure maternelle envers un enfant en retrait face à l’environnement.
Les conclusions sont plus nuancées quant au lien entre tempérament inhibé de l’enfant et CMA. Aucune corrélation ne ressort pour les enfants de deux et trois ans, mais le tempérament de l’enfant pourrait effectivement être lié aux croyances maternelles chez les bébés d’un an. L’ASR de la mère, quant à elle, apparaît corrélée positivement à la surprotection maternelle envers les enfants de trois ans, et aucune corrélation ne ressort entre l’ASR maternelle et les CMA. Or, des résultats non concordants entre l’ASR et la régulation émotionnelle dans la documentation scientifique invitent à la prudence face à l’ASR comme mesure directe de l’autorégulation émotionnelle.
Sur le plan longitudinal, on conclut que les CMA au sujet de l’enfant d’un an permettent de prédire la perception du tempérament inhibé de l’enfant à deux ans; ces croyances influencent donc la manière dont la figure maternelle interprète les réponses émotionnelles du jeune enfant face à son environnement. Ensuite, les CMA au sujet de l’enfant de deux ans permettent de prédire la surprotection maternelle lorsque l’enfant a trois ans. Lorsqu’on exclut l’effet de la perception du tempérament inhibé de l’enfant, il ressort que ce tempérament observé à l’âge d’un an est corrélé à la surprotection maternelle à deux ans. Ceci vient appuyer le fait que les croyances maternelles sont associées aux comportements parentaux tout au long de la petite enfance.
Ces résultats, quoique faisant ressortir la pertinence de mener de plus amples recherches, ouvrent la voie à des pistes d’exploration intéressantes dans un contexte clinique, notamment l’évaluation des perceptions et croyances des mères (et éventuellement des deux parents), de même que de leurs capacités de régulation émotionnelle, afin de mieux comprendre le développement de l’enfant. En effet, le tempérament inhibé de l’enfant et les CMA importent dans un contexte de parentalité anxiogène pour l’enfant, et le traitement de l’anxiété de l’enfant gagnerait à prendre en compte à la fois les processus émotionnels de l’enfant et les croyances et comportements du parent.
Bibliographie
- Aaron, E. M. et Kiel, E. J. (2024). The pathway to maternal protective parenting behavior: Maternal physiology, child temperament, and maternal beliefs. Journal of Family Psychology, 38(6), 899-910. https://doi.org/10.1037/fam0001252