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Le vécu des parents face aux difficultés neurodéveloppementales de leur enfant

Dre Élysa Côté-Séguin, psychologue
Travaillant au CHU Sainte-Justine, elle oeuvre notamment au Centre intégré du réseau en neurodéveloppement de l’enfant (CIRENE) auprès d’enfants nés très prématurément ou présentant un diagnostic génétique et de leurs parents.

 

Dre Gabrielle Sabourin, psychologue
Neuropsychologue travaillant au CIRENE du CHU Sainte-Justine, elle pratique auprès d’adolescents et d’adolescentes chez qui on soupçonne un trouble du spectre de l’autisme.

 


En clinique évaluative neurodéveloppementale, le processus d’évaluation et l’annonce du diagnostic neurodéveloppemental de l’enfant peuvent susciter de vives réactions émotionnelles chez les parents, qui cherchent des repères dans la construction de leur parentalité. Ce sujet intéresse d’ailleurs les professionnels de la santé mentale depuis de nombreuses années. Nous présenterons ici les principales réactions émotionnelles des parents et les mécanismes psychologiques auxquels ils font appel, tels que rapportés dans les écrits scientifiques et observés dans notre pratique clinique. Nous lancerons également des pistes de réflexion pour accompagner les parents à travers le processus évaluatif lorsque des défenses inadaptées viennent compliquer celui-ci. Considérant notre expérience clinique, nous avons centré nos réflexions sur le vécu des parents dont l’enfant présente un enjeu neurodéveloppemental. Toutefois, nos lectures suggèrent qu’une condition médicale chez l’enfant peut engendrer des réactions semblables chez ses parents.

Le chamboulement de l’équilibre

Les besoins particuliers d’un enfant neurodivergent viennent chambouler l’équilibre familial et l’équilibre personnel des parents, qui peuvent ressentir la même exclusion sociale que celle qu’ils craignent pour leur enfant (Korff-Sausse, 2007). Lavoie (2017) rapporte que les parents dont un enfant présente un problème de santé ou de développement ressentent une pression sociale quant à la façon dont ils s’occupent de leur enfant. Elle indique également que ces parents, surtout les mères, diminuent leur implication professionnelle, sentent qu’ils sont en moins bonne santé, rapportent qu’ils s’entendent moins bien avec leur partenaire sur la façon d’intervenir, ou sont insatisfaits quant au partage des tâches liées aux enfants. De plus, ces parents, surtout les pères, ressentent une pression de la part de leur partenaire quant à la façon de prendre soin des enfants.

Les réactions émotionnelles des parents

Des deuils sont observés chez les parents d’enfants neurodivergents, notamment le deuil de l’enfant idéalisé ou imaginé (Gardou, 2006). En pleine construction de leur identité parentale, ils ressentent souvent une blessure psychique (Korff-Sausse, 2007) les obligeant à réaménager leur vécu, leur lien à leur entourage et à la vie (Vanden Driessche, 2010). Des sentiments de faible satisfaction et de faible efficacité parentale ainsi qu’un stress fort sont souvent vécus par ces parents (Lavoie, 2017).

Un important sentiment de culpabilité est généralement présent, amenant plusieurs parents à chercher des causes et à tenter de « réparer » leur enfant (Gardou, 2006 ; Vanden Driessche, 2010). Ils s’investissent alors intensément pour le stimuler. Il semble d’ailleurs que les mères s’imposent une pression particulièrement intense dans la façon dont elles s’occupent de leurs enfants (Lavoie, 2017).

Les mécanismes psychologiques

Face à cette souffrance, les parents utilisent divers mécanismes de défense (Gardou, 2006). Certains nient les symptômes ou refusent d’admettre la gravité et la permanence du trouble de leur enfant. Ils bâtissent alors un enfant parallèle remplissant plusieurs rôles dans les représentations qu’ils se font de leur enfant et de la vie future avec celui-ci (Vanden Driessche, 2010). Par cet enfant parallèle, les parents naviguent entre l’idéalisation et la désidéalisation de leur enfant, acceptant progressivement la séparation et l’individuation de celui-ci.

Les parents peuvent en effet avoir d’abord tendance à maintenir une relation fusionnelle avec leur enfant, compensant ses besoins de soutien plus importants et évitant de faire face à son altérité (Gardou, 2006 ; Vanden Driessche, 2010). Une surprotection de l’enfant et une mise à distance de l’entourage et des professionnels sont alors observées. Certains parents ont également tendance à bâtir un masque dissimulant leur souffrance, qui leur permet parfois de faire le tri entre les personnes réellement soutenantes et celles qui peuvent les décevoir (Gardou, 2006). Gardou explique que, dans certains cas, un processus de nidification est observé, au cours duquel les parents se reconstruisent et retrouvent leur équilibre à l’abri derrière une barrière protectrice. Ce mécanisme renforce la cellule familiale, ce qui permet à chacun de s’y appuyer pour faire face aux défis futurs pouvant découler des difficultés neurodéveloppementales chez l’enfant. L’avenir amenant de nombreuses préoccupations, les parents vivent au jour le jour, guidés par le rythme des soins à offrir à leur enfant, mettant souvent leur vie personnelle et professionnelle sur pause (Gardou, 2006).

Afin de pouvoir réaménager l’équilibre familial fragilisé par la venue d’un enfant neurodivergent, les parents doivent pouvoir se mettre en action et établir des stratégies de coping adaptées à leur réalité (Gardou, 2006). Celles-ci peuvent être centrées sur le problème ou sur l’émotion (Vernhet et al., 2019). Les stratégies centrées sur le problème visent à réduire les exigences d’une situation et à augmenter les ressources personnelles de l’individu pour y faire face (recherche d’informations, efforts et actions pour modifier le problème). Les stratégies centrées sur l’émotion, quant à elles, visent à réguler les réponses émotionnelles face au stress et à modifier l’attitude de la personne envers le stresseur (minimisation, prise de distance, réévaluation positive, évitement, recherche de soutien émotionnel). Les parents qui sont déprimés ou anxieux auraient davantage recours aux stratégies centrées sur l’émotion (Ben Thabet et al., 2013). Pour leur part, les parents présentant un meilleur sentiment d’efficacité parentale ressentiraient moins de stress face aux difficultés de développement de leur enfant (Lavoie, 2017). Une autre stratégie utilisée par les parents pour aller de l’avant, appelée en anglais advocacy, est de promouvoir le bien-être et les besoins de leur enfant et de défendre ses droits. Cela favorise la progression des parents dans leur adaptation face à la réalité de l’enfant et soutient leur gestion émotionnelle (Boshoff et al., 2019).

L’accompagnement des parents dans les processus évaluatifs

Les premiers questionnements sur le développement d’un enfant et l’amorce des processus évaluatifs peuvent créer des divergences de perceptions entre cliniciens et parents, à un moment où ces derniers sont particulièrement sensibles sur le plan affectif. Les intervenants de première ligne jouent alors un rôle complexe, mais central dans le parcours parental. Ces premières expériences ayant une influence durable sur l’établissement de relations futures avec d’autres prestataires de services, il est important qu’elles soient positives (Boshoff et al., 2019).

Pendant le processus de diagnostic, il apparaît pertinent de promouvoir des soins centrés sur la famille entière plutôt qu’uniquement sur les besoins de l’enfant (Boshoff et al., 2019 ; Gardou, 2006). Une approche orientée vers la famille serait donc bénéfique pour briser le sentiment d’isolement et pallier le manque de soutien social rapportés par Lavoie (2017). Devant certaines impasses, les outils psychométriques peuvent soutenir les cliniciens dans leur rôle auprès des parents. Le Reaction Diagnosis Interview, un entretien semi-structuré, permet au clinicien de s’intéresser au vécu émotionnel des parents avant et après le diagnostic neurodéveloppemental ou médical, à leurs inquiétudes passées et présentes, et au sens qu’ils donnent aux difficultés diagnostiquées chez leur enfant. D’autres outils évaluant les mécanismes d’adaptation des parents (Brief Cope) et leur niveau de stress (Indice de stress parental) peuvent également être utilisés.

L’attitude des cliniciens pendant et après le processus diagnostique est déterminante dans le cheminement des parents. Lors des rencontres-bilans, il importe d’adopter un langage accessible et positif ainsi qu’un style de communication chaleureux et personnel, et de partager efficacement et précisément les informations. Des informations adéquates et mesurées données par les cliniciens contribueraient à atténuer le sentiment de culpabilité des parents et à améliorer leur qualité de vie. Du côté des professionnels, la complexité de ces rencontres-bilans s’explique par l’importance d’offrir suffisamment d’informations vulgarisées tout en s’assurant de la compréhension des parents et en considérant leurs émotions et leur niveau de détresse (Rogers et al., 2016, cités dans Boshoff et al., 2019). Pour naviguer adéquatement dans ces moments difficiles, les professionnels doivent s’interroger sur leurs propres réactions face aux caractéristiques hors norme de l’enfant et à son diagnostic, s’autoriser à créer eux aussi un enfant parallèle, ce qui leur permettra de l’investir tout en reconnaissant ses différences, et reconnaître leur impuissance face à la situation (Gardou, 2006 ; Vanden Driessche, 2010).

Le rôle du psychologue

Le psychologue, par sa compréhension des dynamiques familiales et intrapsychiques, peut jouer un rôle important en portant la voix des parents et leurs besoins auprès des équipes de soins. À travers notre expérience clinique, nous avons pu observer les fossés qui peuvent s’installer entre les besoins des équipes soignantes et les besoins des parents, créant ainsi certaines impasses. Nous partageons la vision de Pertsowsky (2014), qui décrit le rôle d’un psychologue (ici, affilié à une garderie) de la façon suivante : favoriser l’accueil de l’enfant, affirmer la dimension psychique de chacun, soutenir le travail d’équipe, garantir un espace de pensée, permettre une distance et un recul, accompagner la parentalité, soutenir la place des parents en leur absence et préserver la fonction parentale. Le psychologue peut ainsi appuyer les parents directement dans le processus d’adaptation aux caractéristiques propres à l’enfant, incluant son processus de séparation-individuation (Vanden Driessche, 2010).

En conclusion, le cheminement des parents à travers le processus diagnostique de leur enfant est complexe. Lorsque l’équipe de soins s’intéresse aux besoins des membres de la famille et avance à leur rythme, les parents éprouvent une satisfaction accrue quant aux services offerts et vivent une meilleure adaptation qui leur permet d’être plus disponibles pour soutenir leur enfant.

Bibliographie

  • Ben Thabet, J., Sallemi, R., Hasïri, I., Zouari, L., Kamoun, F., Zouari, N., Triki, C. et Maâlej, M. (2013). Répercussions psycho-affectives du handicap de l’enfant sur les parents. Archives de pédiatrie, 20, 9-16.
     
  • Boshoff, K., Gibbs, D., Phillips, R. L., Wiles, L. et Porter, L. (2019). A meta‐synthesis of how parents of children with autism describe their experience of advocating for their children during the process of diagnosis. Health & Social Care in the Community, 27(4), 143-157.
     
  • Gardou, C. (2006). Quand le handicap s’immisce dans la famille. Peut-on vivre avec et malgré le handicap de son enfant? Dans P. Ben Soussan (dir.), L’annonce du handicap autour de la naissance en douze questions (p. 179-207). Érès, coll. « À l’aube de la vie ».
     
  • Korff-Sausse, S. (2007). L’impact du handicap sur les processus de parentalité. Reliance, 26(4), 22-29.
     
  • Lavoie, A. (2017). L’expérience des parents ayant un enfant atteint d’un problème de santé ou de développement. Portraits & trajectoires, 20(juin), 1-24. Institut de la statistique du Québec.
     
  • Pertsowsky, Y. (2014). Mission de prévention du psychologue en crèche. Psychologues et psychologies, 2(232-233), XI-XVI.
     
  • Vanden Driessche, L. (2010). Le narcissisme parental face au handicap de l’enfant. La Psychiatrie de l’enfant, 53(2), 547-608.
     
  • Vernhet, C., Dellapiazza, F., Blanc, N., Cousson-Gélie, F., Miot, S., Roeyers, H. et Baghdadli, A. (2019). Coping strategies of parents of children with autism spectrum disorder : a systematic review. European Child & Adolescent Psychiatry, 28(6), 747-758.