Troubles psychotiques et TDAH : regard multidisciplinaire et avenues thérapeutiques possibles
Dre Catherine Lehoux, psychologue
Neuropsychologue clinicienne au Département de pédopsychiatrie du CISSS de Chaudière-Appalaches et professionnelle de recherche à la Clinique Notre-Dame-des-Victoires (CNDV) du CIUSSS de la Capitale-Nationale (CIUSSS-CN).
Dr Olivier Corbeil, pharmacien
Pharmacien en établissement de santé à la CNDV du CIUSSS-CN et doctorant en sciences pharmaceutiques à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval, il se spécialise dans le traitement pharmacologique des premiers épisodes psychotiques et de leurs troubles de santé concomitants.
Dre Caroline Cellard, psychologue
Neuropsychologue clinicienne et professeure titulaire à l’École de psychologie de l’Université Laval, elle s’intéresse à la remédiation cognitive en tant que catalyseur favorisant le rétablissement en santé mentale.
Avec la collaboration d'Élizabeth Anderson et Charles Desmeules, étudiants à l’Université Laval sous la supervision de l’équipe de recherche de la CNDV.
Des difficultés attentionnelles, mnésiques et exécutives sont fréquentes chez les personnes composant avec un trouble psychotique, et elles apparaissent souvent avant le premier épisode psychotique. Dans plusieurs cas, ces difficultés cognitives précoces, de même que certains troubles du comportement qui précèdent l’éclosion de la psychose, sont similaires à ce qui est rencontré dans le trouble de déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH). De plus, des données suggèrent que les enfants présentant un TDAH ont un risque accru de développer un trouble psychotique à l’âge adulte comparativement à la population générale (Nourredine et al., 2021). Ainsi, on estime que 10 % à 47 % des adultes souffrant d’un trouble psychotique rencontrent également les critères d’un TDAH (Arican et al., 2019). Bien que la cooccurrence du TDAH et du trouble psychotique soit associée à un moins bon pronostic et à une moins bonne réponse au traitement (Rho et al., 2015), il reste que le TDAH serait sous-diagnostiqué et sous-traité chez les personnes composant avec un trouble psychotique, ce qui représente un frein au rétablissement (Corbeil et al., 2021; Levy et al., 2015).
L‘évaluation du TDAH dans les troubles psychotiques est complexifiée par le fait que ces deux conditions cliniques partagent plusieurs caractéristiques cognitives (difficultés attentionnelles, exécutives et d’apprentissage) et comportementales (troubles du comportement, comme l’agitation et l’impulsivité) susceptibles de survenir tôt dans le développement. En effet, les difficultés cognitives associées au trouble psychotique seraient observables dès l’enfance, avant l’éclosion de la maladie (Mohn-Haugen et al., 2020). De plus, aucune manifestation cognitive n’apparaît comme étant spécifique au TDAH ou au trouble psychotique (East-Richard et al., 2020), le diagnostic de l’une et de l’autre de ces conditions reposant sur la base de l’histoire clinique et développementale. L’hétérogénéité diagnostique inhérente aux troubles psychotiques est également susceptible de contribuer à la complexité de l’évaluation. Enfin, bien que le critère diagnostique E du TDAH – stipulant que le TDAH ne doit être diagnostiqué si « les symptômes surviennent exclusivement au cours d’une schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique » (American Psychiatric Association, 2015, page 68) – ne nie pas la possibilité d’une cooccurrence du TDAH et du trouble psychotique (en utilisant le terme « pas exclusivement »), il peut nourrir une réticence à diagnostiquer un TDAH dans cette population. Pour ces raisons, les difficultés cognitives observées dans le TDAH concomitant au trouble psychotique sont susceptibles d’être attribuées au trouble psychotique seulement, ce qui contribue au sous-dépistage du TDAH chez la population atteinte d’un trouble psychotique.
Dans les faits, parmi les personnes composant avec un trouble psychotique et présentant également des difficultés cognitives et comportementales s’apparentant à ce qui est observé dans le TDAH, certaines personnes rencontrent les critères du TDAH (au chapitre de la sévérité des atteintes et de l’âge de début) et d’autres pas. L’utilisation des psychostimulants pour cibler des déficits cognitifs qui ne seraient pas secondaires à un diagnostic de TDAH a été peu étudiée et les bénéfices étaient minces (Solmi et al., 2019), si bien qu’en clinique ce n’est pas une pratique privilégiée (les risques excédant les bénéfices potentiels).
Le TDAH est également sous-traité dans les troubles psychotiques. En effet, les psychostimulants (méthylphénidate et dérivés des amphétamines) sont les médicaments de première intention dans le traitement du TDAH en raison de leur efficacité reconnue (Canadian ADHD Resource Alliance [CADDRA], 2020). Cependant, leur utilisation est généralement évitée chez les personnes ayant un trouble psychotique, en raison d’un risque d’exacerbation et de survenue de symptômes psychotiques (Solmi, 2019). Or, cette considération repose majoritairement sur des études dans lesquelles les psychostimulants étaient utilisés non pas à des fins thérapeutiques, mais plutôt dans l’objectif d’explorer des anomalies de la transmission dopaminergique (Lieberman, 1987). Des études observationnelles plus récentes n’ont pas objectivé de lien entre la survenue d’une décompensation psychotique et la prise de psychostimulants chez des personnes ayant un trouble psychotique (Gallagher, 2022), ce qui suggère que ce risque est plus faible que ce qui est généralement perçu.
De récentes données observationnelles québécoises (données de la Régie de l’assurance maladie du Québec [RAMQ]) montrent que près de 5 % des Québécois atteints d’un trouble psychotique reçoivent un psychostimulant (Corbeil, article soumis), malgré le fait que cette pratique n’est pas recommandée par les lignes directrices canadiennes (CADDRA, 2020). Selon ces mêmes données, chez plus de 2200 personnes composant avec un trouble psychotique et recevant un traitement antipsychotique, l’introduction d’un psychostimulant ne serait pas associée à un risque accru d’hospitalisation pour une psychose dans l’année suivante (Corbeil, article soumis). Ces résultats appuient ceux d’une précédente étude populationnelle suédoise, dans laquelle l’introduction de méthylphénidate n’augmentait pas le risque de psychose chez 479 personnes présentant un antécédent d’événement psychotique (Hollis, 2019). Bien que ces récentes données suggèrent que l’utilisation des psychostimulants pour les troubles psychotiques soit moins risquée que ce qui est généralement présumé, très peu d’études sont disponibles quant à leur efficacité dans le traitement du TDAH en comorbidité avec les troubles psychotiques (Solmi, 2019). En effet, les essais cliniques à répartition aléatoire menant à la commercialisation des médicaments excluent les individus présentant une telle comorbidité (Taipale, 2022).
Devant ces constats, différentes recommandations cliniques multidisciplinaires peuvent être émises dans l’évaluation et le traitement du TDAH cooccurrent au trouble psychotique. D’une part, le diagnostic du TDAH dans un tel contexte doit s’effectuer selon une démarche rigoureuse qui inclut la réalisation d’une histoire développementale, à dresser notamment auprès des parents, et d’une entrevue diagnostique complète (CADDRA, 2020). D’autre part, le traitement du TDAH cooccurrent au trouble psychotique doit être abordé selon une approche globale et interdisciplinaire. Cela signifie qu’il faut aborder les manifestations cliniques faisant l’objet d’une attention thérapeutique (symptômes psychotiques résiduels, difficultés cognitives, effets indésirables des médicaments antipsychotiques, etc.) en considérant l’influence qu’elles ont les unes sur les autres (répercussions des effets indésirables des antipsychotiques sur la cognition, etc.). En conscience de cette interdisciplinarité, la démarche de traitement aurait avantage à comprendre les étapes décrites ci-après.
Premièrement, les symptômes psychotiques (symptômes positifs, négatifs et de désorganisation) doivent être adéquatement traités à l’aide d’un traitement antipsychotique et psychologique, puisque les perturbations cognitives causées par la présence de tels symptômes peuvent mimer ou exacerber certaines manifestations du TDAH (Corbeil et al., 2021). Le traitement antipsychotique doit viser l’utilisation de la plus faible dose efficace possible et le recours minimal à la polypharmacie, particulièrement les anticholinergiques et les benzodiazépines (également connus pour leur effet négatif potentiel sur la cognition), afin de limiter la survenue d’effets indésirables (Béchard et al., 2021). Deuxièmement, la reconnaissance et la correction des effets indésirables du traitement médicamenteux doivent faire partie des cibles de traitement. Notamment, le ralentissement moteur et psychique associé au parkinsonisme induit par les antipsychotiques peut aggraver des difficultés cognitives. Il existe divers outils permettant de dépister ces effets indésirables (par exemple, l’Extrapyramidal Symptom Rating Scale; Chouinard et Margolese, 2005), et le soutien d’un pharmacien ou d’une pharmacienne est également bénéfique. Troisièmement, la prise en charge du TDAH bénéficiera de la reconnaissance et du traitement de divers troubles concomitants au trouble psychotique comme, sur le plan psychiatrique, les troubles d’utilisation de substances ou les troubles anxieux et de l’humeur et, sur le plan physique, l’apnée du sommeil ou les carences nutritionnelles (Leucht, 2007). En effet, chacune de ces conditions est associée à de possibles difficultés cognitives, qui peuvent alors s’ajouter à celles causées par le trouble psychotique et le TDAH. Quatrièmement, il est impératif d’accompagner la personne dans le développement et le maintien de saines habitudes de vie (activité physique, saine alimentation, lutte contre le tabagisme; Romain et al., 2021). Par exemple, la pratique d’activités physiques de type aérobique améliorerait la cognition (notamment l’attention/vigilance, la mémoire de travail et la cognition sociale) chez les personnes composant avec un trouble psychotique, selon une méta-analyse effectuée sur la question (Firth et al., 2017), comme c’est le cas chez les individus composant avec un TDAH seulement. Cinquièmement, différentes options thérapeutiques psychosociales également reconnues comme efficaces dans le traitement des troubles psychotiques doivent être considérées. Divers programmes de remédiation cognitive, visant l’apprentissage de stratégies, ont été approuvés pour les troubles psychotiques (citons les programmes CIRCuiTS, RECOS, NEAR; pour une revue, voir Thibaudeau et al., 2021). La réhabilitation cognitive, dont l’objectif est d’aménager ou de modifier l’environnement, demeure aussi une forme d’intervention cognitive favorisant le rétablissement des personnes composant avec un trouble psychotique (Thibaudeau et al., 2021). L’entraînement à l’utilisation de l’agenda, l’utilisation de rappels électroniques et l’aménagement de l’horaire selon les périodes de plus grande productivité propres à chacun sont autant de stratégies pouvant être utilisées. L’évaluation neuropsychologique peut être éclairante, dans ce contexte, si l'on souhaite émettre des recommandations en lien avec les difficultés cognitives particulières rencontrées par la personne, en utilisant les forces observées comme levier vers le rétablissement. Certains sites Web, comme ceux de la CADDRA, de la Dre Annick Vincent, de la Clinique Focus, de la Fondation Philippe Laprise ou du Regroupement des associations PANDA du Québec, fournissent de l’information et des ressources sur le traitement du TDAH. Le site Web de la trousse Cerveau offre également des outils de vulgarisation sur le fonctionnement cognitif ainsi que des recommandations générales.
Finalement, si des manifestations du TDAH persistent et interfèrent significativement avec le fonctionnement de la personne, un traitement pharmacologique spécifique des manifestations du TDAH devrait être discuté. Cet échange se déroulera idéalement dans un contexte de prise de décision partagée, où les avantages et les inconvénients des différentes possibilités thérapeutiques sont exposés en fonction des valeurs, préférences et objectifs de vie de la personne. Cela signifie donc : 1) de parler avec la personne des difficultés cognitives rencontrées au quotidien et de leurs répercussions potentielles; et 2) de discuter des risques et des avantages associés aux traitements pharmacologiques disponibles spécifiques au TDAH, notamment le risque d’exacerbation des symptômes psychotiques, qui, bien que difficilement prévisible, peut être réduit lorsque le trouble psychotique est bien contrôlé à l’aide d’un traitement antipsychotique pris à dose adéquate.
En conclusion, de plus amples études sont nécessaires afin de développer des lignes directrices de traitement spécifiques au TDAH cooccurrent au trouble psychotique et d’en élargir la pratique. Dans l’attente de telles recommandations cliniques claires, et dans une perspective axée sur le rétablissement, il faut néanmoins entreprendre certaines actions afin de soutenir les personnes aux prises avec ces conditions cliniques concomitantes.
Remerciements
Luc Vigneault (patient-partenaire, Université Laval), la Dre Catherine Beaulieu (psychologue, CNDV), la Pre Amélie Achim (chercheure, Université Laval), la Pre Marie-France Demers (pharmacienne clinicienne et chercheure, CNDV et Université Laval) et le Dr Marc-André Roy (psychiatre clinicien et chercheur, CNDV et Université Laval) ont participé à la réflexion, commenté et approuvé le contenu de l’article. Les auteurs les remercient pour cette collaboration.
Bibliographie
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