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Faciliter la pratique collaborative entre le psychologue scolaire et le neuropsychologue en pratique privée

Dre Isabelle Montour-Proulx, psychologue et responsable de l'inspection professionnelle - imontour-proulx@ordrepsy.qc.ca

 

 

Mme Valérie Line Pedneault, psychologue et inspectrice en résidence à l’Ordre

 

 

 

Avec la collaboration de Dre Salima Mamodhoussen, DYves Martineau, Dr William Aubé, et Mme Pascale Lidji, psychologues.


De plus en plus de parents se tournent vers le secteur privé pour obtenir des services visant à résoudre des problématiques qui affectent le fonctionnement scolaire et la réussite éducative de leurs enfants. Parmi ces services figurent les évaluations neuropsychologiques. Bien que ce processus soit satisfaisant pour bon nombre de familles, il peut parfois être source d’inconfort en raison des divergences perçues entre les messages véhiculés par les intervenants scolaires et ceux véhiculés par les neuropsychologues consultés au privé. Les attentes des parents s’en trouvent parfois finalement déçues.

Cette chronique discute de plusieurs enjeux clés, tels que le cadre de pratique propre aux psychologues scolaires, d’une part, et aux neuropsychologues exerçant au privé, d’autre part, ainsi que la communication et la collaboration entre ces professionnels. Une compréhension approfondie de ces enjeux favorise une prise en charge globale positive pour les parents et assure la continuité des services avec le milieu scolaire.

Comprendre le contexte de pratique des collaborateurs : un ingrédient indispensable

Lorsque tous les acteurs ne sont pas présents dans les mêmes milieux, le risque d’un manque de communication, voire d’un travail en vase clos augmente. Une meilleure compréhension et une meilleure prise en compte mutuelle des cadres de pratique en milieu scolaire et en neuropsychologie au privé peuvent faciliter la collaboration et favoriser la cohérence des actions professionnelles.

La pratique en milieu scolaire

Un cadre légal et administratif spécifique régit la pratique du psychologue scolaire, dont la Loi sur l’instruction publique (LIP)1. Le psychologue scolaire est principalement mandaté pour offrir des services (prévention, dépistage, évaluation, aide et accompagnement, etc.) à la demande du centre de services scolaire (CSS) ou de la direction de l’école, et non directement à la demande des élèves ou de leurs parents2. Il répond donc à une demande de son employeur pour suivre le cheminement d’élèves ciblés en raison de leurs difficultés d’apprentissage, de santé mentale ou d’adaptation, et prendre les décisions pédagogiques adéquates qui répondront à leurs besoins. Cela inclut par exemple le choix des moyens au plan d’intervention ou la référence à des services ou à des classes spécialisées. Conséquemment, le consentement de l’élève ou de ses parents au service est indissociable de la communication de renseignements aux intervenants scolaires pour qui il est nécessaire d’en prendre connaissance afin de remplir leurs fonctions (Lorquet, 2019). Ces renseignements sont consignés sous forme de rapport synthèse faisant état des conclusions et des recommandations, déposé au dossier d’aide particulière à l’élève accessible aux intervenants. Ce dossier est distinct du dossier professionnel institutionnel, qui contient les informations recueillies par un professionnel (par exemple, un dossier psychologique) et qui n’est pas accessible à tous les intervenants.

La pratique en milieu privé

En revanche, le neuropsychologue qui exerce au privé est la plupart du temps mandaté directement par les parents de l’enfant ou par l’adolescent de 14 ans ou plus (ci-après le « client »); son client n’est pas le CSS, ni la direction de l’école, ni l’enseignant, ses services n’étant pas offerts dans le cadre de la LIP.

Ainsi, bien que l’à-propos d’une évaluation neuropsychologique puisse avoir été discuté entre les intervenants scolaires, l’élève et ses parents, ces derniers ne mandatent pas nécessairement le neuropsychologue pour éclairer l’école sur le suivi du cheminement de la personne évaluée et lui fournir les renseignements nécessaires à la prise de décisions pédagogiques au sens strict de la LIP. Leur démarche peut répondre à d’autres préoccupations, besoins et objectifs, par exemple obtenir un profil neuropsychologique pour comprendre les difficultés d’apprentissage de l’enfant même s’il n’est pas en situation d’échec scolaire, monitorer l’effet d’un changement de médication sur les fonctions attentionnelles et exécutives, ou faire évaluer dans le but d’obtenir un soutien financier d’une instance gouvernementale. Il serait donc erroné d’assimiler le mandat confié au neuropsychologue en pratique privée à celui que se voit attribuer le psychologue scolaire.

Bien que le client puisse ultimement souhaiter que les conclusions et recommandations issues de l’évaluation soient partagées avec les intervenants scolaires, le consentement au service et l’autorisation de communiquer des renseignements confidentiels font, dans ce cadre de pratique, l’objet de processus distincts. Le neuropsychologue obtient le consentement au service en tenant compte « de la demande et des attentes du client ainsi que des limites de ses compétences et des moyens dont il dispose » (Code de déontologie des psychologues, art. 10), incluant les ressources financières du client. Soulignons qu’au terme du mandat, le client pourrait choisir de communiquer lui-même l’information à tout autre tiers et de lui remettre une copie du rapport d’évaluation, en tout ou en partie; aucune autorisation n’est alors requise.

Mentionnons par ailleurs qu’il semble de plus en plus fréquent que le neuropsychologue au privé soit directement mandaté par un CSS ou la direction d’une école. Dans cette situation, le neuropsychologue se retrouve à établir des rapports multiples, ce qui complexifie sa tâche. En plus de porter une attention particulière au consentement libre et éclairé des parents ou de l’adolescent de 14 ans ou plus, il est alors d’autant plus important de clarifier, auprès de toutes les parties concernées, qui est le mandant, quels sont les objectifs du mandat, à qui seront communiquées les conclusions et recommandations, et qui est le payeur, entre autres (Code de déontologie des psychologues, art. 11 et 46).

Les attentes des parents

Par ailleurs, le client amorce parfois le processus de consultation en s’attendant à ce que le neuropsychologue émette un diagnostic qui assurera l’accès à des services complémentaires fournis par le milieu scolaire, et à ce que le neuropsychologue et le milieu scolaire garantissent la mise en application de toutes les recommandations contenues dans le rapport d’évaluation. Il pourrait être utile que le neuropsychologue et le psychologue scolaire, si avisé de la démarche en pratique privée, recadrent les attentes de certains clients en leur expliquant les éléments suivants :

  • Un diagnostic est posé lorsque sont satisfaits les critères établis des systèmes de classification reconnus des troubles mentaux et des troubles neuropsychologiques. En effet, la manifestation de symptômes n’équivaut pas en soi à la présence d’un trouble mental ou neuropsychologique, contrairement à ce que pensent parfois les parents. Par exemple, un élève peut vivre des difficultés attentionnelles et de l’anxiété, mais cela ne veut pas dire qu’il recevra le diagnostic du trouble du déficit de l’attention (TDA) ou d’un trouble anxieux; ces difficultés peuvent provenir d’une autre source, comme des stresseurs psychosociaux ponctuels.
     
  • La plupart des diagnostics ne sont pas automatiquement associés à un financement ou à des services3. Par exemple, un parent qui remet aux intervenants scolaires un rapport concluant à la présence chez son enfant du trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ou d’un trouble spécifique des apprentissages léger sans impact sur sa réussite ne verra pas son enfant priorisé en orthopédagogie malgré ce diagnostic, car d’autres élèves sont en situation scolaire plus alarmante, et ce, même s’ils n’ont pas reçu de diagnostic. En contrepartie, des élèves peuvent avoir accès à un outil technologique en lecture et en écriture sans évaluation diagnostique concluant à un trouble spécifique des apprentissages si cet outil répond au besoin documenté par les intervenants du milieu et qu’il est efficace.
     
  • Les critères d’éligibilité aux services et aux classes spécialisées sont déterminés par le milieu scolaire et selon la LIP. Les services sont attribués en fonction de la priorisation des besoins de l’ensemble des élèves et des ressources humaines, matérielles et financières disponibles dans les écoles, qui peuvent varier d’un établissement à l’autre.
     
  • Avec le consentement du client, le neuropsychologue et les intervenants scolaires peuvent se consulter.
     
  • Le plan d’intervention et les modalités de mise en place des recommandations émises par les professionnels relèvent de la responsabilité de l’équipe scolaire (Marleau, 2022).
     
  • Un psychologue scolaire ne sera pas nécessairement disponible pour assurer un suivi auprès des parents ayant demandé une évaluation neuropsychologique au privé, étant donné la différence dans l’organisation des services de psychologie selon les CSS, la priorisation des besoins des élèves et le rattachement des psychologues scolaires, qui peuvent être liés à un centre d’évaluation ou à une équipe de professionnels offrant du soutien dans les écoles au lieu d’être liés à une école.

Ces informations relatives au cadre de services, lorsqu’elles sont bien comprises, favorisent la collaboration entre les parents et les divers intervenants.

La communication

La communication entre les acteurs constitue l’un des éléments clés permettant aux parents de bénéficier d’une prise en charge globale. Malgré la bonne volonté de tous, elle pose souvent un défi, car 1) tous ces acteurs ne sont pas présents dans le même milieu; 2) les psychologues scolaires et les neuropsychologues sont souvent surchargés, que ce soit par des tâches multiples, par des priorités différentes à gérer et/ou par de longues listes d’attente; 3) les parents peuvent ne pas souhaiter un partage d’informations complet étant donné diverses craintes ou réticences (ex. : un parent pourrait ne pas souhaiter que le neuropsychologue dévoile certaines informations sur des stresseurs psychosociaux vécus, par peur d’être jugé par le milieu scolaire ou de voir l’image de sa famille affectée aux yeux de l’enseignant); 4) l’augmentation des communications entre le neuropsychologue au privé et le psychologue scolaire pourrait mener à des frais supplémentaires pour les parents, auxquels ils pourraient ne pas consentir pour toutes sortes de raisons; et 5) il n’y a pas d’entente de complémentarité des services entre les réseaux scolaire et privé. Néanmoins, il est souhaitable que la communication soit facilitée, autant que faire se peut, à toutes les phases du processus d’évaluation.

Par exemple, au début du processus, il est important que le client consente à ce que le neuropsychologue – en complément aux informations obtenues directement du client et aux documents mis à sa disposition (bulletins, bilans orthopédagogiques, rapports d’évaluation et plans d’intervention, le cas échéant) – recueille les perceptions des intervenants scolaires qui oeuvrent auprès de l’élève évalué ainsi que tout autre renseignement pertinent à son mandat. Lorsque les parents semblent initialement réticents à cette communication, le neuropsychologue peut faire valoir les avantages de cette cueillette d’informations pour son mandat, notamment une meilleure compréhension de l’histoire, de la nature et des modes d’expression des difficultés éprouvées par leur enfant. Ces actions permettront au neuropsychologue de comprendre les interventions et les stratégies qui ont déjà été tentées ou appliquées en milieu scolaire, et d’éviter de les proposer à nouveau ou de les dupliquer, rehaussant du coup l’utilité, l’acceptation et la mise en application des recommandations qu’il formulera (Ernst et al., 2008).

Bien que dans plusieurs cas le psychologue scolaire ne soit pas impliqué auprès de l’élève et de ses parents au moment de l’évaluation neuropsychologique, il est souhaitable que le neuropsychologue puisse communiquer avec lui ou avec un autre professionnel de l’équipe-école lorsqu’il le juge nécessaire à des fins cliniques, au moment de formuler ses recommandations; il pourrait ainsi obtenir des renseignements pertinents afin que celles-ci soient le mieux arrimées possible à la réalité du milieu scolaire spécifique dans lequel évolue l’élève. Cette suggestion ne vise cependant pas à empêcher le neuropsychologue d’émettre toutes les recommandations qu’il juge être dans le meilleur intérêt de son client, même s’il s’avère que le milieu scolaire ne peut pas donner suite à certaines d’entre elles. Il pourrait notamment être justifié que des recommandations applicables par les parents et/ou par des professionnels oeuvrant dans le réseau de la santé ou en milieu privé soient émises. Lorsque son cadre de pratique lui permet d’être disponible à cet effet, le psychologue scolaire est également un précieux partenaire pour la communication des conclusions et des recommandations aux intervenants scolaires concernés. S’il n’est pas disponible, d’autres professionnels du milieu scolaire (orthophoniste, psychoéducateur) pourraient aussi jouer ce rôle concernant les recommandations qui font partie de leur champ d’expertise.

Le rapport d’évaluation neuropsychologique

Les évaluations neuropsychologiques sont notamment appréciées pour l’aide qu’elles procurent dans la compréhension des difficultés de l’élève, grâce à la description du profil de forces et de faiblesses cognitives qu’elles contiennent (Gelbar et Bray, 2019). Le rapport constitue un outil important pour la communication des résultats de l’évaluation, souvent à de multiples interlocuteurs (psychologues scolaires, enseignants, parents, orthopédagogue, etc.) qui n’ont pas tous les mêmes connaissances eu égard à la neuropsychologie ni la même capacité de tirer profit de rapports longs et complexes. Baum et al. (2018), Gelbar et Bray (2019) ainsi que Robinson et al. (2023) offrent les suggestions suivantes pour bonifier la portée du rapport d’évaluation neuropsychologique :

  • Privilégier des rapports plus brefs, en n’y incluant que l’information pertinente au mandat et les détails nécessaires;
     
  • Mettre à profit sa structure de façon que l’information importante soit plus facilement repérable (utilisation de sous-titres et de listes à puces);
     
  • Privilégier des termes et un registre de langage accessibles, et réduire l’utilisation d’un langage complexe et trop spécialisé (jargon) lorsque possible;
     
  • Mettre l’accent sur l’interprétation clinique et sur la signification des résultats eu égard au fonctionnement de l’élève, plutôt que sur les résultats aux tests, et présenter le profil de forces et de faiblesses qui peuvent expliquer pourquoi l’élève éprouve des difficultés à l’école;
     
  • Éviter les longues listes de recommandations, cibler les plus pertinentes et les regrouper en fonction de leur applicabilité en classe ou à la maison.

Comme mentionné précédemment dans cette chronique, seuls les rapports synthèses contenant les conclusions et recommandations sont versés au dossier d’aide particulière accessible aux intervenants scolaires. En amont, il pourrait être bénéfique d’en informer le client afin qu’il puisse choisir le type de rapport (un rapport complet, un rapport synthèse incluant le motif de consultation, les conclusions et les recommandations, ou les deux types de rapports) en fonction de ses besoins.

Le Guide explicatif concernant la tenue de dossiers (Ordre des psychologues du Québec, 2008) et le Guide pour la rédaction des rapports neuropsychologiques de l’Association québécoise des neuropsychologues (AQNP) sont d’autres sources d’informations dont le neuropsychologue peut s’inspirer pour la rédaction de ses rapports. Le guide de l’AQNP propose d’ailleurs des modèles de rapports qui tiennent compte de la littérature scientifique et des exigences réglementaires.

Conclusion

Tous les intervenants ont à coeur la réussite éducative des enfants et des adolescents auprès de qui ils travaillent, peu importe le cadre dans lequel ils le font. Comme mentionné plus tôt, lorsque les parents ont recours à des services au privé, la communication entre les divers acteurs constitue l’un des éléments clés qui leur permettent de vivre une expérience positive de prise en charge globale. Même si, à première vue, cette communication peut paraître simple, elle est teintée par les particularités inhérentes à chaque milieu et par de nombreux défis. Elle facilite cependant la compréhension des conditions d’expression des difficultés manifestées par l’enfant ou l’adolescent, ainsi que la formulation et la mise en application de recommandations dans le meilleur intérêt de celui-ci. Nul doute que l’établissement d’alliances de travail constructives et la cohérence des actions professionnelles soutiennent ces objectifs.

Notes

  1. Pour une revue plus approfondie des cadres professionnel, législatif et administratif relatifs à la pratique du psychologue en milieu scolaire : https://www.ordrepsy.qc.ca/documents/26707/63191/pratique-milieuscolaire/5285b830-19be-40f3-8846-c97a87e8e1db
     
  2. Certains CSS permettent aux élèves et aux parents de bénéficier directement de services de la part d’un psychologue oeuvrant au sein de l’école. Pour de plus amples renseignements à ce sujet : https://www.ordrepsy.qc.ca/fr/-/secret-professionnel-et-dossiers-professionnels-dans-les-ecoles-des-clarifications et https://www.ordrepsy.qc.ca/fr/-/milieu-scolaire-le-partage-d-informations-cliniques-entre-les-membres-d-ordres-professionnels
     
  3. Pour de plus amples renseignements au sujet des codes de difficulté et de l’organisation des services éducatifs aux élèves à risque et aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage : https://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/adaptation_serv_compl/19-7065.pdf

Bibliographie