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Névrotisme et relations de couple : une méta-analyse

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Un psychologue intervenant auprès des couples souhaite mettre à jour son processus d’évaluation en considérant les traits de personnalité de chacun des partenaires.

Les études portant sur les relations interpersonnelles ont proliféré au cours des dernières années. C’est que les relations maritales se terminent souvent en divorce (jusqu’à 50 % des cas), ce qui s’avère corrélé à une diminution de l’espérance de vie et à une plus grande incidence de crimes et de psychopathologies. Or, une variable importante en cas de divorce est le névrotisme chez les partenaires, lequel est corrélé à de faibles niveaux de satisfaction relationnelle.

Le névrotisme est reconnu comme un trait de personnalité faisant consensus, qui est défini par des composantes comportementales, comme l’impulsion et le fait d’être tendu, et des composantes cognitives, comme l’inquiétude, la jalousie, l’insécurité, une conscience de soi démesurée, la vulnérabilité et l’hypersensibilité. Il est inclus dans l’inventaire de personnalités d’Eysenck (Eysenck et Wakefield, 1981, dans Esplin et al., 2024) et dans le modèle à cinq facteurs (MCF, ou Big Five ; Costa et al., 1986, dans Esplin et al., 2024), et associé aux émotions dites négatives comme l’anxiété, la dépression, la colère et l’embarras. Il constitue un facteur de risque pour le développement de troubles anxio-dépressifs et est associé à de plus grands niveaux de détresse, combinés à des pensées et des comportements troublés. Il est corrélé à des réponses adaptatives inefficaces comme le blâme de soi-même, l’évitement et la colère prolongée, et également à des croyances irrationnelles, à une mauvaise hygiène de vie, à une sensibilité à l’anxiété, à une faible tolérance à l’incertitude, à une tendance au perfectionnisme. Ces personnes reconnaissent éprouver une difficulté à se sentir heureuses, acceptées et sécurisées.

Dans un contexte relationnel, des études longitudinales ont fait ressortir une corrélation entre le névrotisme et l’hypersensibilité, des difficultés de communication et de nombreux conflits, de même que des attributions hostiles, des comportements de retrait et des attitudes passives-agressives. En contexte de recherche, la qualité des relations est déterminée par la communication, les tensions relationnelles, le soutien mutuel, la stabilité relationnelle, la qualité du lien et la satisfaction relationnelle. Des méta-analyses portant sur le lien entre chacun des traits de personnalité du MCF (Big Five) et la qualité relationnelle ont été menées, mais c’était il y a plus d’une décennie et elles se penchaient sur un petit nombre d’études. La présente méta-analyse vise à quantifier le lien entre névrotisme et qualité relationnelle, en se penchant sur 148 études et en considérant des participants issus de contextes ethnoculturels variés. Les études retenues concernent des participants qui rapportent être en couple, et comportent soit une mesure de qualité relationnelle, soit une mesure de satisfaction relationnelle ou d’engagement relationnel. Les effets modérateurs de mesures portant notamment sur l’orientation sexuelle et les repères culturels, la durée de la relation, l’âge des participants et la région d’origine sont considérés.

Cette méta-analyse relève dans toutes les études recensées une corrélation négative entre le névrotisme et la qualité des relations de couple. Ni l’orientation sexuelle ni les repères culturels des participants ne constituent des modérateurs significatifs à cette corrélation, qui s’amoindrit cependant avec la durée de la relation, ce qui suggère que le lien entre le névrotisme et la qualité de la relation de couple diminue avec le temps et avec l’âge. On voit ainsi chez les participants plus âgés une corrélation moindre entre névrotisme et qualité relationnelle, possiblement en raison d’un effet de maturation, c’est-à-dire que les partenaires apprennent avec le temps à mieux vivre avec leur propre névrotisme ou celui de leur partenaire, et améliorent leur relation. Finalement, la région d’origine constitue elle aussi un modérateur, les couples provenant de régions occidentales affichant une corrélation plus importante entre névrotisme et qualité relationnelle.

Il est intéressant de noter l’ajout de cette méta-analyse qui, en faisant la lumière sur la perception de chacun des deux partenaires du couple, indique que la qualité relationnelle est perçue plus négativement par l’« acteur » (la personne qui est elle-même névrotique dans le couple) que par le « partenaire ». Ceci est en phase avec la théorie intrapersonnelle du névrotisme, selon laquelle les individus névrotiques ont tendance à percevoir leur vie plus négativement, relatant de la détresse, de l’inconfort et de l’insatisfaction à travers le temps, peu importe la situation.

Dans un contexte clinique de thérapie de couple, et à la lumière de ces résultats de recherche, l’évaluation systématique des traits de personnalité apparaît pertinente à partir d’échelles de mesure présentant de bonnes qualités psychométriques, comme l’Inventaire de la personnalité NEO-PI (McCrae et Costa, 1987, dans Esplin et al., 2024) ou le Test de personnalité d’Eysenck (Eysenck et Eysenck, 1993, dans Esplin et al., 2024). Ainsi, des interventions permettant d’augmenter les émotions, cognitions et comportements positifs au sein du couple pourraient être mises en place au besoin. En effet, les attributions hostiles apparaissent associées au lien entre névrotisme et mauvaise qualité relationnelle, et des interventions d’approche cognitivo-comportementale pourraient aider à les identifier et à les atténuer (par exemple, répéter l’exercice de donner à l’autre le bénéfice du doute, ou préparer une surprise pour le partenaire une fois au cours de la semaine). De même, des interventions visant la diminution des émotions, cognitions et comportements négatifs pourraient être mises en place (par exemple, prendre une pause pendant une chicane pour poursuivre la discussion plus tard, plus calmement et rationnellement). Une approche visant l’amélioration de la qualité relationnelle pourrait quant à elle aider à apaiser l’expression du névrotisme. Ainsi, le thérapeute de couple pourrait miser sur des interventions ayant pour but de bonifier la communication ou la sexualité au sein du couple.

Bibliographie

  • Esplin, C. R., Rasmussen, B. D., Hatch, S. G., Hawkins, A. J. et Braithwaite, S. R. (2024). Neuroticism and relationship quality : A meta-analytic review. Journal of Personality and Social Psychology. https://dx.doi.org/10.1037/pspi0000463