L’hypnose médicale dans la gestion de la douleur chronique en pédiatrie
Antoine de Chantérac, psychologue
Psychologue à la clinique de la douleur du CHU Sainte-Justine, il effectue un doctorat dans le cadre duquel il s’intéresse à l’hypnosédation dans la gestion de la douleur procédurale.
L’hypnose médicale, qui inclut l’hypnose formelle et conversationnelle, renvoie à la pratique de l’hypnose par des professionnels de la santé formés lors des soins, des examens médicaux, mais aussi lors de l’accompagnement psychothérapeutique de patients présentant des maladies somatiques et des pathologies chroniques (Bioy, 2021) comme la douleur chronique. Dans ce texte, la douleur chronique et l’hypnose médicale seront expliquées, et ce, dans le but de mettre en lumière l’apport que peut fournir cet outil qu’est l’hypnose dans l’accompagnement et la prise en charge psychothérapeutique de jeunes patients.
La douleur chronique chez l’enfant
La douleur est un processus neurobiologique complexe qui se définit comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou ressemblant à une telle lésion », et elle est dite chronique quand elle persiste plus de trois mois (Raja et al., 2020). Elle est influencée par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux (approche biopsychosociale) et, donc, par les représentations et le vécu du patient et de sa famille. Ainsi, les cognitions, les émotions et les expériences de douleur antérieures jouent un rôle fondamental dans la manière de percevoir la douleur et d’y réagir. La psychoéducation de la douleur et sa compréhension neurobiologique sont des éléments importants de la prise en charge, et il s’agit de facilitateurs dans le travail avec l’hypnose. La classification de Stanos et ses collaborateurs (2016) définit trois types de douleur. Un premier type de douleur est la douleur nociceptive, qui est induite par une lésion tissulaire. L’activation chronique des nocicepteurs impliqués dans certaines pathologies peut entraîner une augmentation de la perception de la douleur par le patient. Le deuxième type de douleur, dit neuropathique, se caractérise par une lésion des nerfs périphériques, ce qui génère une augmentation de l’activité de la voie de la douleur, une perte d’inhibition des régions supérieures du système nerveux central et à nouveau une augmentation de la perception de la douleur (Colloca et al., 2017). Enfin, la douleur nociplastique, ou hypersensibilité sensorielle, est, quant à elle, due à une altération de la perception de la douleur, malgré l’absence de lésions ou d’activation des nocicepteurs (Kosek et al., 2016). Cette douleur est marquée par l’amplification du traitement ou la diminution de l’inhibition des signaux de douleur dans le système nerveux, ce qui génère une dysrégulation neuronale persistante, une augmentation de la perception de la douleur et un abaissement des seuils de douleur (Kosek et al., 2016). Dans de nombreux cas, la douleur chronique est induite par la combinaison de plus d’un mécanisme physiopathologique ; on parle d’états douloureux mixtes (Fitzcharles et al., 2021). Cette compréhension clinique du fonctionnement de la douleur participe à la relation et à l’alliance thérapeutiques. Elle favorise également l’état hypnotique par une diminution de l’hyperexcitation sensorielle, que ce soit dans la conversation hypnotique ou dans l’hypnose formelle.
Hypnose et douleur chronique en pédiatrie
L’hypnose est « un état de conscience modifié incluant une attention focalisée, une réduction de la conscience périphérique, et caractérisée par une capacité accrue à répondre à la suggestion » (Elkins et al., 2015). Cette définition, qui fait écho aux mécanismes impliqués dans la douleur chronique, illustre comment l’hypnose peut s’avérer un outil cliniquement important dans la prise en charge de la douleur chronique. Elle permet de modifier le signal, de baisser l’hyperexcitation sensorielle, émotionnelle et cognitive, et de rendre le patient autonome dans sa gestion de la douleur (autohypnose). Elle pourrait également améliorer le travail de régulation des effets secondaires des traitements et diminuer les symptômes comorbides (troubles du sommeil, difficultés d’attention…) à la douleur.
D’après Olness et Gardner (1988), les enfants seraient plus réceptifs à l’hypnose que les adultes. Les auteurs décrivent une réceptivité limitée avant l’âge de 3 ans, un pic entre 7 et 14 ans, une décroissance à l’adolescence, une stabilisation à l’âge adulte avant qu’une nouvelle décroissance survienne avec le vieillissement. Dans le cas de la douleur chronique, de nombreuses études montrent l’efficacité de l’hypnose chez l’enfant et l’adolescent, et ce, tant du côté de la perception de la douleur que de l’anxiété (Liossi et Hatira, 2003 ; Wild et Espie, 2004). La douleur chronique chez l’enfant (0-18 ans) est prévalente (11 à 38 % des enfants ; King et al., 2011), persistante et peut entraîner de graves déficits dans le fonctionnement physique et émotionnel. Elle risque de devenir chronique à l’âge adulte (Simons et Basch, 2016) et représente un risque important de comorbidité psychiatrique (Shelby et al., 2013). Les douleurs courantes chez les enfants sont les douleurs abdominales (jusqu’à 53 % d’entre eux), les douleurs musculo-squelettiques (jusqu’à 40 %), les douleurs dorsales (jusqu’à 24 %) et des douleurs multiples (jusqu’à 49 %) (King et al., 2011). On observe une prévalence plus élevée chez les filles et une augmentation de tous les types de douleur avec l’âge, avec un pic chez les adolescentes de 14 à 16 ans (Perquin et al., 2000). L’impact de cette douleur est majeur sur le fonctionnement et l’adaptation de l’enfant ; cela peut mener à des enjeux sur les plans scolaire, social et familial (Palermo, 2000). Ainsi, en pédiatrie, l’accent est mis sur les améliorations fonctionnelles et adaptatives en présence de douleur (Revivo et al., 2019), et sur les habiletés nécessaires pour gérer la douleur et ses composantes. L’hypnose apparaît comme un outil de choix.
L’utilisation de l’hypnose médicale pour la gestion de la douleur chronique
L’hypnose médicale inclut l’hypnose formelle et la conversation hypnotique. Celles-ci sont complémentaires, synergiques et s’insèrent dans une prise en charge psychothérapeutique avec un cadre et des objectifs.
L’hypnose conversationnelle consiste à utiliser les éléments nommés par le patient dans la relation thérapeutique, et plus spécifiquement ceux se rapportant à sa compréhension de la douleur, à sa perception (taille, forme, couleur…) et à la façon dont il souhaiterait pouvoir les gérer (champ lexical propre au patient). Dans le cadre thérapeutique, la communication hypnotique permet de glisser dans un état de transe légère qui potentialise les effets de suggestions formulées lors de l’échange et à partir des paroles et des perceptions du patient. Elle permet également de potentialiser par des suggestions l’efficacité et la profondeur de l’hypnose formelle réalisée ou de l’effet de l’autohypnose (soit l’hypnose pratiquée seul).
L’hypnose formelle renvoie quant à elle au processus thérapeutique dans lequel s’inscrit l’hypnose. Une fois instaurées une alliance thérapeutique et une compréhension commune de la douleur et de ses composantes, l’hypnose formelle peut être amorcée. Grâce à des inductions hypnotiques (par la confusion, par la respiration, par un point de fixation notamment), le patient atteint un état de transe qui favorise le travail thérapeutique. Nous travaillons à la modification de l’expérience qu’est la douleur par des suggestions pour modifier la perception (protocole d’analgésie temporaire, protocole de modification de la forme, protocole de gradation de la perception…) et par des métaphores pour modifier les sensations (protocole qui vise la relaxation, le lâcher-prise, l’apaisement d’une émotion). Nous travaillons également sur les effets de la douleur chronique sur l’enfant et son développement. Ainsi, nous pouvons travailler l’anxiété, la difficulté de régulation des émotions ou encore l’insomnie, mais nous cherchons également à mobiliser les ressources internes du patient pour qu’il utilise ses capacités d’adaptation afin de favoriser sa résilience. La dernière étape de la séance d’hypnose est le retour à l’état de conscience ordinaire et l’intégration dans la communication thérapeutique de l’expérience hypnotique et de ses bénéfices. Ceci permet de renforcer l’adhérence à l’hypnose et de mettre en oeuvre l’autohypnose, qui tient une place importante dans le travail d’hypnose médicale en pédiatrie étant donné qu’elle vise une diminution de l’intensité de la douleur ainsi qu’une amélioration du sommeil et du fonctionnement scolaire et social (Delivet et al., 2018).
L’autohypnose renvoie à une pratique d’hypnose individuelle, qui a un objectif spécifique, à savoir la diminution des symptômes par le patient lui-même (douleur, anxiété, difficultés d’endormissement…) (Bioy, 2020) et l’augmentation du sentiment de contrôle et d’autoefficacité. Dans notre pratique, l’apprentissage de l’autohypnose par le patient peut passer par l’enseignement de protocoles ou l’utilisation d’enregistrements. Cet apprentissage permet de travailler le rapport du patient à sa santé et de favoriser son autonomisation. Il fait en sorte que le patient devienne un acteur de son traitement et qu’il développe un sentiment d’expertise et de contrôle de son corps, de ses ressentis et de ses processus internes (Bioy, 2020). Nous voyons ainsi l’apport thérapeutique de l’hypnose médicale en douleur chronique pédiatrique et comment elle s’insère dans une prise en charge thérapeutique globale grâce à laquelle ces patients modifient leur rapport à la douleur et leur perception de celle-ci.
Conclusion
L’hypnose médicale en douleur chronique pédiatrique est donc un outil d’autonomisation, d’apaisement, d’adaptation à la condition, de reprise de contrôle. La douleur peut être une expérience qui envahit, dissocie, décentre et pousse à la régression. L’hypnose, pour sa part, peut mener plus loin, élargissant la compréhension et rendant ainsi possible une autre conception et signification de la douleur dans la vie du patient et de sa famille. Ceci aide les patients à créer du sens, à retrouver un certain niveau de mentalisation de leurs émotions et des sensations douloureuses qu’ils subissent, à améliorer leur qualité de vie et à percevoir leur existence différemment. Par son efficacité thérapeutique sur la perception et la gestion de la douleur chez l’enfant et l’adolescent, l’hypnose comme adjuvant à la psychothérapie peut ainsi avoir une incidence positive sur sa croissance et son développement.
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