Mettre un terme à ses services avec professionnalisme
Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca
Lorsqu’un client confie un mandat à un psychologue, il s’attend à recevoir des services dispensés avec professionnalisme du début à la fin. Parfois, il arrive que le psychologue ne puisse pas continuer d’offrir le service tel que convenu au départ. Les cinq situations suivantes, inspirées de cas réels, illustrent le questionnement des psychologues confrontés à de tels scénarios et proposent des façons de clore précocement un épisode de services avec rigueur, professionnalisme et doigté. L’art. 35 du Code de déontologie prévoit une série de motifs justes et raisonnables pour cesser de rendre des services professionnels à un client. Nous nous y rapporterons dans cet article pour mettre en lumière les applications concrètes de ces règles.
L’art. 35 du Code de déontologie des psychologues
Le psychologue ne peut cesser de rendre des services professionnels à un client avant la fin de la réalisation de la prestation convenue sauf pour un motif juste et raisonnable dont, notamment :
- la perte de la relation de confiance entre le client et le psychologue;
- l’incapacité pour le client de tirer avantage des services professionnels offerts par le psychologue;
- le risque que le maintien des services professionnels puisse, au jugement du psychologue, devenir plus dommageable que bénéfique pour le client;
- l’impossibilité pour le psychologue de maintenir une relation professionnelle avec le client, notamment en raison d’une situation de conflit d’intérêts;
- l’incitation par le client à l’accomplissement d’actes illégaux, injustes, frauduleux ou qui vont à l’encontre des dispositions du présent code;
- le non-respect par le client des conditions convenues et l’impossibilité de convenir avec ce dernier d’une entente raisonnable pour les rétablir, y incluant les honoraires;
- la décision du psychologue de réduire sa pratique ou d’y mettre fin pour des raisons personnelles ou professionnelles.
L’art. 32 du Code de déontologie des psychologues
Lorsque le psychologue constate qu’il se trouve en situation de conflit d’intérêts ou qu’il risque de s’y trouver, il définit la nature et le sens de ses obligations et de ses responsabilités, en informe son client et convient avec lui, le cas échéant, des mesures appropriées.
Question : Après quelques séances avec une cliente, je viens de réaliser qu’elle est la conjointe d’un autre de mes clients. Que faire?
Réponse : Le psychologue doit tout d’abord déterminer s’il a encore l’indépendance professionnelle requise pour poursuivre les services auprès de ses deux clients. S’il constate que ce n’est pas le cas, il se trouve devant une situation de conflit d’intérêts. Dire à l’un de ses clients qu’on ne peut poursuivre la démarche avec lui à cause d’un conflit d’intérêts sans violer la confidentialité à laquelle a droit l’autre client est une opération délicate, mais faisable. Ainsi, le psychologue pourrait recourir à une explication générale, invoquant par exemple « l’incapacité pour le client de tirer avantage des services professionnels offerts par le psychologue » (art. 351, alinéa 2), ou encore « le risque que le maintien des services professionnels puisse, au jugement du psychologue, devenir plus dommageable que bénéfique pour le client » (alinéa 3).
Question : Oui, mais mes clients consentent à la poursuite des deux processus. Puis-je continuer à les rencontrer?
Réponse : Il n’existe pas de code de déontologie pour les clients, mais il en existe un pour les psychologues. Qu’ils soient d’accord ne soustrait en rien le psychologue à ses obligations professionnelles. La réaction la plus prudente à cette situation est de maintenir la relation thérapeutique avec le premier client et de diriger le second client vers un autre psychologue qui a des disponibilités (art. 36). Dans de rares exceptions, lorsqu’il n’y a pas d’autre psychologue disponible, le psychologue peut subordonner son intérêt (éviter de risquer une demande d’enquête) à celui du client (obtenir un service que seul ce psychologue peut lui offrir) (art. 23). Le cas échéant, il faudrait s’assurer que les difficultés soulevées par les clients soient bien distinctes ; autrement, les risques de contamination des histoires et de perte d’objectivité sont très grands, ce qui peut avoir des effets néfastes sur la qualité du service. Si les motifs de consultation proviennent d’une situation commune, il est nécessaire que le second client consulte plutôt un autre professionnel. En outre, la cessation des services ne doit pas lui être préjudiciable et le psychologue doit contribuer, dans la mesure du possible, à ce que son client puisse continuer à obtenir les services professionnels requis (art. 36). Si les conditions nécessaires sont réunies pour que le psychologue puisse continuer à offrir des services à ces deux clients en toute objectivité, il doit informer ces clients qu’il a le devoir de maintenir une indépendance professionnelle totale pour chacun, qu’il ne doit pas mélanger les histoires et qu’il prendra les mesures appropriées pour s’assurer de le faire (recourir à la supervision, par exemple). Il informe le second client de la possibilité d’interrompre le service en cours de processus, selon le développement des besoins des clients et si les conditions changent. Le second client aura alors à décider s’il préfère prendre ce risque ou s’il préfère changer de psychologue immédiatement.
Question : Je viens d’avoir un enfant et je souhaite réduire mes heures de travail et travailler à temps partiel. Puis-je cesser de rendre des services à certains de mes clients?
Réponse : Un psychologue peut mettre fin à un service professionnel s’il a décidé « de réduire sa pratique ou d’y mettre fin pour des raisons personnelles ou professionnelles » (art. 35, alinéa 7). Toutefois, cela ne le dégage pas de ses obligations quant à la transition à opérer avec le client concerné. En plus de s’assurer de limiter les préjudices que subira le client, le psychologue qui veut mettre fin à la relation avec celui-ci doit l’en informer dans un délai raisonnable en fonction de la nature de la problématique, de la fréquence des rencontres et d’un échéancier prévisible (art. 36).
Question : Une dame me consulte depuis plusieurs mois. Elle m’a récemment amené sa fille de 16 ans, qui présentait des comportements suicidaires. Ma cliente, la mère de l’adolescente, voulait que je voie celle-ci en urgence. Suis-je en conflit d’intérêts?
Réponse : Le psychologue est probablement en conflit d’intérêts et il n’a vraisemblablement pas l’indépendance et l’objectivité requises pour offrir des services de qualité à cette jeune cliente. Toutefois, en situation d’urgence, le psychologue pourrait offrir des services professionnels. Le psychologue devra prévoir d’orienter l’adolescente vers un professionnel disponible et apte à la recevoir dès que possible (art. 24).
Question : Un client éprouvé et fragilisé par deux situations importantes de sa vie développe subitement des symptômes qui demandent une intervention pour laquelle je n’ai pas les compétences. Peu à peu, j’ai l’impression de devenir le souffre-douleur de ce client, qui me rend responsable de tous ses malheurs. Que faire ?
Réponse : Le psychologue doit maintenir un climat de confiance dans la relation professionnelle. De plus, il doit agir avec compétence et objectivité. Si la situation dégénère et risque de devenir incontrôlable, il doit consulter un superviseur. S’il constate que ses interventions ne sont plus aidantes, il doit inviter son client à consulter un autre psychologue. Autrement, ses interventions pourraient devenir nuisibles et causer un préjudice au client. Dans ce type de situation, le psychologue peut invoquer son code de déontologie afin de dépersonnaliser la délicate intervention qu’il devra faire auprès de son client.
Question : Je rencontre depuis quelques mois un client, que je sens désintéressé et parfois intoxiqué d’alcool, à qui j’ai consenti un crédit pour les honoraires professionnels. Il me déclare tardivement dans la démarche avoir besoin d’une lettre pour son avocat afin que je témoigne de sa bonne conduite, de son sens du devoir parental et de son implication soutenue dans les rencontres en psychologie, sans quoi il ne paiera pas les honoraires en souffrance. Comment doisje réagir?
Réponse : Ce client monnaye une fausse déclaration. Il s’agit d’un acte illégal. C’est un motif raisonnable pour mettre fin au service professionnel et l’orienter vers une ressource plus appropriée à sa condition. La question des honoraires professionnels demeure à la discrétion du psychologue. Évidemment, si le psychologue était cité à comparaître pour témoigner de son assiduité et de sa collaboration aux services professionnels, il devrait informer le client qu’il ne peut mentir ou déformer les faits. Le client aurait à prendre une décision à cet égard.