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La protection des enfants issus de la procréation assistée

Pierre Desjardins, psychologue, consultant et ex-directeur de la qualité et du développement de la pratique de l'Ordre des psychologues du Québec.


En novembre 2015, de nouvelles dispositions législatives en matière de procréation médicalement assistée (PMA) ont été adoptées. Parmi celles-ci, l’art. 10.2 de la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée (ci-après la Loi) interpelle particulièrement les psychologues, les travailleurs sociaux de même que les thérapeutes conjugaux et familiaux. Voici ce qu’il stipule :

Le médecin qui a des motifs raisonnables de croire que la personne ou les personnes formant le projet parental risquent de compromettre la sécurité ou le développement de l’éventuel enfant issu de la procréation assistée doit, s’il désire poursuivre sa relation professionnelle avec cette ou ces personnes, obtenir une évaluation positive de celle-ci ou de celles-ci effectuée par un membre de l’Ordre des psychologues du Québec ou de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.

Le membre de l’ordre est choisi par la personne ou les personnes formant le projet parental sur une liste de noms fournie par l’ordre concerné et transmise au ministre.

L’évaluation est effectuée, aux frais de la personne ou des personnes formant le projet parental, sur la base des critères convenus entre les deux ordres professionnels et le ministre. Le ministre s’assure de la diffusion de ces critères.

Le gouvernement peut, par règlement, prévoir les conditions de la procédure d’évaluation.

Afin d’y donner suite et de s’assurer que les personnes qui doivent être soumises à l’évaluation prévue par la Loi le soient de façon juste et équitable, l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) et l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec ont uni leurs efforts pour déterminer de façon consensuelle les critères devant servir de balises à leurs membres, dans le cadre de l’évaluation. Pour ce faire, les deux ordres professionnels se sont appuyés sur les travaux d’un comité réunissant quelques experts et représentants de chaque ordre, ce qui leur a permis de produire un document de travail qu’ils ont ensuite soumis en consultation à leurs membres affichant un intérêt pour les problématiques d’infertilité de même qu’au Collège des médecins du Québec1. Voici les grandes lignes de ce qui se trouve dans ledit document.

À propos des devoirs et obligations professionnels

Les personnes qui sont aux prises avec une problématique d’infertilité et qui souhaitent recourir à la PMA ont droit aux mêmes égards et considérations que celles qui ne présentent pas cette problématique. Leur désir d’enfant est parfaitement légitime, même si leur projet peut ne pas souscrire à la vision traditionnelle qu’a la majorité sur le couple, la famille et la parentalité. D’ailleurs, on a supprimé du projet de loi initial une disposition rendant l’évaluation préalable obligatoire lorsque la PMA impliquait le don de gamètes issus de tiers. En effet, cette disposition, bien qu’étant justifiable cliniquement, pouvait ouvrir la porte à la discrimination notamment des couples de même sexe et des personnes seules.

Il demeure qu’en vertu de la loi on doit procéder à une évaluation lorsque le médecin entrevoit un risque de compromission comme le stipule l’art. 10.2 précité. Cette évaluation doit évidemment se faire en respectant la dignité et la liberté des personnes et en s’assurant de bien répondre à ses devoirs et obligations professionnels.

Équité
Il faut reconnaître que toute personne a une valeur innée en tant qu’être humain, que cette valeur n’est pas modifiée par des différences comme le sexe, le statut conjugal, l’orientation sexuelle, les capacités mentales ou physiques, l’âge et le statut socio-économique.

Compétences
Le domaine de la PMA est un domaine spécialisé et y travailler nécessite de développer, de parfaire et de maintenir des compétences particulières que peu détiennent, et ce, eu égard au mandat confié, à la demande et aux attentes des clients de même qu’aux enjeux propres à l’infertilité. Il ne faut pas hésiter à consulter un autre professionnel ou une autre personne compétente ou à orienter le client vers l’une de ces personnes, au besoin.

Intégrité, objectivité et modération
Il faut reconnaître l’influence notamment des valeurs, des attitudes et des expériences, de même que du contexte social sur ses interventions, et il faut voir à en neutraliser l’impact.

Confidentialité
Il faut s’abstenir de recueillir des renseignements et d’explorer des aspects de la vie privée qui n’ont aucun lien avec la réalisation des services professionnels requis. De plus, il ne faut verser au dossier et ne transmettre à des tiers, sous réserve du consentement du client, que ce qui est en lien avec le mandat confié.

Disponibilité et diligence
Il faut agir avec célérité et exactitude afin notamment de ne pas causer de préjudice, étant donné qu’en contexte de PMA la fenêtre d’opportunité pour la fécondation peut être relativement courte (ex. : en fonction de l’âge de la femme formant le projet parental, de l’évolution prévisible de certaines conditions médicales et d’autres facteurs).

Rigueur professionnelle
On ne peut tirer des conclusions et donner des avis et conseils que si on dispose de l’information professionnelle et scientifique suffisante et requise à ces fins, ce que facilite le travail en interdisciplinarité ou en multidisciplinarité.

Les critères d’évaluation

Il est important de souligner d’entrée de jeu que la présence de stress, d’ambivalence, de peurs ou de manifestations à connotation anxieuse ou dépressive est relativement fréquente, pour ne pas dire prévisible, chez ceux qui font une demande de PMA. Dans la très grande majorité des cas, cela ne saurait être retenu comme un risque de compromission de la sécurité ou du développement de l’enfant à venir. Leur présence demande tout de même qu’on y porte attention et rappelle l’importance d’offrir aux personnes concernées un bon accompagnement au moment opportun.

Pour ce qui est de l’évaluation comme telle, elle peut porter sur de multiples objets, mais tout n’a pas à être couvert pour chaque personne à évaluer. Cette évaluation doit être délimitée, circonscrite pour répondre adéquatement, de façon efficace et efficiente, au questionnement du médecin. Ainsi, le professionnel mandaté peut considérer devoir évaluer notamment l’un ou plusieurs des objets qui suivent :

  • le fonctionnement psychologique et social, la présence d’un trouble mental ou neuropsychologique ou encore de certaines caractéristiques ou qualités particulières;
  • l’environnement physique et social;
  • les habitudes de vie et autres conduites;
  • la position relative à l’égard des traitements de PMA envisageables;
  • le projet parental;
  • la situation conjugale et familiale;
  • la situation financière et professionnelle2.

Des conditions inquiétantes

Certaines conditions, à leur face même, peuvent être associées à un risque de compromission de la sécurité ou du développement de l’enfant à venir. Il s’agit :

  • de l’incapacité actuelle d’appréhender la réalité telle qu’elle est et, conséquemment, d’y faire face adéquatement (ex. : la présence de délire, d’hallucinations ou d’autres manifestations témoignant d’atteintes sérieuses des fonctions cognitives);
  • de la dépendance aux substances;
  • de violence sexuelle, physique, psychologique, verbale, financière;
  • d’antécédents de comportements qui compromettent la sécurité ou le développement d’un enfant déjà existant, documentés par le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ);
  • de conditions de vie précaires ou dysfonctionnelles (l’itinérance, le fait de demeurer dans une maison de débauche, dans un logement insalubre ou servant à la vente ou à la consommation de drogues, etc.);
  • d’une dynamique dysfonctionnelle, voire pathogène, au sein du couple ou de la famille;
  • d’importantes lacunes, notamment sur les plans matériel, financier, affectif et intellectuel, non compensées par la présence d’un réseau de soutien;
  • de motivations à recevoir des services de PMA qui seraient le résultat de pressions indues (d’ordre affectif, financier ou autres);
  • d’une détresse importante associée par exemple à la perte d’un enfant ou d’un proche (ex. : le deuil pathologique, qui ne permet pas d’appréhender adéquatement la réalité).

Toutefois, la présence de l’une ou l’autre de ces conditions ne signifie pas toujours automatiquement que l’issue de l’évaluation doit être négative. En effet, la présence documentée de facteurs de protection pouvant atténuer l’impact de ces conditions est à prendre en considération. Ainsi, on pourrait juger qu’une femme seule qui vit de prestations de l’aide sociale et qui est atteinte d’un trouble mental pourrait bénéficier de PMA, dans la mesure par exemple où elle s’appuierait sur un réseau de soutien fort, que le trouble mental est bien traité et qu’il n’y a pas eu de « rechute » depuis suffisamment longtemps pour que ce soit significatif. À l’inverse, la présence de facteurs de vulnérabilité pourrait aggraver des conditions pouvant même paraître moins compromettantes que celles qui sont ici expressément identifiées.

Les issues possibles de l’évaluation

L’évaluation peut être « positive » ou « négative » selon qu’elle permet ou non de confirmer le risque de compromission relevé par le médecin.

Mais il faut faire preuve de prudence et de circonspection et envisager de reporter la conclusion si, par exemple, le stress, l’ambivalence, les peurs ou les manifestations à connotation anxieuse ou dépressive usuellement présents sont d’une intensité telle qu’il faille d’abord accompagner et soutenir les personnes avant de se prononcer. Cette perspective d’accompagnement et de soutien est également envisageable lorsque la personne ou les personnes formant le projet parental peuvent être aidées pour mieux composer avec une importante maladie, pour surmonter la détresse liée à la perte d’un enfant ou lorsque l’équilibre du couple ou de la famille est fragilisé, ou encore que la motivation à recevoir des services de PMA semble discutable. Enfin, l’accompagnement et le soutien sont aussi recommandables pour les personnes qui sont conscientes de la présence de certains facteurs de vulnérabilité et qui sont prêtes à fournir les efforts nécessaires pour changer des choses3.

La liste des évaluateurs pouvant être mandatés

La Loi prévoit que l’évaluation requise par le médecin soit faite par un professionnel choisi par la personne ou les personnes formant le projet parental sur une liste de noms fournie par l’ordre concerné et transmise au ministre. Ces listes seront constituées par chacun des ordres visés par la Loi. Ils y inscriront leurs membres dans la perspective qu’ils détiennent les compétences relatives à la pratique visée et aux mandats qu’on pourra leur confier. À titre indicatif, il est important d’avoir une formation minimale sur les aspects médicaux, psychologiques et sociaux liés à l’infertilité de même qu’une certaine expérience clinique en matière de counselling auprès de la ou des personnes qui forment le projet parental. En effet, il faut savoir dans quoi s’engagent celles-ci, de même que ce qu’elles sont susceptibles de vivre ou d’éprouver. Il faut aussi être en mesure de départager chez elles les réactions plutôt typiques et ce qui serait tributaire de la présence d’un trouble mental. Par ailleurs, les évaluateurs auraient éventuellement à rendre compte desdites qualifications, par exemple dans le cadre d’une visite d’inspection professionnelle.

En bref

Nous vous avons présenté dans ses grandes lignes le document faisant état des critères convenus entre les deux ordres professionnels et le ministre. Dès que ce document aura reçu les approbations requises, il sera disponible notamment sur le site Web de l’OPQ. Nous invitons tous ceux que cela intéresse à en prendre connaissance, notamment ceux qui désireraient s’inscrire sur la liste des professionnels pouvant procéder à l’évaluation que peut requérir le médecin.

Bonne lecture!

Références

  1. Au moment d'écrire ces lignes, le document est en voie de finalisation.
  2. Chacun de ces objets comporte plusieurs sous-objets. Pour plus de détail, voir le document dont cette chronique rend compte.
  3. Il faut noter que, indépendamment du fait que la ou les personnes formant le projet parental soient soumises à l'évaluation, il peut être opportun de leur offrir des services d'accompagnement, de soutien ou de counseling, comme le soutiennent de nombreux guides de pratique en matière d'infertilité.