L’utilisation des tests : le recours aux éditions mises à jour
Pierre Desjardins, psychologue, consultant et ex-directeur de la qualité et du développement de la pratique de l'Ordre des psychologues du Québec.
Les tests sont très utilisés en psychologie et il est bon de rappeler que ce sont des outils précieux et qu’ils sont au service des psychologues et de leurs clients, et non l’inverse. Ils constituent une source d’information importante et particulière, tout en ne devant pas cependant être la seule. Leur utilisation s’inscrit notamment dans des activités à haut risque de préjudice, puisqu’elle sert à prendre des décisions dont l’impact peut être considérable, rendant ainsi crucial le choix qu’on en fait.
Par ailleurs, l’état des connaissances évolue de façon telle que des mises à jour des tests psychométriques s’imposent. En effet, le perfectionnement de cet outillage doit suivre le développement des connaissances et le recours aux dernières éditions à jour contribue à l’amélioration des pratiques professionnelles. Cependant, faut-il tenir pour acquis le fait que la dernière édition soit meilleure que la précédente? Faut-il nécessairement adopter cette dernière édition, et ce, en tout temps, en toutes circonstances et avec tous les clients? Si oui, à partir de quand? Ces questions se posent plus particulièrement pour les tests où on prend des mesures quantitatives permettant de situer les sujets dans leur groupe d’appartenance, comme les tests qui mesurent le rendement intellectuel. Pour ce type de tests, en effet, les mises à jour se justifient notamment par l’existence de l’effet Flynn, alors que la recherche a démontré qu’au fil du temps les gens performent de mieux en mieux à une même version d’un test de QI, ce qui en élève la moyenne et modifie l’interprétation qu’on peut faire des résultats.
Si l’adoption de l’édition la plus récente d’un test va de soi, étant donné que celle-ci rend en somme obsolète l’édition précédente, il demeure cependant que cela peut ne pas toujours être indiqué, comme on le verra.
Balises professionnelles et obsolescence
Notre code de déontologie demeure muet sur la question particulière de l’obsolescence, mais on y trouve plusieurs indications générales permettant d’orienter les psychologues dans le choix de leurs tests, notamment celles relatives aux assises professionnelles et scientifiques de notre pratique. L’art. 48 porte plus spécifiquement sur l’utilisation des tests et il se lit comme suit :
Le psychologue reconnaît les limites inhérentes aux instruments de mesure qu’il utilise et interprète le matériel psychométrique avec prudence, notamment en tenant compte :
- des caractéristiques spécifiques des tests ou du client qui peuvent interférer avec son jugement ou affecter la validité de son interprétation;
- du contexte de l’intervention;
- de facteurs qui pourraient affecter la validité des instruments de mesure et nécessiter des modifications quant à l’administration des tests ou à la pondération des normes.
Par ailleurs, un article du code d’éthique de l’American Psychological Association porte spécifiquement sur les tests obsolètes et les données périmées3. On comprend à sa lecture qu’en la matière, outre la possible obsolescence, il faut aussi se demander si le test a encore une fonction utile dans un contexte particulier, ce qui peut aller de pair avec ce que stipule l’art. 48 précité.
Dans un même ordre d’idées, Russell (2010) considère que le concept d’obsolescence ne devrait pas reposer uniquement sur le passage du temps, ni même sur l’avènement d’une nouvelle édition d’un test, mais bien sur la démonstration scientifique et professionnelle qu’un test ou une édition de celui-ci n’est plus valide, ce qui nous renvoie à l’art. 5 de notre code de déontologie, qui stipule que :
Le psychologue exerce sa profession selon des principes scientifiques et professionnels généralement reconnus et de façon conforme aux règles de l’art en psychologie.
L’International Test Commission (2015) va également dans ce sens et propose de considérer un test comme obsolète quand la théorie sous-jacente, les items qui le constituent4, les normes de référence5 ou la technique ne permettent plus de répondre aux besoins ni de satisfaire les exigences scientifiques et professionnelles ou quand son utilisation donne lieu à des décisions ou conclusions inappropriées.
Une démarche professionnelle réflexive
L’exercice de la psychologie est complexe et le psychologue est un professionnel, ce qui, par définition, implique l’incontournable recours au jugement. Cela nous éloigne de l’application aveugle de normes strictes et arbitraires. Le psychologue doit bien connaître les tests qu’il utilise, être en mesure de faire état de leur utilité et limites sur le plan notamment de la validité et de la fidélité, de justifier leur utilisation en considérant la personne qu’il a le mandat d’évaluer, de les mettre en contexte, de nuancer les résultats obtenus, de les relier aux informations tirées d’autres sources et de les intégrer dans des conclusions qui rendent compte d’une compréhension globale de cette personne et de sa problématique.
En vertu de l’art. 48 du code de déontologie cité précédemment, le psychologue, confronté à l’édition d’une nouvelle version des instruments qu’il utilise habituellement et au choix qu’il doit conséquemment faire, est convié notamment à se demander :
- en quoi les caractéristiques spécifiques du test ont changé;
- quelles sont les limites actuelles des éditions antérieures du test et de la nouvelle édition;
- si les caractéristiques du client correspondent toujours aux caractéristiques des cohortes sur lesquelles la nouvelle édition du test a été standardisée;
- si le contexte de l’évaluation se prête à l’utilisation de la nouvelle édition (p. ex. motif de consultation, mandat spécifique qui revient au psychologue, état actuel du client, conditions dans lesquelles peut se dérouler le testing, urgence de la situation);
- quels sont les avantages et désavantages d’utiliser l’une ou l’autre des éditions, l’objectif étant de servir l’intérêt supérieur du client.
Faire le meilleur choix, faire un choix éclairé
Pour exercer adéquatement son jugement professionnel, il faut disposer de la juste information, notamment en ce qui concerne les motifs de la mise à jour du test qu’on compte utiliser. Il est possible que ce soit en raison de l’invalidité scientifique ou professionnelle de la théorie sous-jacente ou encore de la désuétude ou de l’inadéquation des données d’ordre normatif. Ce peut aussi être pour améliorer les propriétés psychométriques, introduire de nouvelles dimensions à évaluer, modifier des stimuli pour les rendre plus pertinents ou plus actuels, bonifier les processus et méthodes d’administration, de cotation et d’interprétation et améliorer l’impartialité ou l’équité transculturelle. Tout ceci peut certainement justifier le fait de passer à la dernière édition d’un test, mais on pourrait aussi conclure, sur la base des modifications constatées ou pour d’autres motifs, qu’il pourrait être préférable de ne pas recourir à la dernière édition d’un test ou du moins d’attendrequelque temps avant de le faire. Voici, à titre indicatif, ce qui pourrait le justifier :
- absence de traduction, d’adaptation ou de standardisation eu égard à la population dont font partie les personnes à évaluer;
- absence dans la nouvelle version d’items ou de sous-tests présents dans la version précédente et nécessaires pour l’évaluation que requiert spécifiquement le mandat;
- accumulation de données expérientielles ou scientifiques toujours valides qui permettent de recueillir des informations plus pertinentes et de tirer de meilleures conclusions à partir de la version précédente;
- utilisation d’une expertise relative à des items ou soustests de la version précédente permettant de tirer sur le plan qualitatif de meilleures conclusions sur le fonctionnement de la personne;
- poursuite d’études longitudinales ou de suivis à long terme amorcés avec une version d’un test autre que la dernière en date;
- impossibilité d’utiliser la dernière édition sans compromettre les résultats, parce que la personne à évaluer y aurait été soumise trop récemment.
Notons que cette liste ne se veut pas exhaustive et que la présence de l’un ou l’autre des motifs possibles qui y sont énumérés ne signifie pas qu’il faille obligatoirement écarter l’édition la plus à jour. Dans tous les cas, le psychologue doit pouvoir justifier son choix et, le cas échéant, en rendre compte. C’est particulièrement important quand l’évaluation qu’il doit faire s’inscrit par exemple dans un contexte de litige. En effet, le psychologue, qui agit à titre d’expert psycholégal et qui appuie son expertise sur des données psychométriques qui ne seraient pas issues des versions mises à jour des tests utilisés, s’expose à une contre-expertise dont le but serait d’invalider les conclusions en alléguant l’obsolescence de l’édition antérieure. C’est un risque réel dont font notamment état Cunningham et Tassé (2010), de même que Russell (2010). Ce contexte légal, avec ses enjeux particuliers, justifierait de détailler dans un rapport la méthodologie en faisant entre autres mention des motifs, sur les plans scientifique et professionnel, soutenant la sélection des tests utilisés.
Le délai de transition vers la nouvelle édition d’un test
En règle générale, il est donc indiqué de migrer vers la nouvelle édition d’un test, mais la question demeure de savoir quand il faudrait le faire. Il n’y a pas de prescription relativement au délai de transition ni non plus de consensus sur cette question. Bush (2010) rapporte qu’en pratique la période de transition se situerait entre six mois et un an. À partir du moment où sont publiées les normes de référence pour la population cible, une telle période de transition peut en effet être raisonnablement envisagée étant donné :
- les coûts que peut engendrer l’adoption de la dernière édition et le budget dont on peut disposer;
- l’obligation de développer les compétences requises par l’utilisation de la dernière édition (impliquant par exemple la prise d’informations sur les distinctions entre les éditions, l’étude des manuels et autres documents qui sont associés à la nouvelle édition, la participation à des activités de formation, etc.);
- le temps requis pour que des réviseurs externes publient leurs critiques, que de recherches indépendantes soient disponibles et que des ajustements soient faits par les concepteurs et éditeurs de la nouvelle édition (publication d’erratum et autres).
Par ailleurs, Bush (2010) rapporte qu’en réalité ce délai de transition pourrait même s’allonger jusqu’à trois ans dans certains cas, notamment en neuropsychologie, alors que l’analyse à faire, pour une bonne part, est d’ordre qualitatif.
Conclusions
Malgré ce qu’on peut parfois entendre voulant que la production de nouvelles éditions des tests réponde à des impératifs de marketing plus qu’à des impératifs scientifiques et professionnels, on nous rapporte que la plupart du temps les nouvelles versions, en plus de proposer des normes à jour, sont améliorées sur plus d’un plan. On y voit l’impact des recherches en psychologie ou en neuropsychologie et du développement des connaissances. Il est souhaitable par ailleurs que la communauté professionnelle s’appuie sur de mêmes outils pour tirer des conclusions qui puissent être comparables et assurer que tous les comprennent de la même façon. Il ne faudrait donc pas résister au changement parce que c’est plus facile de fonctionner avec des outils qui nous sont chers ou familiers. À un moment ou à un autre, il faut passer à la dernière édition d’un test, et l’utilisation, par exemple, de versions qui ne seraient plus très récentes devrait être exceptionnelle. Toutefois, il n’y a pas lieu de s’y empresser de façon zélée ou irréfléchie. Dans tous les cas, le psychologue a la responsabilité de soutenir scientifiquement et professionnellement son choix, et il serait judicieux, au moment de présenter sa méthodologie dans le rapport qu’il verse au dossier, qu’il donne à comprendre ce qui justifie ce choix à la lumière notamment du mandat qui lui a été confié.
Remerciements
Nous tenons à remercier particulièrement Élizabeth Roussy, psychologue et neuropsychologue, pour sa très importante contribution à la rédaction de cette chronique professionnelle.