Devoirs et obligations vis-à-vis d’un client difficile
Denis Houde, psychologue et conseiller à la déontologie à l'Ordre des psychologues du Québec - dhoude@ordrepsy.qc.ca
Certains clients établissent des relations interpersonnelles empreintes de rigidité, ce qui soulève des pièges et des défis auxquels le psychologue doit être préparé. Généralement perceptible dès le premier contact, cette rigidité relationnelle caractérise plusieurs clients souffrant d’un trouble de la personnalité.
Le psychologue qui porte une attention particulière à ces indices peut s’assurer de poser les balises de l’intervention avant même le consentement initial. À cet égard, le code de déontologie offre aux psychologues des indications utiles qui leur permettent de mieux aider cette clientèle.
Le cadre du service
Avant que le client ne consente au service et afin que ce dernier lui soit bien adapté, l’établissement des limites de ce service professionnel est une étape cruciale afin d’offrir un service professionnel adapté à ce type de clientèle1. C’est ce que nous appelons le cadre du service.
Rappelons que le client difficile vit généralement des impasses personnelles, familiales, sociales ou professionnelles. En toute logique et peu importe le contexte, il est probable qu’il éprouve des difficultés au cours d’une intervention proposée par un psychologue. En outre, le client peut être tenté de déstabiliser à son tour le cadre du service en remettant en question les limites imposées ou en refusant certaines clauses pourtant ordinairement admises. Il peut également défier la solidité du psychologue en stimulant chez lui des sentiments comme par exemple la contrariété ou la pitié.
Ceci pourrait avoir pour effet, dans une certaine mesure, d’amener le psychologue à perdre de vue ses objectifs. De telles situations indiquent au psychologue qu’il pourrait avoir besoin de soutien pour rendre des services au client qui exige des interventions particulières.
L’établissement du cadre du service s’avère donc crucial : il permettra au psychologue de s’y référer, le cas échéant, lorsque le client sera pris entre son désir de collaborer au processus et sa résistance au changement.
Formation, supervision et consultation
Malgré le degré de difficulté et les émotions désagréables qu’un tel client peut engendrer chez le psychologue, ce dernier doit en tout temps offrir le service professionnel dans le respect de la dignité du client2.
Ainsi, afin de maintenir une conduite irréprochable dans ses gestes, dans ses attitudes et dans ses paroles3, le psychologue peut obtenir l’aide nécessaire pour comprendre et résoudre les phénomènes déclenchés par la rencontre avec ce client et qui semblent stimuler l’instabilité en lui.
Pour ce faire, le psychologue peut suivre une formation d’appoint sur les personnalités difficiles, aller en supervision ou encore, si la déstabilisation est importante sur le plan personnel, entreprendre une psychothérapie4. Le but de ces démarches est de pouvoir s’acquitter de ses obligations professionnelles avec compétence, intégrité, objectivité (le plus possible) et modération, et ce, dans l’intérêt supérieur du client5.
Refuser d’intervenir?
Si le psychologue n’a pas les compétences pour travailler avec un client difficile, ou si le psychologue est dans un état qui ne permet pas d’offrir un service professionnel de qualité, il peut être tenté de refuser de rendre le service à ce client6.
S’il choisit cette voie, le psychologue doit orienter son client vers une ressource disponible, appropriée et compétente pour l’aider à affronter ses difficultés, dans l’intérêt de ce dernier7. Cela évite que le client ne soit référé sans cesse et que sa motivation au changement ne s’effrite.
L’obligation de maintenir la relation de confiance
Dans de telles circonstances, le psychologue a non seulement l’obligation de subordonner ses intérêts à celui de son client, mais il a également l’obligation de maintenir la relation de confiance dans l’intérêt supérieur de son client8. Concrètement, cela n’équivaut pas à se plier aux désirs du client, mais plutôt à prendre les moyens pour que le client ressorte de cette brève relation avec le sentiment d’avoir été orienté plutôt que d’avoir (encore) été abandonné à lui-même. Même si la référence à un autre psychologue est décevante pour le client, le psychologue doit maintenir ce qu’il reste de relation dans le respect de la dignité du client9.
Le secret professionnel
Un client difficile a parfois recours à des services de couple ou de groupe. Ainsi, il peut arriver qu’un autre client du groupe, quelqu’un de la famille ou du couple, demande au psychologue une rencontre confidentielle pour exprimer son désarroi à l’égard de ce client difficile. Cela se produit parfois parce que cette personne veut préserver l’estime de soi du client difficile, ou parce qu’elle souhaite préserver son propre sentiment de sécurité, ou encore éviter des remous dans sa relation avec le client difficile. Il peut également arriver que le client difficile demande le même type de service confidentiel pour des motifs similaires.
Dans de telles circonstances, il sera essentiel d’assurer la confidentialité pour tous ces clients en prenant soin de discriminer ce qui peut être ramené dans le groupe ou dans la famille de ce qui demande d’être gardé confidentiel10. Ces renseignements s’avèrent souvent utiles pour saisir les non-dits des relations entre les clients en vue d’orienter les services à venir.
En tout temps, le psychologue doit ainsi chercher à préserver l’équilibre entre le secret professionnel et la prestation du service avec la plus grande transparence possible lorsqu’il est question d’intervention avec plusieurs clients, dont un client difficile, et ce, en toute impartialité11.
Urgence et trouble de la personnalité
Les crises suicidaires et les projets homicides sont souvent associés aux clients difficiles souffrant d’un trouble de la personnalité. Nous ne détaillerons pas les divers points de vue scientifiques sur le sujet, mais nous devons tenir pour acquis que ce type de clientèle se trouve représenté, dans une certaine proportion, parmi les gens qui pourraient se mettre en danger ou mettre la vie des autres en danger.
Avant d’aller plus loin, il convient également de préciser quelques définitions. L’évaluation du risque suicidaire ou du risque homicide est différente de l’évaluation de l’urgence suicidaire ou de l’urgence homicide. L’urgence fait référence à l’imminence d’un danger, à la probabilité qu’une personne se suicide dans les 48 heures. Cette probabilité est fonction de la crise actuelle et ne tient donc pas compte de l’histoire passée ni des antécédents suicidaires de la personne12. Elle peut varier grandement d’une journée à l’autre, d’heure en heure, alors que le risque fait référence à la probabilité qu’un individu passe à l’acte dans une période de deux ans en fonction des facteurs liés à l’individu (santé mentale, consommation, maladie physique, etc.), au milieu social (isolement, famille, etc.) et aux circonstances de la vie (décès, chômage, séparation, échec scolaire, etc.)13.
Si un client exprime au psychologue qu’il pourrait commettre l’irréparable dans un avenir très rapproché (moins de 48 heures), en ayant un moyen létal et un lieu prédéterminé, ce dernier peut briser le secret professionnel et aviser la personne ou le groupe ciblé par la menace, ou l’entourage de cette personne, ou les autorités pouvant apporter un secours immédiat afin de prévenir le geste mortel14.
Le psychologue devra envisager que le client, contrarié dans ses plans, puisse mettre fin au service professionnel. Autrement, le psychologue prendra tous les moyens nécessaires pour assurer le maintien de la relation de confiance en tout respect de son jugement professionnel, de sa conscience professionnelle, de son autonomie professionnelle et de l’intérêt supérieur de son client. La gestion de la dangerosité ne se fait jamais seule. Le psychologue cherchera à ce qu’un filet de protection se déploie autour du client qui vit une période de crise.
Conflit d’intérêts
Il convient également de souligner que le client difficile, en attaquant régulièrement le cadre du service, peut offrir des propositions très « créatives » au psychologue.
Par exemple, il pourrait offrir gratuitement un produit ou un service qu’il sait de nécessité pour le psychologue (la réparation d’un lampadaire dans le bureau, de son ordinateur, etc.). Le client peut également avoir le désir de partager des activités professionnelles (faire ses impôts), commerciales (écrire un livre ensemble), personnelles (s’abonner au même club de course, prendre ses vacances dans le même hôtel que son psychologue, devenir ami, tenir les rencontres dans un café pour faire changement) ou financières (nommer le psychologue comme exécuteur testamentaire, lui donner une somme ou une option d’achat de titre pour son entreprise en croissance)15.
Parfois, parce que le client a son psychologue en très haute estime, il lui arrive de vouloir partager ce qu’il considère être « la très grande expertise de son psychologue » avec des membres de sa famille, de ses amis et de son entourage (collègues et employés). La prudence est de mise pour le professionnel, et l’indépendance professionnelle doit être préservée16.
Lorsqu’il vit une séparation, le client peut aussi inciter le psychologue à prendre parti en sa faveur au détriment des autres membres de sa famille. Par exemple, il pourrait amorcer la demande pour une expertise psychosociale et vouloir orienter les conclusions en inondant d’information le psychologue expert sur les aspects favorables de sa conduite et les aspects défavorables de la conduite de l’autre parent.
Toutes ces offres peuvent placer le psychologue dans une situation de conflit de rôles ou d’intérêts et menacer l’intégrité de la relation professionnelle.
C’est pourquoi le psychologue doit répondre à ces tentatives d’immixtion dans la vie privée et d’orientation des services en la faveur du client par l’affirmation de son impartialité et de son indépendance professionnelle. Dans ces circonstances, il réaffirmera respectueusement le cadre du service. Il peut réviser le cadre du service en fonction de nouveaux besoins, besoins qui iront dans le sens des intérêts du client plutôt que dans le sens de ses désirs.
La tenue de dossier et l’accès au dossier
En tout temps, le psychologue est invité à rédiger ses notes au dossier le plus fidèlement possible au plan d’intervention découlant de son évaluation initiale et des besoins du client. Ainsi, il rédige ses notes en fonction des objectifs, des moyens pour atteindre ces objectifs, des progrès réalisés en fonction de l’utilisation et de l’efficacité de ces moyens, de la réévaluation des objectifs et des moyens, et des thèmes liés au motif de consultation et aux objectifs établis17.
Le psychologue ayant un client difficile devra soumettre sa prise de notes à une rigueur renouvelée. Cette rigueur est essentielle, car s’il arrive des moments de schisme (certains diront de clivage) dans la relation où le client met abruptement un terme au service professionnel, le client pourra être tenté d’exercer son droit d’accès à son dossier afin de savoir ce que le psychologue a écrit sur lui18.
Afin d’éviter toute mauvaise interprétation, la prise de notes devra donc être irréprochable, fidèle au plan d’intervention, exempte de jugements, le tout afin de répondre au critère établi plus tôt dans le texte : maintenir une relation de confiance. Pour ce faire, le psychologue aura pris soin de s’abstenir de recueillir des renseignements sur des aspects de la vie privée du client qui n’ont aucun lien avec les éléments du plan d’intervention précités19.
En conclusion
Cette chronique a fait le survol de la plupart des articles du code de déontologie qui font référence aux devoirs généraux, aux devoirs et aux obligations envers le client. Les psychologues qui offrent des services à des clients difficiles ou souffrant d’un trouble de la personnalité font face à différentes réactions et à différentes demandes de leurs clients qui les obligent à s’interroger sur le cadre du service. La réglementation est un moyen pour affirmer que certaines dimensions des limites du cadre du service qui peuvent heurter les clients proviennent d’un encadrement plus général de la profession, donc moins personnel.
Références
- Québec. Code de déontologie des psychologues, Codes des professions, ch. C-26, r. 212, Éditeur officiel du Québec, art. 10.
- Ibid., art. 3.
- Ibid., art. 4.
- Ibid., art. 39 et 40.
- Ibid., art. 7 et 23.
- Ibid., art. 35 et 37.
- Ibid., art. 36 et 23.
- Ibid., art. 23 et 41.
- Ibid., art. 3 et 41.
- Ibid., art. 16.
- Ibid., art. 33.
- Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie (2008). Application des connaissances scientifiques en prévention du suicide.
- Ibid.
- Québec. Code de déontologie des psychologues, op. cit., art. 18.
- Ibid., art. 25, 26 et 30.
- Ibid., art. 23, 31 et 32.
- Québec. Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation des psychologues. C-26, r. 221, Éditeur officiel du Québec, art. 3.
- Québec. Code de déontologie des psychologues, op. cit., art. 20.
- Ibid., art. 14.