Groupe de soutien pour personnes avec troubles mentaux dits sévères
Dre Tania Lecomte, psychologue
La Dre Lecomte est professeure titulaire à l’Université de Montréal et chercheure régulière au CR-IUSMM. Ses travaux visent à l’amélioration des traitements et des services offerts aux personnes avec un trouble psychotique ou un trouble mental sévère. Elle développe et valide également des outils et des interventions pour cette clientèle.
Audrey Livet, psychologue
Au moment d'écrire cet article, Mme Livet était stagiaire postdoctorale au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine. Ses travaux visaient l’amélioration de la détection précoce et des interventions préventives dans le domaine de la santé mentale. Elle est aujourd'hui psychologue à la Direction des services multidisciplinaires du CHUM.
Claude Leclerc
Professeur retraité du Département de sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières et professeur invité à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, en Suisse, M. Leclerc est aussi infirmier spécialisé en santé mentale. Il a œuvré toute sa carrière à l’amélioration des soins offerts aux personnes avec des troubles mentaux sévères.
Durant le confinement dû à la pandémie de COVID-19, l’isolement déjà préexistant chez les personnes avec un trouble mental dit « sévère » (troubles psychotiques, troubles sévères de l’humeur ou de la personnalité) a été exacerbé. Le manque de contacts a mené à de l’anxiété sociale, à des symptômes dépressifs ou obsessionnels, ou encore à des perturbations du sommeil, de l’hygiène ou de l’alimentation. Un groupe de soutien en ligne par visioconférence a été mis en place, proposé à cette clientèle par des experts bénévoles. Les séances, hebdomadaires, duraient 90 minutes; elles ont été offertes pendant trois mois dès la fin mars. Il s’agissait d’un moment de partage de stratégies de gestion du stress et de l’anxiété auprès de cinq à huit personnes. Cet article vise à décrire le vécu des participants, le déroulement des rencontres, les changements survenus grâce à la participation au groupe, ainsi que l’impact de ces interventions dans le travail des intervenants.
L’isolement social dans le contexte de la pandémie : une exacerbation du retrait social préexistant
La pandémie causée par le nouveau coronavirus a entraîné une situation de confinement à partir de la mi-mars au Québec. Les citoyens ont ainsi été confrontés à une situation d’isolement extrême; plusieurs ont dû se mettre au télétravail du jour au lendemain, les contacts sociaux en personne ont été prohibés et les possibilités de sorties, de loisirs, extrêmement limitées. Les personnes aux prises avec un trouble mental sévère, tel qu’un trouble psychotique ou un trouble de l’humeur persistant, souvent déjà isolées, se sont retrouvées encore plus seules qu’habituellement. En effet, parmi elles, nombreuses sont celles qui, du fait de la stigmatisation associée à leur trouble, vivent des difficultés d’interactions sociales; ce peut être à la suite d’une hospitalisation ou en raison d’une coupure dans leur parcours socioprofessionnel qui entraîne une perte de contact avec leurs réseaux. Le confinement a éliminé, pour certaines, les quelques rares contacts sociaux qui leur restaient. De plus, au début de la pandémie, l’offre de soins en psychiatrie a été limitée aux services d’urgence, laissant de côté les groupes et les interventions davantage centrées sur le rétablissement. La création d’un groupe de soutien psychologique pour ces personnes a émergé d’un désir de contribuer et d’aider à briser l’isolement en ces temps difficiles.
Un groupe de soutien pour faire face à la détresse
Création et structuration du groupe
Les besoins de la clientèle et notre expertise auprès des personnes avec des troubles mentaux sévères nous ont poussés à proposer un groupe de soutien ouvert, en ligne, hebdomadaire et gratuit, et ce, dans le but d’offrir un lieu d’échange, de socialisation et de partage de stratégies pour faire face aux situations de vie difficiles consécutives à la pandémie. Le groupe accueillait de nouvelles personnes chaque semaine et les discussions n’avaient pas de contenu prédéterminé. L’objectif consistait à proposer un moment pour rompre avec l’isolement et partager des stratégies d’autogestion. Les rencontres étaient animées par des professionnels bénévoles (psychologues ou infirmier) ayant plusieurs années d’expérience en contexte de groupe auprès de cette clientèle (T. Lecomte et C. Leclerc ayant d’ailleurs écrit des livres dans le domaine) (Lecomte et Leclerc, 2012; Lecomte et al., 2018). L’invitation a été diffusée sur les réseaux sociaux par l’entremise de cliniques et de la Société québécoise de schizophrénie. Toute personne souhaitant prendre part au groupe devait envoyer un courriel pour l’indiquer, puis recevait un lien Zoom en vue d’assister à la prochaine rencontre depuis son ordinateur, son téléphone intelligent ou sa tablette. Au nombre de cinq à huit par séance, les participants étaient des hommes et des femmes âgés de 20 à 40 ans pour la plupart vivant au Québec – si certains résidaient dans d’autres pays (Roumanie et États-Unis), tous s’exprimaient en français. Le groupe était animé par un psychothérapeute et un co-thérapeute et la durée d’une rencontre était en moyenne de 90 minutes.
Orientations théoriques et cibles thérapeutiques du groupe de soutien
Bien qu’un groupe de soutien ne vise ni un apprentissage ni des cibles thérapeutiques spécifiques, il est influencé par l’approche théorique des thérapeutes. Ici, tous étaient d’orientation cognitivo-comportementale, incluant la troisième vague de cette approche. Ils proposaient aussi un regard influencé par la psychologie positive et étaient vigilants aux pensées négatives, aux émotions négatives et aux comportements dysfonctionnels qui étaient communiqués par les participants au cours des séances. Les thérapeutes cherchaient à créer un sentiment d’entraide par le partage d’expériences et de stratégies, divulguant d’ailleurs des stratégies personnelles lorsqu’ils le jugeaient propice.
Déroulement et organisation des séances
Les séances se déroulaient selon une structure identique d’une semaine à l’autre et aucun thème n’était prédéfini. Au début de chaque séance, les membres du groupe étaient invités à partager tour à tour ce qu’ils avaient vécu dans la semaine, que ce soit des événements marquants ou des réflexions personnelles portant sur leur vie émotionnelle. Les psychothérapeutes résumaient ensuite les propos et les thèmes abordés, en mettant en relief les similitudes dans le vécu des différents participants, et proposaient de continuer la discussion en choisissant un thème spécifique. L’objectif était de favoriser le partage d’expérience tout en facilitant la prise de parole. Les participants posaient des questions aux autres membres du groupe ou proposaient des pistes de solutions. L’accent était mis sur les façons de diminuer la détresse chez les participants. Les thérapeutes s’assuraient de ne pas concentrer l’attention seulement sur une personne et incitaient tous les membres du groupe à exprimer leur point de vue. Les séances se terminaient toujours par l’expression d’un « défi » pour la semaine à venir, défini par chaque participant avec l’aide des thérapeutes (ex. : faire plus de sport, socialiser au téléphone ou en ligne, se forcer à sortir du lit).
Apport du groupe, rétroaction sur le vécu des participants et des thérapeutes
L’isolement forcé a bouleversé la vie de nombreuses personnes; dans le groupe, certaines ont mentionné que la perte de leurs habitudes a complètement déstructuré leurs nuits, entraînant un sommeil prolongé et parfois inversé entre la nuit et le jour. D’autres ont observé un impact sur leur alimentation (modification de l’horaire des repas, consommation accrue de restauration rapide ou oubli de manger) ou encore un relâchement dans leur hygiène personnelle, et plusieurs ont parlé d’une augmentation de symptômes obsessionnels, compulsifs, dépressifs, et particulièrement d’anxiété sociale. La rencontre du groupe était parfois le seul contact social de la semaine pour les participants.
En offrant un groupe de soutien, les psychothérapeutes n’avaient pas d’attentes au-delà d’un sentiment d’écoute et de partage. Une minorité d’individus participait de manière sporadique, pour poser quelques questions. Un noyau de cinq personnes a participé à la quasi-totalité des rencontres au cours des trois mois. À la dernière rencontre, les témoignages ont montré à quel point le groupe avait été perçu comme étant utile. Plusieurs personnes ont mentionné avoir changé un aspect important de leur vie à la suite d’une suggestion ou d’un témoignage d’un autre membre du groupe. Un des participants a vu ses symptômes psychotiques augmenter au début du confinement et a relaté que le groupe lui a permis de « revenir sur terre » alors qu’il n’arrivait pas à joindre son psychiatre. Un autre est retourné aux études, un autre encore a entrepris un changement de médicament avec l’aide de son psychiatre, un s’est remis au sport, et le cinquième a démarré un projet de site Web sur la résilience des personnes avec des troubles mentaux.
Les participants n’étaient pas tous au même stade de leur rétablissement, et les personnes plus avancées sont devenues des modèles pour certains membres du groupe. Ceux qui ont influencé leurs pairs, qui ont été une source d’inspiration pour d’autres durant ces trois mois, l’ont souvent fait sans s’en rendre compte, et ont été tous très touchés de l’apprendre. Le sentiment de normalisation qu’a offert le groupe, l’absence de jugement des thérapeutes, ainsi que l’atmosphère de soutien et d’optimisme qui y régnait ont tous été mentionnés comme des éléments clés dans cette expérience de partage.
Conclusion
En temps de pandémie, un groupe de soutien en ligne peut non seulement permettre de briser l’isolement des personnes qui y prennent part, mais également les aider à mieux gérer leur détresse. Il a ainsi un impact significatif sur leur vie. Les interventions en groupe sont particulièrement efficaces avec les personnes ayant un trouble mental sévère et devraient être davantage généralisées.
Références
- Lecomte, T. et Leclerc, C. (dir.). (2012). Manuel de réadaptation psychiatrique, 2e édition. Québec, Québec : Presses de l’Université du Québec.
- Lecomte, T., Leclerc, C. et Wykes, T. (2018). La TCC de groupe pour le traitement de la psychose. Québec, Québec : Presses de l’Université du Québec.