Dre Marie-Josée Prévost : un parcours inattendu, une carrière inouïe
Hélène de Billy, journaliste et écrivaine
Durant sa carrière dans le réseau public de la santé, la psychologue Marie-Josée Prévost a marqué de façon significative l’approche clinique des personnes ayant une déficience intellectuelle et des troubles mentaux associés à des troubles graves de comportement.
Bourreau de travail, la Dre Marie-Josée Prévost, psychologue, a choisi une pratique intégrant enseignement et recherche clinique. Férue d’interdisciplinarité et de travail d’équipe, elle mise sur les solutions innovantes et se décrit comme une psychologue animée par « une volonté de bien faire les choses ».
Adepte d’une foule de sports, amatrice de concerts et de jardinage, cette ancienne championne de ski et de natation est à l’aise avec des patients de tous les milieux. Sa devise? Rester l’esprit ouvert pour demeurer à l’affût des pratiques innovantes qui permettraient de soulager la souffrance.
De 2006 à 2016, elle dirige le Programme de psychiatrie en déficience intellectuelle de l’Institut universitaire en santé mentale du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Avec son équipe, elle y développe toute une gamme de services pour les gens ayant une déficience intellectuelle et des troubles mentaux associés à des troubles graves de comportement.
« Tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait »
Détentrice d’un doctorat en psychologie et d’une maîtrise en management, la Dre Prévost a mis en place une éthique de travail qui repose en partie sur les valeurs qu’on lui a inculquées durant sa jeunesse, notamment grâce à des maximes telles que : tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait. « Ces phrases qui ont ponctué mon éducation ont beaucoup influencé mes façons de voir et mes convictions personnelles. »
L’enfant qui grandit à Lachute, dans les Laurentides, ressent déjà une forte empathie vis-à-vis des personnes qui souffrent. « Mon père était médecin, évoque-t-elle, ma mère, infirmière. À la maison, il n’était pas question d’ignorer la détresse humaine. »
Elle songe d’abord à devenir médecin comme son père, s’inscrit en sciences de la santé au cégep de Saint-Jérôme, puis elle change d’idée après une visite un peu traumatisante avec son père en salle d’urgence. « Heureusement, j’avais suivi un cours de psycho qui m’avait vraiment emballée. J’ai laissé tomber mes rêves de médecine et j’ai entrepris mon curriculum en psychologie. »
Un poste qui oriente à tout jamais sa trajectoire professionnelle
Au début des années 1990, pendant que l’étudiante à l’Université de Montréal rédige sa thèse sur l’optimisation de la performance sportive, un nouveau poste de psychologue est ouvert à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine (HLHL : aujourd’hui l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal). « Je ne croyais pas avoir une chance d’être engagée, raconte-t-elle. À l’époque, il était difficile de trouver un emploi comme psychologue dans le réseau. Mais j’ai postulé. J’aime les défis! »
La jeune femme participait à des tournois de tennis, de ski, de karaté : à l’aise dans la compétition, elle songeait d'abord à devenir psychologue du sport. Or, ce qui l’attend à HLHL est d’une tout autre nature. « J’ai obtenu le poste. Et cet événement a orienté toute ma vie professionnelle. » Elle se retrouve face à l’inconnu.
Pour le bien-être des usagers
En 2006, elle devient chef médicale du Programme de psychiatrie en déficience intellectuelle de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, un poste normalement dévolu à un psychiatre. Il s’agit donc d’une première pour une psychologue, et Marie-Josée Prévost y consacrera ses plus belles années. Avec sa cogestionnaire administrative, des groupes de médecins et d’autres professionnels, elle organise, informe, consulte, se préoccupant avant tout des usagers.
Le fait de se consacrer à son travail ne l’empêchera pas d’achever une maîtrise en gestion et développement des organisations au Département des sciences de l’administration de l’Université Laval, à Québec.
Son but : offrir les meilleurs services possible à une clientèle souvent laissée pour compte. Mettant à contribution chaque professionnel, qu’il soit psychiatre, psychologue, infirmier, psychoéducateur, pharmacien, ergothérapeute ou préposé, elle s’assure que le patient et ses proches sont toujours bien accompagnés. Si la psychologie est sa religion, l’interdisciplinarité est son dogme.
À l’Institut universitaire en santé mentale, elle accueille les premières stagiaires en sexologie, car elle trouve important de mettre sur pied un programme d’amélioration de la qualité de vie sexuelle et un programme de prévention des abus sexuels. « Simple justice. Il fallait reconnaître la légitimité des
besoins. »
Pour la première fois au Québec, un établissement en santé mentale fixe alors des lignes directrices claires en matière de sexualité pour sa clientèle. « Du moment où l’on reconnaît le droit à une vie amoureuse et sexuelle de nos patients, plaide-t-elle, on a le devoir de les accompagner. »
À cette époque, la Dre Prévost doit s’expliquer, entre autres dans les médias, alors que le personnel ignorait auparavant comment réagir par rapport à de telles demandes des patients. « Souvent, les employés ne savaient pas quoi faire. Dans notre unité, on a pris les devants même si l’hôpital hésitait à se positionner. » En fin de compte, conclut-elle, « le personnel a fait preuve d’une ouverture incroyable au plus grand bénéfice de nos patients et de leurs familles ».
Valoriser la participation du patient et de ses proches
Marie-Josée Prévost met également sur pied un programme clinique destiné aux patients ayant une déficience intellectuelle liée au spectre de l’autisme. Elle s’intéresse à la psychiatrie citoyenne et, dans cette optique, s’est rendue à Besançon, en France, il y a une dizaine d’années, pour examiner un modèle novateur qui préconisait entre autres l’hospitalisation à domicile. « Les gens là-bas associaient la collectivité, les mairies, les villes dans l’offre des services. Ce n’est pas n’importe quelle communauté qui peut s’offrir ça. »
Elle valorise la participation du patient comme on le préconise à l’Université de Montréal. Mais à condition que « les bottines suivent les babines », dit-elle dans son vocabulaire imagé. À preuve, la psychologue veut s’assurer que les programmes mis en place atteignent les résultats attendus. « Voilà pourquoi j’ai toujours voulu que soit mesurée la satisfaction de la clientèle. »
Très tôt, elle place aussi les familles en tête de ses priorités. Or, depuis toujours, les familles avaient été mises à l’écart de la démarche clinique des usagers en santé mentale. « On les percevait comme problématiques, se souvient la Dre Prévost. Nous avons pris le pari de les écouter, de comprendre réellement leur vécu et de leur accorder la présomption de compétence. »
Sous sa gouverne, les familles sont non seulement invitées à assister aux rencontres cliniques, mais leur apport a été valorisé au même titre que celui de l’équipe de professionnels. Du coup, les proches quittent le siège de spectateurs pour devenir des collaborateurs incontournables dans la démarche clinique, évidemment avec l’accord des usagers, desquels ils étaient les représentants légaux. « Il reste cependant encore beaucoup à faire en regard de l’implication des familles de personnes recevant des soins psychiatriques », souligne Marie-Josée Prévost.
Une autre de ses réalisations concerne l’équipe mobile de consultation clinique qu’elle a mise sur pied à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Cette équipe mobile, la première à l’époque dans le milieu psychiatrique, a pour mandat de se déplacer à la rencontre de l’usager, que celui-ci soit à l’urgence, dans une unité de soins, en ressource d’hébergement, etc. Un modèle d’innovation!
Garder l’esprit ouvert
Marie-Josée Prévost participe à la publication de nombreux articles scientifiques. Elle cosigne aussi, avec le Dr Jacques Goineau, son fidèle complice psychiatre, le chapitre traitant de la déficience intellectuelle dans un ouvrage de référence pour les médecins en formation intitulé Psychiatrie clinique : une approche bio-psycho-sociale.
L’enseignement a toujours compté pour Marie-Josée Prévost, et jamais elle n’a hésité à accueillir des stagiaires. « Pour moi, c’est vraiment important. D’autant plus que dans sa pratique, le psy doit tolérer une bonne dose d’ambiguïté et d’incertitude. »
Avec les années, elle découvre l’importance de se tenir à jour pour être au courant des différentes stratégies d’intervention, « mais aussi dans l’alliance, il faut établir l’effet qu’on suscite chez notre client et l’effet que le client suscite chez nous ».
Le réseau public, un milieu riche qui mérite qu’on se batte pour sa survie
On la sent très attachée à notre réseau de santé public. Elle parle de ce milieu comme d’un milieu très formateur pour elle, un milieu qui l’a amenée à s’adapter à toutes sortes de situations tout en lui permettant d’avoir accès à une foule de données probantes. « Cela m’a donné la possibilité d’intervenir auprès de clientèles présentant des problématiques variées », estime-t-elle.
Un environnement riche et nourricier qui mérite qu’on se batte pour sa survie. Comment expliquer, alors, que cette psychologue, heureuse dans son travail et reconnue par ses pairs pour ses réalisations, a quitté le réseau à 55 ans? Elle répond : « Dans la foulée de la dernière réforme du réseau de la santé pilotée par le ministre Gaétan Barette, le poste que j’occupais a été attribué à un psychiatre. Victime collatérale de la réforme, je n’ai pu me résoudre à occuper un poste principalement administratif qui m’aurait trop éloignée de ma vocation clinique. »
Elle choisit donc, après 25 ans de services dans le réseau public, de retourner en pratique privée, où elle reçoit de 25 à 30 personnes par semaine à Montréal. Pour cette battante, cette réorientation ne s’est sans doute pas faite sans heurts, mais qu'à cela ne tienne : « Pour moi, peu importe le contexte, l’important est de pouvoir continuer à contribuer de façon significative à la santé de mes patients. »
Des patients qui ont changé au fil du temps cependant. Elle le reconnaît : « Avant, les psys recevaient en consultation davantage des gens de la classe moyenne qui disposaient d’assurances pour payer. Maintenant, la clientèle a évolué. Par exemple, j’ai un jeune qui s’est fait enlever la garde de son enfant par la DPJ, et une jeune fille qui est toxicomane. Ces personnes n’ont pas de gros moyens financiers, ils n’ont pas d’assurance, mais ils n’ont pas le choix, car le réseau public leur est inaccessible faute de place. »
Affectée aux programmes pour les employés offerts aux médecins, aux médecins spécialistes et dans d’autres métiers ou professions de performance, la psychologue assure que cette clientèle n’admet pas facilement avoir des problèmes de santé mentale. « Le but, dit-elle, c’est d’apprendre à vivre avec ses incapacités. »
Rebondir
Toujours enthousiaste à l’idée de transmettre ses connaissances, elle est actuellement chargée de cours et superviseure de stage dans le cadre du programme de doctorat pour psychologues en exercice à l’Université de Sherbrooke.
Dans un souci d’améliorer sa pratique clinique, elle explore de nouvelles approches de la psychothérapie individuelle afin d’adapter son intervention aux besoins diversifiés et parfois complexes des clients.
À l’invitation d’un psychiatre clinicien-chercheur et d’un collègue de la Clinique de psychologie cognitivo-comportementale (CPB) du quartier Ahuntsic, à Montréal, elle s’est jointe à une équipe clinique pour la rédaction d’un protocole d’intervention auprès d’une clientèle réfractaire vivant avec des difficultés sévères.
Proche aidante et mandataire pour une tante de 97 ans résidant en CHSLD, Marie-Josée Prévost vient d’être approchée par la direction du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées (SAPA) du CISSS de sa région pour réfléchir aux enjeux et aux besoins des personnes et de leur famille et à l’amélioration de la qualité des services. « Heureuse de constater que mon expérience pourra servir auprès de cette clientèle », lance l’ancienne gestionnaire toujours prête à se joindre à une équipe en action.
Elle collabore aussi activement aux activités de financement de la Fondation Gilles Daoust, qui permet à des personnes en situation de handicap de réussir professionnellement malgré leurs limites.
Persuadée que de nouvelles façons de soulager la souffrance existent, elle compte répondre à l’invitation du Dr Nicolas Garel, psychiatre, pour faire partie d’un comité de recherche clinique sur la psychothérapie assistée par les psychédéliques.
« La psychiatrie et la psychologie sont des sciences jeunes qui doivent continuer de se développer pour répondre à la souffrance humaine, car des gens continuent d’avoir mal. Pour moi, il est important de rester ouvert. »
En vieillissant, elle s’est rendu compte que la performance sportive (et peut-être la performance tout court) n’était plus pour elle. Non, elle ne parle pas de retraite. Elle continue à faire du ski, du vélo et de la natation, sans toutefois rechercher le dépassement. Ce qui la comble par-dessus tout, ce sont les rencontres chaleureuses en famille, avec ses enfants, ses amis et son amoureux.
L'interdisciplinarité, comme une symphonie
À la ville, à la campagne, elle observe, elle compare, elle soupèse. Côté spectacle, elle a un faible pour les concerts symphoniques. Ce qu’elle y apprécie? Le travail d’équipe. En suivant la baguette de Yannick Nézet-Séguin ou de Rafael Payare, elle voit parfois ses propres équipes au travail… Et elle se dit, en observant l’interdisciplinarité à l’oeuvre et les résultats pouvant en découler : « Tout ça marche admirablement bien. »