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Exclusif Web | Les spécificités de la supervision de la pratique de l’hypnose

Céline Castillo, psychologue
Cofondatrice de la Clinique Psy Intégrative et vice-présidente de la Société Québécoise d’Hypnose de 2020 à 2022, elle pratique l’hypnose auprès des enfants et des adultes.

 

 


L’hypnose clinique est une technique intégrative qui englobe toute une philosophie centrée sur la personne dans sa globalité. En plus d’enrichir la pratique des cliniciens, son apprentissage et son utilisation peuvent impliquer pour bon nombre d’entre eux une adaptation et un changement significatif quant à leur paradigme clinique. Par exemple, pour les psychologues habitués à des approches de type analytique, l’hypnose pourrait contraster de façon plus importante avec leurs pratiques habituelles, étant donné que cette dernière se centre sur la résolution d’un problème, ne visant pas un travail d’analyse. En ce sens, l’intégration de l’hypnose invite les psychologues à explorer un nouveau terrain thérapeutique, à repenser leur conception du fonctionnement psychique et à intégrer des techniques et des concepts différents de ceux auxquels ils peuvent être habitués (Yapko, 2012). Reposant sur son expérience de superviseure, l’auteure traitera de la supervision des techniques de l’hypnose auprès des psychologues, le tout basé sur les fondements de l’hypnose ericksonienne.

Un changement de paradigme

L'intégration de l'hypnose dans la pratique psychologique peut être à la fois stimulante et enrichissante. Offrant de nouvelles perspectives, elle peut aussi dans certains cas entraîner un changement de paradigme dans la compréhension de la psychothérapie et le traitement des troubles psychologiques. De plus, l'hypnose permet au psychologue d’introduire dans sa pratique des interventions brèves et ciblées pour accompagner les individus dans leur cheminement thérapeutique (Hammond, 1990).

Or, l'apprentissage et la maîtrise de l'hypnose peuvent initialement influencer le sentiment de compétence professionnelle des psychologues souhaitant intégrer cette technique dans sa pratique. Ceux-ci doivent souvent réévaluer et ajuster certaines méthodes pour parvenir à intégrer efficacement l'hypnose dans leur pratique (Kirsch et Lynn, 1995). Ce processus peut notamment impliquer une réévaluation des schémas de pensée et nécessite ainsi une posture d'ouverture afin d’éviter que certaines approches ou théories auxquelles ils sont habitués ne limitent la pleine exploration et l'intégration de l'hypnose (Erickson et Rossi, 1981). De plus, le psychologue doit être disposé à remettre en question certaines de ses façons de faire en se montrant ouvert à expérimenter de nouvelles façons d'interagir avec les patients et en mettant l'accent sur les ressources internes des patients de même que sur les processus inconscients (Spiegel et Spiegel, 2004).

Se former à l’hypnose et la pratiquer ne se résumant pas à l’intégration simple d’un nouvel apprentissage, la supervision devient d’une grande importance dans le développement de la compétence requise pour l’utilisation de cet outil thérapeutique. En raison de leurs contributions majeures à l’évolution de l’hypnose thérapeutique, les enseignements de Milton H. Erickson et de François Roustang sont cruciaux, non seulement pour la pratique de l’hypnose, mais aussi pour sa supervision (Erickson et Rossi, 1981; Roustang, 1994).

Développement de l’intuition et de la « perceptude »

Parmi les difficultés rapportées en supervision, le manque de confiance dans le processus hypnotique chez le supervisé est un thème récurrent. Celui-ci se traduit souvent par le besoin, chez la plupart des supervisés, d’avoir un coffre à outils rempli de protocoles structurés, et ce, pour les différentes problématiques rencontrées dans leur pratique clinique. À ce stade, le travail du superviseur sera de permettre aux supervisés de développer leur propre style professionnel et d’explorer leurs compétences dans une pratique réflexive et intuitive. Ce style de pratique nécessite d’apprendre à être pleinement présent et attentif, non seulement aux techniques utilisées, mais aussi à la dynamique de la relation thérapeutique et aux réactions subtiles des patients (Yapko, 2012).

Plutôt que de se centrer sur des protocoles d’hypnose préétablis qui ne sont pas toujours appropriés pour un suivi individualisé, le développement de l’intuition repose sur la capacité des thérapeutes à faire confiance à leurs ressentis et à être ouverts à l’imprévu dans les séances. François Roustang (1994) appelle cela la « perceptude » : une forme de connaissance profonde et instinctive qui émerge de la sensibilité et de la présence à l’instant présent. Elle invite à une forme de communication non verbale et subtile, basée sur l’écoute intuitive et la résonance émotionnelle, tout en favorisant une compréhension plus profonde des émotions, des besoins et des blocages du patient. La « perceptude » met l’accent sur la qualité de la relation thérapeutique et la justesse de la présence du thérapeute. En thérapie, elle permet au thérapeute et au patient d’accéder à des informations et des ressentis essentiels qui ne peuvent être exprimés verbalement.

Pour aider un psychologue supervisé à développer sa « perceptude », il est important d’une part de tester par soi-même sa propre transe hypnotique. D’autre part, il est aussi aidant de mettre en place en supervision un environnement qui favorise l’exploration et l’évaluation de ses ressentis intuitifs, essentiels dans un travail hypnotique. Pour y parvenir, il est nécessaire, dans un premier temps, que le superviseur encourage la réflexion introspective en invitant le supervisé à se connecter à ses ressentis internes, à réfléchir sur ses réactions émotionnelles lors des séances et à explorer les motifs sous-jacents à ses intuitions (Hammond, 1990). Ensuite, le superviseur prendra soin de valoriser l’écoute attentive et d’encourager le psychologue à être pleinement présent et à écouter activement non seulement les mots de son patient, mais aussi les silences, les émotions non verbales et les indices subtils, qui peuvent nourrir son intuition. Tout cela doit se dérouler dans un espace où le supervisé peut exprimer librement sa sensibilité clinique, ou « intuition » clinique, pour ensuite explorer ces ressentis auprès du superviseur afin d’en comprendre la signification (Spiegel et Spiegel, 2004).

L’introduction de certaines techniques créatives telles que la visualisation, la méditation ou le dessin peut aussi aider le supervisé à accéder à ses intuitions de manière non traditionnelle et à explorer de nouvelles perspectives. Il est également important de favoriser l’auto-observation. En encourageant le supervisé à observer et à noter ses intuitions lors des séances thérapeutiques, puis à en discuter en supervision, il est possible d’en tirer des enseignements sur son propre processus intuitif tout en le développant (Kirsch et Lynn, 1995). En combinant ces éléments dans la supervision et en les intégrant dans sa pratique, le psychologue supervisé pourra progressivement développer et affiner son intuition thérapeutique.

Créativité, symptôme et métaphores

Un autre changement important auquel font face certains psychologues pratiquant l’hypnose concerne la place qu’occupe le symptôme du patient dans le traitement. Selon Erickson, les symptômes peuvent être utilisés de manière positive dans le processus thérapeutique. Cette perspective peut souvent demander une adaptation clinique et solliciter grandement l’habileté créatrice des thérapeutes (Erickson et Rossi, 1979).

Rendre la pratique de l’hypnose plus aisée et même naturelle chez le thérapeute ne peut se faire sans passer par l’utilisation de sa créativité, laquelle se manifeste par la maîtrise du langage hypnotique et son aisance à manipuler les métaphores. Cette maîtrise est un processus continu qui nécessite un développement de cette habileté dans le cadre de la supervision professionnelle (Zeig, 1980).

Pour ce faire, le superviseur doit guider le supervisé afin de l’aider à développer, valoriser et partager son propre imaginaire. Le superviseur peut alors proposer des exercices de création de métaphores et de scénarios hypnotiques tout en encourageant le supervisé à explorer différentes façons d’utiliser le langage de manière imaginative et symbolique pour induire des changements chez les patients (Short, Erickson et Erickson-Klein, 2005). Les jeux de rôle permettent également au supervisé de s’exercer à l’utilisation des métaphores et au langage hypnotique dans des situations simulées ou partagées lorsque la supervision se fait en groupe.

Encourager le psychologue à intégrer progressivement les métaphores et le langage hypnotique dans sa pratique clinique, c’est lui apprendre à raconter des histoires, des analogies ou des comparaisons qui reflètent le problème du patient de manière symbolique pour transmettre des idées et des suggestions à son inconscient (Havens, 1989). C’est aussi lui apprendre à rendre des images vivantes afin de contourner les défenses du patient et ainsi permettre à celui-ci de faire des associations personnelles et trouver ses propres solutions (Lankton et Lankton, 1983).

Conclusion

En résumé, pour intégrer l’hypnose dans leur pratique, certains psychologues seront invités à apprendre et à intégrer de nouveaux paradigmes, outils et méthodes pour embrasser pleinement l’approche hypnotique et en découvrir tout le potentiel thérapeutique.

La supervision en hypnose se déroule sur deux dimensions. D’une part, elle est centrée sur l’intégration d’un savoir-faire qui s’enseigne et se développe grâce à l’apprentissage de techniques propres à l’hypnose clinique et au développement de la créativité du supervisé. D’autre part, la supervision est aussi au service du développement d’une posture clinique qui nécessite la mise en place de la sollicitation confiante de l’intuition et de l’imaginaire du supervisé au service de l’imaginaire de son patient. Ainsi, la supervision sera centrée sur l’aisance du supervisé à utiliser un langage métaphorique adapté à l’inconscient de ses clients.

Compte tenu des modèles théoriques et psychothérapeutiques dont sont issus les supervisés, le superviseur doit aussi être ouvert à différentes méthodes et capable d’aider chacun d’eux à trouver ce qui convient le mieux à leur style professionnel.

 

Bibliographie

  • Erickson, M. H., et Rossi, E. L. (1981). Hypnotherapy: An Exploratory Casebook. Irvington Publishers.
     
  • Erickson, M. H., et Rossi, E. L. (1979). Hypnotherapy: An Exploratory Casebook. Irvington Publishers.
     
  • Hammond, D. C. (1990). Handbook of Hypnotic Suggestions and Metaphors. W.  W. Norton & Company.
     
  • Havens, R. A. (1989). Hypnotherapy Scripts: A Neo-Ericksonian Approach to Persuasive Healing. Routledge.
     
  • Kirsch, I., et Lynn, S. J. (1995). Theories of Hypnosis: Current Models and Perspectives. Guilford Press.
     
  • Lankton, S. R., et Lankton, C. H. (1983). The Answer Within: A Clinical Framework of Ericksonian Hypnotherapy. Brunner/Mazel.
     
  • Roustang, F. (1994). La Fin de la plainte. Odile Jacob.
     
  • Short, D., Erickson, B. A., et Erickson Klein, R. (2005). Hope & Resiliency: Understanding the Psychotherapeutic Strategies of Milton H. Erickson. Crown House Publishing.
     
  • Spiegel, H., et Spiegel, D. (2004). Trance and Treatment: Clinical Uses of Hypnosis. American Psychiatric Association Publishing.
     
  • Yapko, M. D. (2012). Trancework: An Introduction to the Practice of Clinical Hypnosis. Routledge.
     
  • Zeig, J. K. (1980). A Teaching Seminar with Milton H. Erickson. Brunner/Mazel.