Le refus de vieillir
Bruno Fortin, psychologue à l’Unité de médecine familiale Charles-Lemoyne
La chronique « La recherche le dit » traite d’un cas clinique. Puis, des données probantes sont rapportées en lien avec la problématique soulevée par le cas clinique. Finalement, l’apport des données probantes pour nourrir la compréhension clinique est discuté.
Le cas clinique
La patiente de 56 ans consulte d’abord au sujet de sa difficulté à voir son fils adolescent se détacher progressivement d’elle. Parallèlement au deuil de cette relation fusionnelle, elle signale que de toute façon elle n’a jamais eu l’intention de vivre vieille. Elle n’a aucun symptôme dépressif ou anxieux, mais demeure bien décidée à terminer ses jours quand elle le voudra, sans plan et sans date fixée. Pour l’instant en bonne santé, elle affirme être incapable de se voir vieillir. Elle ne peut supporter l’idée de voir son corps changer et craint l’émergence de problèmes de santé associés au vieillissement.
La recherche le dit
Les personnes âgées ont plus de probabilités de vivre des pertes interpersonnelles, physiques et cognitives (Yeates et coll., 2010). Il est donc courant de percevoir la vieillesse comme une période de la vie déprimante et difficile. La recherche signale toutefois que la grande majorité des personnes âgées sont très satisfaites de leur vie et maintiennent un haut niveau de bien-être jusqu’à quelques mois avant leur mort (Holahan, Holahan, Velasquez et North, 2008).
Le suicide a été considéré tantôt comme un geste héroïque, un péché, un crime ou une folie (Wharton, 1983). L’idée de mourir en réaction à la perte anticipée des caractéristiques de la jeunesse, de l’autonomie, de son rôle social et de la maîtrise des événements est associée à l’isolement, au perfectionnisme, à la rigidité et au narcissisme d’une personne (O’Riley et Fiske, 2012).
Les personnes âgées affrontent pourtant les défis associés au vieillissement
- en choisissant minutieusement leur quantité d’activités, leurs valeurs et leurs relations en fonction des limites de leurs capacités et du temps disponible;
- en optimisant leurs capacités par la pratique intensive d’une zone restreinte d’habiletés;
- en compensant leurs limites par l’utilisation de comportements alternatifs ou de technologies palliatives. Le besoin de se sentir en maîtrise de son environnement sera satisfait indirectement par la recherche active de conseils et d’aide et par le désengagement de certains buts secondaires ou inaccessibles (Penningroth et Scott, 2012).
Les individus qui manquent de flexibilité et d’ouverture à l’expérience auront plus de difficultés à s’adapter. Ceux qui insistent beaucoup sur leur besoin de maîtrise et qui perçoivent négativement la maîtrise qu’ils ont seront plus à risque de suicide (O’Riley et Fiske, 2012). La thérapie cognitive, les approches basées sur la pleine conscience, la thérapie d’acceptation et d’engagement et la thérapie de résolution de problème peuvent favoriser la flexibilité et l’adaptation nécessaires au vieillissement réussi (O’Riley et Fiske, 2012).
La patiente dont nous avons parlé au début de cet article a bénéficié d’une saine curiosité, qui l’a amenée à remettre en question ses préjugés et à aller à la rencontre de la réalité de personnes âgées admirables. Des éléments de restructuration cognitive lui ont permis de semer le doute dans ses hypothèses au sujet des pires symptômes anticipés et d’assouplir ses exigences de perfection. Elle a reconnu qu’elle vivait avec un corps de 56 ans qui n’était pas celui de ses 20 ans sans en faire un drame, et qu’elle pourrait être surprise de sa facilité d’adaptation au reste du processus de vieillissement. Elle a également été confrontée à la détermination de ses valeurs primordiales, qui ne se limitent pas à la beauté de la jeunesse. De plus, elle ne souhaite pas laisser à son fils un message qu’il pourrait interpréter comme une invitation à faire de même. Elle a choisi de faire ce qui était en son pouvoir pour enrichir sa vie et en profiter pleinement.