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La téléthérapie en pratique familiale en temps de pandémie

Dre Isabelle Gagnon, psychologue
Directrice de la Clinique de psychologie familiale des Mille-Îles, qui offre des services psychologiques aux enfants, aux adolescents et aux familles, la Dre Gagnon est également superviseure de stages à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).


Lorsqu’est survenue la pandémie de COVID-19, nous avons dû nous adapter à la vitesse grand V. Nous avions déjà utilisé par le passé la téléthérapie, mais très rarement, et davantage par nécessité (par exemple si un patient partait dans une région éloignée). Nous n’avions donc aucune structure officielle en place et organisée nous permettant d’offrir cette pratique à tous nos patients. Je ne vous dirai pas le nombre d’heures que j’ai dû consacrer afin de m’assurer de ne laisser aucun aspect au hasard, ni technique, ni organisationnel, ni clinique, ni légal, ni déontologique... J’avais aussi la responsabilité de prendre soin de mon équipe, puisqu’à la clinique, tout le monde a un statut d’employé ; j’ai dû les rassurer, les soutenir et les orienter. Je dois d’ailleurs ajouter que je me sens privilégiée de travailler avec une équipe qui a répondu « présente » et qui s’est mobilisée avec cœur.

Néanmoins, un sentiment d’urgence m’a habitée. Nous passions toutes au travers de cette crise, tout en prenant soin de nos patients, incluant les plus vulnérables. Et comme beaucoup d’entre nous travaillent aussi dans le système public en plus de notre pratique privée, cela a ajouté d’autres variables à prendre en compte dans la réorganisation de nos services. Ainsi, parallèlement à la transition de nos services vers la téléthérapie, des psychologues de notre équipe ont continué leur soutien en milieu scolaire, d’autres ont offert leurs services dans le système public en personne ou à distance, et certaines ont même vécu un transfert en CHSLD, où elles ont pu soutenir des travailleurs de la première ligne. Pour ma part, j’ai terminé mon mandat de superviseure au Centre de services psychologiques de l’UQAM en supervisant mes étudiants à distance. Toutes, nous avons composé avec des situations et des consignes qui changeaient très rapidement, et avons travaillé avec tout notre cœur dans ce climat d’incertitude.

En ce qui a trait à la pratique privée, nous avons dû user de créativité et d’ouverture afin d’adapter la téléthérapie aux enfants. Nous avons grandement appris et amélioré notre utilisation de cette modalité. Notre expérience va à l’encontre de la croyance selon laquelle la téléthérapie est une modalité peu utilisable ou inefficace. La réponse des familles a été très positive. Nous avons découvert de magnifiques outils et pu adapter des jeux de façon très surprenante, au point que je peux affirmer que la téléthérapie en pratique familiale est bel et bien là pour de bon.

J’ai eu l’heureuse surprise d’observer que pour beaucoup d’enfants, l’écran ne constitue pas nécessairement un frein, mais qu’il est en fait une porte ouverte. Certains de mes patients m’ont présenté leur animal de compagnie, leurs toutous, et se sont confiés avec soulagement, très heureux d’avoir un contact avec l’extérieur malgré le confinement. À la reprise des séances en présentiel, nous avons été contents de nous rencontrer en personne, malgré les défis des consignes et autres directives sanitaires à respecter. Depuis le début de la pandémie, la devise « la nécessité est mère de l’invention » m’a grandement habitée. Le Courrier de Laval, un journal local, a d’ailleurs interviewé une partie de notre équipe pour en parler.

En plus de tout cela, j’ai soumis à quelques reprises mon nom au site Web Je contribue pour offrir des services psychologiques. Je n’ai jamais eu de réponse. Alors je me suis dit que je n’attendrais pas la machine gouvernementale pour pouvoir aller, moi aussi, mettre la main à la pâte. J’ai décidé de donner mon nom comme bénévole auprès des personnes âgées souffrant de troubles cognitifs. J’y suis allée un après-midi par semaine et j’ai fait de mon mieux pour aider les préposées en donnant des soins de coiffure et en animant des bingos. Nous faisions jouer de la musique, nous échangions, et nous apprenions à nous connaître. J’étais à l’écoute, et j’essayais d’apporter un peu de soleil et de chaleur aux résidents dans cette période de confinement, alors que ces personnes vivaient un isolement quasi total. Beaucoup de ces personnes âgées recevaient peu ou pas de visites, même avant la pandémie. J’ai trouvé leur solitude bouleversante.

Je conclurais en soulignant ceci : dans une catastrophe, nous sommes avant tout des êtres humains et, en tant que psychologues, nous possédons des qualités humaines essentielles en temps de pandémie, comme la compassion, l’écoute, le dévouement et le sacrifice de soi. Au moment où je rédige ce témoignage, la crise n’est pas finie, et j’observe que la détresse psychologique anticipée comme conséquence à la pandémie est réellement là. Les enfants et les adolescents ont été, dès le départ, des exemples de résilience avec leurs dessins d’arc-en-ciel et leur respect des mesures de confinement. Toutefois, les plus vulnérables en ressentent maintenant les conséquences : hausse des symptômes d’anxiété, isolement et tristesse. Les impacts d’événements stressants vécus dans la famille (perte d’emploi, stress des parents, négligence et violence familiale) les affectent aussi. L’heure n’en est pas encore au bilan, car les familles ont besoin plus que jamais de services en psychologie pour atténuer les impacts de la pandémie. Il ne tient qu’à nous, les psychologues, de continuer sur le sentier de la résilience, afin que nous en ressortions grandis et encore plus humains grâce à cet accompagnement que nous offrons aux familles dans leur cheminement.

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