Facteurs de risque et profils des auteurs de violence entre partenaires intimes
Professeure à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la détresse relationnelle et la violence entre partenaires intimes.
Professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, elle étudie la violence, les conflits et la sexualité des couples.
Professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal, elle se spécialise dans l’étude des traumatismes interpersonnels en enfance.
Avec la collaboration de Dre Marie-Ève Daspe, psychologue, Dre Katherine Péloquin, psychologue, Dre Claudia Savard, psychologue, et Dre Marie-France Lafontaine, psychologue.
La perpétration de violence entre partenaires intimes (VPI) est un problème de santé publique majeur au Québec, ayant touché 40 % des femmes et 26 % des hommes au cours de leur vie (Institut de la statistique du Québec, 2023). Afin de considérer l’hétérogénéité des contextes et manifestations des comportements de VPI (p. ex., Brassard et al., 2023; Johnson, 2008), le présent article propose un survol des études identifiant des profils d’auteurs de VPI ainsi que des études décrivant des facteurs de risque individuels et relationnels de sa perpétration.
Dynamiques de violence
Depuis quelques décennies, des acteurs de la recherche et des milieux cliniques ont fait valoir la nécessité de distinguer les dynamiques de VPI afin d’adapter les interventions. La typologie de Johnson (1995, 2008, 2017) a notamment permis de réconcilier des perspectives opposées où se distinguent : a) les personnes autrices de violence qui cherchent à contrôler, dominer, voire terroriser leur partenaire pour maintenir leur emprise; et b) les personnes qui ont recours à la violence dans un contexte d’échec des stratégies de résolution des conflits.
- Contrôle coercitif : la première dynamique, le contrôle coercitif, se définit par des tactiques de contrôle pouvant inclure ou non la violence physique (p. ex., manipulation, surveillance, menace, humiliation) perpétrées de façon progressive par un partenaire afin de maintenir une domination et un contrôle sur l’autre partenaire en limitant ses droits et sa liberté d’action. C’est la dynamique de VPI la plus sévère et dangereuse pour la vie des victimes; elle est fréquemment rapportée par les femmes en maisons d’hébergement (Johnson, 1995, 2008, 2017; Lussier et al., 2017; Stark, 2007).
- Violence situationnelle : la seconde dynamique, la violence situationnelle, survient lors de conflits ou de différends ponctuels entre deux partenaires et résulterait d’une réponse inadaptée au stress et à la colère issus de conflits relationnels. Sans présenter un schéma général de contrôle, la violence s’inscrit plutôt dans une dynamique violente de gestion des conflits. La violence situationnelle peut être mineure ou sévère, fréquente ou isolée (Institut national de santé publique du Québec [INSPQ], 2020). Bien qu’elle semble moins sévère, cette dynamique peut, dans certains cas (p. ex., événements stressants, inégalités de pouvoir), se transformer en dynamique de contrôle coercitif (p. ex., Kelly et Johnson, 2008; Myhill, 2015).
- Résistance violente et contrôle mutuel : deux autres dynamiques, moins bien démontrées par les études, sont la résistance violente (utilisation de la violence pour se défendre) ainsi que le contrôle mutuel (dynamique où les deux partenaires ont recours aux stratégies de contrôle coercitif). Alors que les hommes sont plus fréquemment les auteurs de contrôle coercitif, les personnes de tous les genres sont susceptibles de recourir à la violence situationnelle.
Interventions, dynamiques et profils
Puisque toutes les dynamiques de VPI ont des conséquences majeures pour les victimes (p. ex., Dokkedahl et al., 2022; White et al., 2024), il est important d’intervenir. Or, il est déterminant de bien évaluer ces dynamiques afin de les considérer dans la planification de l’intervention. Lussier et ses collègues (2013) présentent des lignes directrices pertinentes pour l’intervention, dans lesquelles ils recommandent aux psychothérapeutes de combiner l’utilisation de questionnaires sur les comportements émis et reçus à la conduite d’entrevues individuelles pour distinguer ces dynamiques. Des repères sont fournis pour établir la modalité d’intervention à privilégier, la psychothérapie de couple n’étant pas recommandée lorsque la dynamique correspond au contrôle coercitif. La VPI est une problématique complexe et multifactorielle qui requiert un examen approfondi des facteurs de risque individuels, relationnels et sociétaux de sa perpétration afin d’orienter le plan d’intervention. À ce jour, la plupart des approches manualisées (one-size-fits-all) ont montré une efficacité limitée (Babcock et al., 2024), ce qui souligne la pertinence de personnaliser les interventions (Butters et al., 2021).
Au Québec, l’association À coeur d’homme offre des services spécialisés destinés aux auteurs de VPI, quelle que soit la dynamique de violence. Une étude quantitative (Brassard et al., 2023) menée auprès de 980 hommes utilisateurs de ces services révèle que ceux-ci sont plus susceptibles de présenter des profils de perpétration de VPI qui s’apparentent davantage à la violence situationnelle (67,9 %) qu’au contrôle coercitif (32,1 %). L’étude révèle aussi que les auteurs qui semblent recourir au contrôle coercitif présentent, comparativement à ceux qui semblent recourir à la violence situationnelle, des profils marqués par des degrés plus élevés d’insécurité d’attachement, de détresse psychologique et de traits de personnalité narcissiques, psychopathiques et machiavéliques, ainsi qu’un nombre plus élevé de traumatismes interpersonnels vécus dans l'enfance (Brassard et al., 2023).
Facteurs de risque
Les écrits appuient l’importance de considérer le rôle des facteurs individuels associés à un risque accru de manifester des comportements de VPI. Sur le plan clinique, l’examen de ces facteurs permettra de bonifier la compréhension clinique et de cibler les enjeux sous-jacents aux comportements de violence.
- Facteurs développementaux : les expériences de traumatismes interpersonnels ou de maltraitance dans l'enfance (Godbout et al., 2019) incluent l’agression sexuelle dans l'enfance, la violence physique ou psychologique, la négligence physique ou psychologique, l’exposition à la violence parentale physique ou psychologique et l’intimidation par les pairs. Il est pertinent d’explorer ces expériences et leur rôle dans la trajectoire développementale de chaque individu sur les plans identitaire, relationnel et affectif (Brière, 2002), ainsi que de considérer le cumul des expériences comme facteur additionnel pouvant amplifier le risque de perpétrer la VPI. Des études montrent aussi qu’un faible encadrement parental augmente le risque que les jeunes adultes aient recours à la VPI, car ils n’ont pas développé des stratégies non violentes de résolution de conflits (p. ex., Miller et al., 2009).
- Attachement amoureux : alors que la sécurité d’attachement constitue un facteur de protection (Spencer et al., 2021), les insécurités d’attachement amoureux (Veloti et al., 2022) augmentent le risque de passage à l’acte violent. L’anxiété d’abandon, qui repose sur une image de soi négative et des craintes d’abandon, pourrait conduire à la VPI par l’entremise de la recherche excessive de proximité et de rassurance pouvant se manifester par la jalousie, le contrôle ou les attaques comme stratégies dysfonctionnelles de rapprochement. L’évitement de l’intimité, qui repose sur une image de l’autre négative et un inconfort avec l’intimité émotionnelle, pourrait pour sa part conduire à la VPI par l’entremise de stratégies de mise à distance des partenaires, comme la froideur ou le mépris (Brassard et al., 2017).
- Gestion des émotions : une méta-analyse (Maloney et al., 2023) sur le rôle de la régulation émotionnelle pour expliquer la VPI a conclu que ce sont les difficultés de régulation émotionnelle – ou la dysrégulation – qui accentueraient ce risque, et ce, davantage que le rôle protecteur des habiletés à réguler ses émotions. Or, une méta-analyse sur le rôle de l’empathie (Vachon et al., 2013) a fourni des résultats mitigés, amenant les chercheurs à distinguer les formes d’empathie pour expliquer la perpétration de VPI. Si l’empathie cognitive (c.-à-d. se mettre à la place de l’autre) semble atténuer faiblement le risque de commettre de la VPI, des formes mésajustées d’empathie affective, comme le fait d’être surchargé par les émotions d’autrui (Brassard et al., 2022) ou la dissonance affective (c.-à-d. ressentir des affects contraires à ceux d’une autre personne; Claing et al., 2024) sont liées à un risque accru de VPI.
- Troubles de santé mentale : il est démontré de façon robuste que les troubles de la consommation de substances (Cafferky et al., 2018) représentent un facteur accroissant le risque de perpétrer la VPI. Les problématiques de santé mentale, en particulier les troubles de l’humeur (dépression et anxiété), le trouble de stress post-traumatique et les troubles de personnalité antisociale et limite, sont également un important facteur de risque de la VPI (Spencer et al., 2019).
- Cognitions : des études ont montré que les biais d’attribution hostile, l’hostilité envers les femmes ou les hommes (Douadi et al., 2024), des attitudes favorables à la violence pouvant avoir été acquises dès l’enfance (Markowitz, 2001) ainsi que le stress d’écart à la masculinité (Lebeau et al., 2024) sont associés à un risque accru que des situations – comme des désaccords ou des conflits – soient perçues comme une menace (à l’ego ou à la masculinité, notamment) et que la violence soit utilisée pour reprendre du contrôle ou rétablir sa masculinité.
- Facteurs relationnels : enfin, bien qu’il ne faille jamais faire reposer la responsabilité de la VPI sur un autre individu que son auteur, des facteurs relationnels comme la présence accrue de conflits relationnels sont reconnus comme pouvant accentuer le risque de violence (Capaldi et al., 2012; Stith et al., 2008). Plus précisément, l’insatisfaction conjugale et les patrons dysfonctionnels de communication, comme le blâme mutuel et le patron demande-retrait – où un partenaire demande du changement, critique ou blâme l’autre, alors que le second partenaire se retire ou refuse de discuter (Arseneault et al., 2024) –, sont associés au risque accru de perpétration de VPI.
En conclusion, les psychologues gagnent à systématiquement évaluer la dynamique de VPI pour choisir une modalité d’intervention ajustée (couple, individuelle) ou référer à un service spécialisé, selon leurs expertises. Si l’examen des facteurs de risque enrichit la compréhension clinique et permet de cibler des stratégies d’intervention, ces facteurs ne doivent pas justifier les comportements perpétrés. Chaque personne demeure responsable de ses comportements et doit les reconnaître pour les changer.
Bibliographie
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- Capaldi, D. M., Knoble, N. B., Shortt, J. W. et Kim, H. K. (2012). A systematic review of risk factors for intimate partner violence. Partner Abuse, 3(2), 231-280. https://doi.org/10.1891/1946-6560.3.2.231
- Claing, A., Brassard, A., Dugal, C., Savard, C., Daspe, M.-È., Péloquin, K. et Godbout, N. (2024). Personality and empathy as explanatory factors in pathway from childhood victimization to intimate partner violence [manuscrit soumis pour publication].
- Dokkedahl, S. B., Kirubakaran, R., Bech-Hansen, D., Kristensen, T. R. et Elklit, A. (2022). The psychological subtype of intimate partner violence and its effect on mental health: A systematic review with meta-analyses. Systematic Reviews, 11(1), article 163. https://doi.org/10.1186/s13643-022-02025-z