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Prévenir la violence sexuelle : contextes, avancées et défis

Dre Martine Hébert, psychologue
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les traumas interpersonnels et la résilience et cotitulaire de la Chaire Marie-Vincent sur les agressions sexuelles envers les enfants, elle est professeure au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal.


Dre Jacinthe Dion, psychologue
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la violence sexuelle chez les jeunes vulnérables, elle est professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières.


 

Dre Isabelle Daigneault, psychologue
Dirigeant le Laboratoire de recherche sur les trajectoires de santé et de résilience de jeunes agressés sexuellement, elle est professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal.


L’agression sexuelle est une grave problématique de santé publique aux conséquences multiples (Noll, 2021). Pour y répondre, il est impératif de développer et promouvoir des stratégies de prévention efficaces. Si les premiers efforts de sensibilisation se limitaient à informer les jeunes sur les risques d’agressions commises par des inconnus (Daigneault et al., 2012), les données accumulées depuis ont conduit à l’élaboration de programmes intégrant le fait que la violence sexuelle est principalement perpétrée par des personnes proches et connues (Rudolph et al., 2022). Par ailleurs, différents mouvements sociaux tels que #MoiAussi ont exposé les obstacles au dévoilement des agressions et illustré la diversité des contextes dans lesquels la violence sexuelle se manifeste : famille, relations intimes et amoureuses, écoles, lieux de travail, sports ou espace numérique (Corte et Desrosiers, 2021; Stubbs-Richardson et al., 2024). Ces prises de conscience ont intensifié la mobilisation collective pour transformer les pratiques sociales.

Quels progrès?

Face à l’ampleur des conséquences de la violence sexuelle et au besoin de mieux soutenir les victimes, le Québec a mis en place plusieurs initiatives législatives et éducatives. Ces mesures visent à renforcer la capacité des institutions à la prévenir, à la détecter et à intervenir efficacement dans des milieux variés tels que ceux de l’enseignement supérieur, du système judiciaire et des écoles.

Ainsi, la loi P-22.1 (2017) impose aux établissements d’enseignement supérieur d’adopter des politiques claires pour prévenir et gérer les violences sexuelles, incluant des mécanismes de signalement accessibles et un soutien aux victimes. Depuis, des formations obligatoires ont été instaurées pour le personnel et la population étudiante de ces institutions.

À la suite du rapport Rebâtir la confiance (Corte et Desrosiers, 2021), l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi T-15.2 (2021) a permis la création d’un tribunal spécialisé pour les violences sexuelles et conjugales. Ce tribunal vise à mieux répondre aux besoins des victimes. Dans ce cadre, des formations spécifiques sont offertes aux juges, aux avocats et au personnel administratif pour garantir un traitement sensible et adapté (p. ex., Collin-Vézina et al., 2023; Fondation Marie-Vincent, 2024).

La loi P-32.01 (2022), sur le protecteur national de l’élève, a conduit à la création de la formation Le pouvoir d’agir (2024), destinée aux adultes travaillant auprès des élèves dans les écoles primaires et secondaires ainsi que dans les centres de formation des adultes. Cette initiative vise à renforcer leurs capacités à détecter la violence, notamment sexuelle, à la prévenir et à intervenir lorsqu’ils y sont confrontés.

Dans les milieux sportifs et de loisirs, le ministère de l’Éducation, dans le cadre de la stratégie gouvernementale pour contrer la violence sexuelle (2024) et de la Loi sur le protecteur national de l’élève (P-32.01), soutient des actions préventives. Par exemple, il appuie le développement du programme Hors-Jeu, qui vise à prévenir les violences à caractère sexuel dans les milieux sportifs collégiaux et universitaires, ainsi que de formations complémentaires pour ces milieux.

Quelle efficacité?

En complément, des programmes de prévention des agressions sexuelles ont été instaurés afin de sensibiliser et d’outiller les personnes susceptibles de les subir, avec un accent mis sur les programmes auprès des enfants d’âge scolaire. Les études montrent que ces initiatives sont généralement efficaces pour améliorer les connaissances et développer des habiletés préventives (p. ex., dire non, dévoiler les gestes à une personne de confiance), et que les acquis se maintiennent à court terme (voir Ferragut et al., 2023; Gubbels et al., 2021; Walsh et al., 2018). Les programmes les plus efficaces favorisent une participation active des enfants (jeux, quiz, etc.), incluent plusieurs séances pour répéter les concepts clés et utilisent des notions concrètes plutôt qu’abstraites. Ils doivent aussi être adaptés au niveau de développement des enfants, par exemple en utilisant des indices visuels et des séances courtes pour les plus jeunes (Hébert et al., 2023). Toutefois, les données actuelles montrent qu’il existe encore peu de preuves que ces programmes éducatifs contribuent à réduire l’incidence de la violence sexuelle envers les enfants (Rudolph et al., 2022).

D’autres programmes destinés aux populations adolescentes ou de jeunes adultes ont également démontré leur efficacité, non seulement pour améliorer les connaissances et les habiletés, mais aussi pour réduire la violence sexuelle subie (Flip the Script with EAAA; Senn et al., 2023) ou encourager les comportements des témoins actifs (Jouriles et al., 2018). Ces programmes se révèlent d’autant plus efficaces lorsqu’ils incluent plusieurs séances, des activités interactives et des possibilités de mettre en pratique de nouvelles habiletés (Orchowski et al., 2020).

De manière générale, les auteurs s’entendent par ailleurs sur le fait qu’un impact significatif durable n’est possible qu’avec la mise en oeuvre d’approches à composantes multiples (individuelles, relationnelles et communautaires). Ces approches écosystémiques de promotion de la santé et de prévention engagent activement les jeunes, y compris les adolescents et les jeunes adultes, ainsi que les parties prenantes importantes de leur communauté, telles que les parents, les pairs, le personnel scolaire et d’autres adultes significatifs.

Au Québec, différents organismes communautaires offrent de tels programmes depuis plusieurs années, dont les programmes ESPACE, EMPREINTE et Clique sur toi!. La Fondation Marie-Vincent propose également un éventail de formations destinées au personnel du réseau de la santé et des services sociaux, aux organismes communautaires associés, au personnel scolaire du primaire et du secondaire, ainsi qu’au personnel oeuvrant dans le secteur sociojudiciaire. Depuis 2019, la Fondation a également déployé le programme Lanterne, qui s’adresse aux enfants d’âge préscolaire et aux adultes qui les entourent, et qui met l’accent sur l’éducation à la sexualité et la promotion des relations égalitaires (Fortin et al., 2020; Hébert et al., 2022). Une adaptation de ce programme pour les enfants d’âge scolaire est en cours de développement (Boussole), tout comme une version adaptée aux enfants ayant des besoins particuliers (Voies). Par ailleurs, plusieurs initiatives visent à prévenir la violence sexuelle auprès des jeunes, notamment dans les relations intimes et amoureuses. Mentionnons notamment le programme Étincelles, qui s’adresse aux élèves du secondaire, et les programmes Constellation et Renverse les codes avec BÉRA, qui visent respectivement les jeunes du cégep et de l’université. Ces projets collaboratifs garantissent que les outils répondent aux besoins spécifiques des différents publics visés grâce à leur approche participative et coconstruite.

Les approches participatives jouent un rôle essentiel dans la conception des programmes destinés aux groupes vulnérables, notamment en milieu autochtone. Les recherches sur l’implantation des programmes de prévention de la violence sexuelle tels que Lanterne|Awacic et Lanterne|Auass illustrent clairement leur importance (Dion et al., 2024). Ces travaux soulignent également la nécessité d’adopter une approche de sécurité culturelle qui permet de proposer des interventions sensibles et adaptées aux réalités vécues par ces communautés. En tenant compte des traumatismes historiques qu’elles ont subis, cette approche favorise la création d’environnements sécurisants, essentiels pour soutenir efficacement les communautés autochtones.

Quels défis?

Malgré les avancées réalisées, plusieurs défis persistent. L’évaluation rigoureuse des programmes de prévention constitue un enjeu clé pour en garantir l’efficacité, notamment en ce qui a trait à la réduction des violences subies et perpétrées. En outre, il est crucial d’assurer un accès équitable aux services pour toutes les personnes victimes, afin de réduire les conséquences de la violence, dont le risque accru de revictimisation (Walker et al., 2019). Si des modèles d’intervention éprouvés, comme la thérapie cognitivo-comportementale axée sur le trauma, ont démontré leur efficacité (Denis et Gamache, 2024), l’accessibilité demeure problématique. Les longues listes d’attente et les disparités régionales freinent souvent l’accès à ces interventions, retardant ainsi l’offre de soutien essentiel aux jeunes victimes et à leurs familles.

Par ailleurs, les efforts actuels en prévention se concentrent principalement sur l’outillage des intervenants et intervenantes et l’information aux victimes potentielles. Toutefois, ces initiatives restent souvent cloisonnées et développées isolément, n’intégrant pas les connaissances issues des travaux sur l’émergence des comportements sexuels inappropriés (Letourneau et al., 2024), les facteurs de risque liés à la perpétration de la violence sexuelle (Seto et al., 2024) ou le rôle des témoins (Banyard et al., 2021; McMahon, 2024), en plus d’être limitées par un manque de connaissances sur la situation particulière des garçons abusés sexuellement (Finkelhor, 2025). Pour qu’elles puissent atteindre leur plein potentiel et leur efficacité optimale, il est crucial de regrouper les connaissances issues des différents domaines concernés et de les intégrer aux cadres législatifs en vigueur. Cette démarche permettrait de concevoir des plans d’action véritablement intégrés et globaux, avec pour but ultime l’éradication des violences sexuelles.

Note

Les auteures de cet article sont membres du Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS).

Bibliographie

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