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Le sommeil des adolescents, pierre angulaire de leur santé mentale

Dr Mathieu Pilon, psychologue
Le Dr Pilon est professeur agrégé au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke. Ses intérêts touchent le sommeil et ses répercussions sur le fonctionnement des enfants et des adolescents.

 

Dre Evelyne Touchette, psychologue
Professeure agrégée au Département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières, la Dre Touchette est également chercheuse au CÉAMS, une Clinique des troubles du sommeil. Ses intérêts couvrent l’étiologie et les répercussions des problèmes de sommeil des enfants et des adolescents.
 

Catherine Lord
Détentrice d'un doctorat en neurosciences, Mme Lord est courtière de connaissances scientifiques. Elle est présidente et cofondatrice d’Immerscience, une entreprise qui a pour mission de rendre accessibles les savoirs scientifiques. 

 


Le sommeil a un impact important sur le fonctionnement quotidien des adolescents. De saines habitudes de sommeil sont essentielles pour favoriser un bon développement cognitif, émotionnel, comportemental et physique.

À titre indicatif, les recommandations officielles de durées de sommeil (Hirshkowitz et al., 2015) sont de :

  • Neuf à onze heures pour les jeunes de 12 à 13 ans;
  • Huit à dix heures pour les jeunes de 14 à 17 ans.
    Or, il est estimé qu’au Québec, environ 34 % des filles et des garçons du secondaire (donc entre 12 et 17 ans) dorment moins que le minimum suggéré (Camirand, 2018). Plusieurs études soulignent d’ailleurs qu’une proportion importante de jeunes rapportent de la somnolence diurne, i.e. des difficultés à maintenir un niveau de vigilance adéquat durant la journée (Davidson-Urbain et al., 2022).
  • Ce manque de sommeil, fréquent durant l’adolescence, est dû à ce qu’on appelle un retard ou un décalage de phase du cycle veille-sommeil (Carskadon, 2011) qui s’explique par :
    • des facteurs de nature biologique, tels que le changement de l’horloge biologique à la puberté, qui déphase le rythme veille-sommeil des jeunes, les transformant naturellement en couche-tard et lève-tard;
    • de nombreux facteurs psychosociaux et comportementaux, qui renforcent ce délai de phase développemental en y ajoutant un décalage supplémentaire.

Parmi les facteurs psychosociaux, les comportements impliquant l’utilisation d’appareils numériques ont un impact majeur sur les adolescents. L’exposition aux écrans et aux contenus stimulants et engageants, en particulier avant le coucher et durant la nuit, est associée à une réduction du temps de sommeil et à davantage de somnolence diurne (Davidson-Urbain et al., 2022). Les études indiquent aussi que l’utilisation de substances psychoactives (par exemple la caféine, la théine, les boissons énergisantes, le tabac) peut rendre le sommeil moins réparateur, en plus d’en réduire la durée (Bartel et al., 2015). Un cercle vicieux de mauvaises habitudes est à risque de s’installer : le fait de ressentir de la somnolence diurne entraîne la consommation de substances psychostimulantes pour maintenir l’éveil, ce qui est suivi, à l’inverse, d’une augmentation de la médication ou d’automédication (consommation de médicaments prescrits, disponibles en vente libre, par exemple la mélatonine, ou consommation de médicaments obtenus illégalement) pour tenter de favoriser le sommeil et de réduire les symptômes d’insomnie. Ce cycle augmente, à long terme, les troubles du sommeil (Davidson-Urbain et al., 2022).

La gestion du travail à temps partiel et des activités parascolaires contribue également à la diminution de la durée du sommeil, car les jeunes, à l’instar des adultes, vont prendre l’habitude d’empiéter sur leur sommeil pour gagner des heures jugées productives (Davidson-Urbain et al., 2022). Ce comportement prend racine dans de fausses croyances à propos du sommeil et entraîne une privation de sommeil chronique. De plus, les contraintes sociétales, comme l’heure de début des cours, contribuent au manque de sommeil des adolescents en réduisant leur temps de sommeil durant la semaine (Owens et al., 2014).

Par ailleurs, plusieurs troubles du sommeil (par exemple l’apnée obstructive du sommeil, le syndrome des jambes sans repos, la narcolepsie, les cauchemars), le stress, la détresse psychologique et les troubles de santé mentale – dont l’anxiété – sont des facteurs qui contribuent aussi au manque de sommeil et à la somnolence diurne des adolescents.

Mis conjointement, les facteurs biopsychosociaux favorisent donc un décalage des heures de coucher chez les adolescents, contribuant au raccourcissement des heures de sommeil et à une accumulation d’une dette de sommeil qu’ils chercheront à combler durant la fin de semaine ou les journées de congé (Davidson-Urbain et al., 2022). Ce décalage horaire contribue à l’épidémie de privation de sommeil et de somnolence mondialement observée chez les jeunes.

Sommeil et santé mentale : l’œuf ou la poule?

Les conséquences néfastes de la privation de sommeil sont multiples et entraînent des effets en cascade à court et à long terme sur la santé mentale et physique. Sur le plan physique, on observe des effets dominos sur la régulation des systèmes immunitaires et métaboliques, dont la gestion du poids et la sécrétion de l’hormone de croissance, cruciale à l’adolescence (Owens et al., 2014). 

Du point de vue de la santé mentale, plusieurs études indiquent que le manque de sommeil chez les adolescents est associé à un plus grand risque de problèmes. On observe notamment que la privation de sommeil altère le fonctionnement cognitif comme l’attention et l’impulsivité, les fonctions exécutives, les capacités mnésiques et les performances scolaires, en plus d’interférer sur la régulation émotionnelle et de causer du stress (Davidson-Urbain et al., 2022; Owens et al., 2014).Des études longitudinales indiquent d’ailleurs une relation bidirectionnelle entre le sommeil et les troubles de santé mentale. D’une part, les problèmes de sommeil prédisent une augmentation subséquente de symptômes de troubles de santé mentale comme l’anxiété généralisée, la dépression, les troubles d’opposition et le trouble du déficit de l’attention (Cassoff et al., 2012; Shanahan et al., 2014).  D’autre part, la présence de symptômes de troubles de santé mentale ou de stress chronique entraîne à long terme une augmentation des problèmes de sommeil (Cassoff et al., 2012; Shanahan et al., 2014).

On a rapporté également que les problèmes de sommeil chez les enfants contribuent à l’installation et à la stabilité de symptômes dépressifs durant l’enfance et au début de l’adolescence, ce qui justifie l’importance d’intervenir précocement (Marino et al, 2022). Enfin, la somnolence diurne chez les adolescents est associée à un risque accru de pensées suicidaires et de tentatives de suicide, et ce, même en contrôlant plusieurs facteurs de risques (par exemple la dépression, l’anxiété, l’impulsivité) (Liu et al., 2019). 

Les symptômes de privation de sommeil s’apparentant à de multiples conditions cliniques, il importe donc d’enquêter sur le sommeil afin de faire un diagnostic différentiel en vue de l’éliminer comme cause ou conséquence de souffrances et de symptômes avant que les troubles de santé mentale s’installent et perdurent.     

Évaluation du sommeil et de la somnolence et pistes d’intervention 

Chez les adolescents, l’expérience subjective de la somnolence est considérée comme un indicateur déterminant d’un sommeil insuffisant, puisqu’elle reflète la perception des déficits entraînés par un manque de sommeil (Owens et al., 2016). Une recension des écrits décrit les outils spécialisés pour évaluer la somnolence chez les adolescents afin de guider les psychologues vers de judicieux outils de dépistage (Touchette et al., en révision). 

Des questionnaires validés de sommeil et l’agenda de sommeil sont communément utilisés pour dépister les signes de privation de sommeil ou les troubles du sommeil (voir les ressources pour des liens accessibles – PNPDD et réseau Morphée) : 

  • L’agenda ou le journal de sommeil est un outil de choix et devrait toujours faire partie des outils d’évaluation afin de comprendre les habitudes et les comportements en lien avec le sommeil (par exemple la consommation de boissons caféinées ou de substances psychogènes, la prise de nicotine et de médication).
  • L’échelle HIBOU dépiste les troubles du sommeil chez les enfants et les adolescents âgés de 2 à 18 ans (Owens et Dalzell, 2005). Il existe une version française non validée.
  • Le Epworth Sleepiness Scale for Children and Adolescents (ESS-CHAD) (Johns, 2015) est l’outil indiqué pour évaluer la somnolence diurne, puisqu’il possède une version francophone validée ainsi qu’un seuil clinique validé. Une licence est requise pour l’utilisation (©MW Johns, 1990, 2015).
  • Le Pediatric Daytime Sleepiness Scale (PDSS) (Drake et al., 2003) est un outil d’évaluation simple et spécifique à la somnolence chez les adolescents, adapté à leurs particularités de sommeil et à leur contexte social. Il n’existe pas de seuil clinique validé par les auteurs, mais plusieurs études ont suggéré un score de 15 pour identifier les adolescents atteints de somnolence excessive (Van Meter et Anderson, 2020). La version originale du questionnaire est en anglais, mais le test est disponible en plusieurs langues, notamment en français. Il est possible de se procurer le PDSS gratuitement en communiquant avec l’auteur.     

En ce qui concerne la prévention et les interventions, il existe de plus en plus d’initiatives dans les écoles, mais très peu sont validées scientifiquement. La méta-analyse de Bartel et al. (2015) offre par ailleurs de bonnes pistes, en concluant qu’une bonne hygiène de sommeil se traduit par des heures de coucher plus hâtives et une durée de sommeil plus longue. 

L’hygiène de sommeil peut être regroupée en trois axes : 

  • Les habitudes de vie, incluant celles se rapportant directement au sommeil, par exemple la régularité des horaires de lever et de coucher, mais aussi les habitudes indirectes, tel que s’exposer à la lumière du jour, préférablement en avant-midi, et éviter la lumière vive – dont celle des écrans – près de l’heure du coucher, manger suffisamment et sainement (en limitant la consommation de caféine, d’alcool, etc.), faire de l’exercice régulièrement, gérer son stress et prendre soin de sa santé psychologique.
  • Un environnement de sommeil exempt d’écrans et qui permet de se sentir en sécurité, confortable, dans une chambre ni trop chaude ni trop froide, etc.
  • Une routine de préparation au sommeil qui favorise la transition de l’éveil vers le sommeil avec des temps calmes, tels que la relaxation, la lecture, une série de gestes ritualisés apaisants, etc. 

Une étude récente, basée sur des données recueillies auprès de jeunes de 13 à 16 ans, révèle que les interventions devraient viser, entre autres, à augmenter leurs connaissances sur l’importance du sommeil, à améliorer leur hygiène du sommeil et à les sensibiliser aux conséquences du manque de sommeil (Vandendriessche et al., 2022). De plus, il est recommandé que les interventions priorisent le développement d’attitudes positives envers le sommeil plutôt que de condamner les habitudes néfastes comme celle de faire l’usage d’écrans dans la chambre ou près de l’heure du coucher.

Enfin, les résultats d’une étude suggèrent l’importance de s’intéresser non seulement à la quantité de sommeil des adolescents, mais aussi à sa qualité, et d’en faire une cible prioritaire pour la prévention et l’intervention (Vermeulen et al., 2021). Sur le plan sociétal, il est intéressant de mentionner qu’une étude longitudinale auprès de plus de 9 000 adolescents issus de huit écoles réparties dans trois États américains a démontré une augmentation significative du rendement scolaire lorsque l’heure du début des cours est repoussée de 7 h 30 à 8 h 30 ou plus tard (Wahlstrom et al., 2014). Les évidences en ce sens commencent à s’accumuler, mais le défi est de taille afin de traduire ces résultats en mesures concrètes adaptées au contexte scolaire québécois. 

Conclusion

Les données issues de la recherche démontrent que le sommeil est une pierre angulaire de la santé physique et mentale des adolescents et des adolescentes. Or, les jeunes vivent une forte pression, à la fois biologique et sociale, qui décale leur cycle de veille et de sommeil. Ce décalage n’est pas sans conséquence et est associé à une privation de sommeil et à des troubles de sommeil qui peuvent fragiliser leur fonctionnement cognitif ainsi que leur santé mentale et physique. Il importe donc que tous les membres de l’écosystème des adolescents – que ce soient les cliniciens qui les reçoivent dans leurs bureaux, les enseignants, les parents ou les jeunes eux-mêmes – soient conscientisés aux risques, aux symptômes et aux conséquences à court, à moyen et à long terme de la privation de sommeil. Des solutions accessibles existent pourtant pour contrer cet important problème sociétal : une meilleure hygiène de sommeil et d’éveil, la prévention du cycle de l’insomnie et de l’automédicamentation, un ajustement éventuel de l’heure du début de leurs cours. Si la santé mentale des adolescents nous tient à cœur, offrons-leur de solides fondations pour qu’ils puissent dormir suffisamment… et vivre sainement!

Ressources, information et bibliographie

Ressources spécialisées sur le sommeil des adolescents

Projet de transfert des connaissances « Pour ne pas dormir debout »
Un site Web informatif pour sensibiliser les adolescent(e)s au thème du sommeil. Ce site comprend notamment des ressources fiables (articles, balados, webinaires) et un défi collaboratif, #PNPDD, fait par et pour les jeunes, qui vise aussi à impliquer leurs écosystèmes de vie (famille, école, amis). De plus, grâce à un partenariat avec le Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale et à son programme Hors-piste, qui vise à prévenir les troubles anxieux chez les jeunes, un atelier sur le sommeil sera implanté vers la fin de 2022 ou au début de 2023 dans plusieurs écoles secondaires à travers le Québec. Le projet est subventionné par les Fonds de recherche du Québec (FRQ).

Programme « Bonnes nuits, jours meilleurs / Better nights for better days »
Un programme d’intervention en ligne sur le sommeil des enfants, destiné aux parents canadiens et à leurs enfants.

Si votre client a une histoire de problèmes de sommeil et est porteur ou en attente d’un diagnostic médical (psychiatrique, neurologique ou autre), vous pouvez conseiller les parents de consulter la Clinique d’évaluation diagnostique des troubles du sommeil du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal.

Ressources pour le grand public

Ressources en France


Information sur le sommeil

Ressources professionnelles et scientifiques


Bibliographie