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Le traitement des troubles liés à l’usage d’une substance : favoriser un traitement intégré

Cathy SavardDre Cathy Savard, psychologue
La Dre Savard est coordonnatrice clinique au Centre de traitement Le Faubourg St-Jean du CIUSSS de la Capitale-Nationale. Professeure de clinique en psychologie à l’Université Laval, elle s’intéresse particulièrement à la concomitance entre les troubles de la personnalité et la dépendance.
 

Patrick Saint-HilaireDr Patrick St-Hilaire, psychologue
Au moment d'écrire cet article, le Dr St-Hilaire oeuvrait au centre de réadaptation en dépendance du CIUSSS de la Capitale-Nationale et au programme intensif de réadaptation adulte en dépendance auprès de personnes présentant des troubles de la personnalité et la dépendance. Il oeuvre aujourd'hui pour le Programme d'intervention des troubles de conduite alimentaire du même CIUSSS.

Francine FerlandDre Francine Ferland, psychologue
Chercheuse d'établissement au CIUSSS de la Capitale-Nationale, la Dre Ferland est professeure associée à l'École de service social de l’Université Laval. Elle s’intéresse particulièrement à la concomitance entre les troubles de la personnalité et la dépendance.
 

Justine MitchellDre Justine Mitchell, psychologue
Psychologue clinicienne en pratique privée, la Dre Mitchell s’intéresse à la dépendance, aux enjeux queer et à l’identité autochtone.


 

Nadine Blanchette-MartinNadine Blanchette-Martin (M.Sc.)
Chercheuse en établissement au Service de recherche en dépendance du CIUSSS de la Capitale-Nationale et du CISSS de Chaudière-Appalaches et chargée d’enseignement clinique à l'Université Laval, Mme Blanchette-Martin s’intéresse au développement d’outils d’évaluation ainsi qu’à l’amélioration des services offerts aux personnes présentant des troubles liés à l’utilisation d’une substance ou une dépendance comportementale.


La prévalence à vie pour les troubles liés à l’utilisation d’une substance (TUS) se situe entre 16 % et 26 % (Nichita et Buckley, 2020) et près de la moitié des personnes présentant un TUS atteignent une rémission après une période moyenne de 17 années (Fleury et al., 2016). Plusieurs approches ont fait leurs preuves dans le traitement des TUS. Parmi celles-ci, la thérapie cognitive-comportementale (TCC) a démontré son efficacité (Magill et Ray, 2009). Dans cette approche, l’analyse fonctionnelle de la consommation permet aux psychothérapeutes de comprendre les facteurs qui sont associés à la consommation afin de commencer un travail sur les causes sous-jacentes. La TCC met l’accent sur la création de stratégies pour réduire ou cesser la consommation de même que sur l’identification activités alternatives. Des approches de la TCC de troisième vague font également leurs preuves dans le traitement des TUS, particulièrement le Mindfulness Based Relapse Prevention, qui intègre la pratique de la pleine conscience, l’entretien motivationnel (EM) et la prévention de la rechute (Bowen et Chawla, 2011). Bien que la TCC ait des effets durables qui persistent après la fin du traitement (Carroll et Kiluk, 2017), selon Desrosiers (2010), le maintien des effets à long terme serait encore plus efficace lorsqu’elle est combinée avec l’EM. Outre la TCC, la thérapie dialectique comportementale a également montré son efficacité dans le traitement des TUS (Dimeff et Linehan, 2008). Dans ce cas, un travail sur l’inconfort lié à l’abstinence est mis en avant-plan par l’apprentissage de stratégies saines pour tolérer la détresse.

Par ailleurs, les TUS sont présents en concomitance avec d’autres problèmes de santé mentale dans 47 à 100 % des cas (Kingston et al., 2016). Lorsqu’il y a concomitance, la tendance actuelle est d’offrir un traitement en séquence qui consiste à recommander d’abord à la personne de suivre un traitement spécialisé pour la problématique d’usage avant de poursuivre le traitement des autres symptômes. Cette façon de procéder fonctionne bien en théorie puisqu’il est recommandé dans la majorité des traitements pour la santé mentale que les habitudes de consommation soient contrôlées. Il existerait donc un « momentum » où les conditions sont favorables pour travailler les problèmes de santé mentale. Toutefois, il est difficile pour les personnes de maintenir l’abstinence pendant l’attente entre deux traitements. Ainsi, en raison des temps d’attente élevés dans le réseau de la santé, et parce que des études ont démontré que de 37 à 75 % des personnes consomment de nouveau dans les trois mois suivant un traitement (Andersson et al., 2019), il est possible de s’attendre à un retour progressif d’une consommation problématique durant l’attente des patients. L’espace temporel lors duquel les conditions sont favorables est donc restreint. Conséquemment, la personne peut se retrouver à ne plus être éligible pour un service subséquent en santé mentale et devoir retourner à répétition obtenir les mêmes services en dépendance sans progresser dans le traitement de ses symptômes en santé mentale, lesquels sont sous-jacents à sa consommation.

D’autres possibilités sont l’intervention en parallèle ou conjointe, qui requièrent que deux personnes différentes assurent le traitement du TUS et de la problématique de santé mentale d’un même patient. Cette organisation des services est une solution de rechange intéressante puisqu’elle pallie les principales limites du traitement en séquence. Malgré son intérêt, elle comporte plusieurs défis, notamment des enjeux de clivage entre les intervenants, des bris de communication et des divergences significatives possibles dans les approches cliniques.

Conséquemment, il apparaît que le traitement intégré s’avère une meilleure pratique d’intervention. Ce type de traitement permet à la même équipe d’intervenants ou à un seul intervenant de prendre en compte l’interinfluence de la concomitance afin de les travailler simultanément. Le traitement intégré obtiendrait des résultats supérieurs aux traitements visant un seul diagnostic à la fois et aux traitements parallèles (Kelly et Daley, 2013). Il se base sur le principe dit du « no wrong door », qui permet d’offrir un traitement peu importe le point d’entrée dans le système de santé. L’idée générale est de considérer la personne dans sa globalité, par exemple si elle présente en même temps une problématique de SM et un TUS, plutôt que de la considérer comme ayant un problème avant l’autre. Toutefois, comme mentionné précédemment, il existe un moment approprié pour travailler chacune des problématiques. Le choix de la cible d’intervention varie selon la situation qui est à l’avant-plan et qui est la plus préoccupante.

De manière générale, lorsque la consommation ou les méfaits qui y sont associés sont présents, le traitement des TUS devrait être privilégié et mis à l’avant-plan jusqu’à ce que la consommation soit contrôlée. Dans ce contexte, le cadre thérapeutique pourrait être plus flexible afin de permettre à la personne de s’engager dans son traitement, entre autres en adaptant l’heure des rencontres en fonction de sa consommation. Il est alors possible de lui demander d’être à jeun lors des rencontres sans exiger un objectif d’abstinence, et d’envisager de lui permettre de prendre des pauses dans le suivi lors des périodes de désorganisation, plutôt que d’y mettre fin définitivement. Des stratégies comme l’enseignement psychologique sur l’impact de la consommation sur le trouble de santé mentale, l’EM et l’approche de réduction des méfaits sont à privilégier. Le psychologue doit garder à l’esprit que des changements sont attendus, mais que ses attentes doivent demeurer modestes. De plus, il est primordial d’évaluer et de bien comprendre la fonction de la consommation dans la dynamique de la personne et en quoi elle contribue, voire maintient la problématique de santé mentale. À ce stade, il est important d’offrir des options à la personne tout en tenant compte de son profil psychologique. Il pourrait s’avérer pertinent de suggérer à la personne de faire une désintoxication, et ce, tout en gardant le lien avec elle afin que le traitement sur les problématiques sous-jacentes débute rapidement par la suite.

Lorsque la personne est stable au plan de la consommation, l’équipe de traitement a davantage accès à la souffrance sous-jacente à sa problématique et peut donc ajuster la cible d’intervention afin de mettre à l’avant-plan le trouble de santé mentale. La personne est maintenant plus disposée à réfléchir à la dynamique existante entre sa problématique de santé mentale et son TUS. Il demeure nécessaire, à ce stade, de poursuivre les interventions sur le TUS étant donné l’aspect chronique de la problématique et le haut taux de rechute. Pour ce faire, il est indiqué de continuer d’être proactif dans le questionnement des envies de consommer et de s’intéresser aux manières de composer avec sa nouvelle réalité qu’a mises en place la personne. Aussi, il est important d’inclure dans la thérapie des stratégies de prévention de la rechute et d’identification des facteurs de risque. Il est important de garder en tête que les TUS ne sont jamais bien loin et que le changement dans ses habitudes de consommation est un choix que la personne fait chaque jour plutôt qu’un état de base, d’où l’importance de s’y intéresser. Ce changement dans la cible de traitement requiert que les psychologues possèdent des compétences tant dans le traitement des TUS que dans le traitement en santé mentale.

En résumé, le travail avec les usagers présentant un trouble concomitant peut s’avérer un défi. Pour y parvenir, il est pertinent de changer la cible d’intervention en fonction de la problématique qui est à l’avant-plan tout en gardant en tête, lors de chaque séance et dans chaque décision clinique, que la personne présente les deux problématiques et qu’il est nécessaire de prendre du recul afin de voir la personne dans son ensemble plutôt que de la traiter en séquence.

Bibliographie