Introduction au dossier – Les visages de la violence
suzanne.leveillee@uqtr.ca
Professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), la Dre Léveillée est membre du Laboratoire de psychologie légale de l’UQTR et associée à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. Elle poursuit une pratique clinique spécialisée en psychologie légale. Elle travaille aussi avec des personnes ayant un trouble de la personnalité et qui exercent des violences envers elles-mêmes et les autres. Ses axes de recherche sont, d’une part, les enjeux psychosociaux des auteurs de violences conjugales et familiales et, d’autre part, les trajectoires de vie des hommes et des femmes ayant commis des violences extrêmes telles qu'un homicide intrafamilial (filicide, homicide conjugal et parricide). Elle est reconnue sur la scène internationale notamment à titre de professeure et de conférencière en France et en Belgique.
Les violences envers la personne qui se manifestent dans l’intimité du couple ou de la famille, sur la scène sociale ou dans d’autres contextes peuvent provoquer des traumatismes à la fois profonds et durables. Les impacts de ces violences ne se limitent pas aux victimes directes, mais s’étendent également à leur entourage, à leurs proches et, dans certains cas, à la société dans son ensemble. La reconnaissance et la compréhension de ces phénomènes ainsi que de leurs effets sont essentielles pour saisir l’ampleur de ces enjeux, agir en amont par la prévention et élaborer des interventions adaptées, et ce, tant pour les victimes que pour les auteurs de violence. Ce dossier thématique offre une exploration approfondie des mécanismes sous-jacents des violences, en tenant compte de leurs multiples formes et contextes afin d’enrichir la pratique des psychologues.
Les violences conjugales s’expriment sous plusieurs formes, autant psychologiques que physiques, et il est important de souligner que les définitions en la matière évoluent petit à petit, à mesure que l’on saisit mieux les différentes nuances de ce phénomène complexe. Certains types de violences ne sont même pas compris ou vus par les victimes, par leurs proches ou par les intervenants. De plus en plus étudié, le contrôle coercitif du partenaire fait partie de ces types de violences souvent incompris ou inaperçus, et serait un facteur de risque de violences conjugales et familiales de plus en plus sévères (Stark, 2007, 2019).
Soulignons par ailleurs qu’il n’y a pas de profil type de l’auteur de violences conjugales, et que l’identification de différents sous-groupes est nécessaire afin d’améliorer la prévention. Une définition plus précise des différents profils pourrait permettre d’affiner l’évaluation des auteurs de violences conjugales et l’intervention auprès d’eux. Récemment, des recherches se sont penchées sur les enjeux traumatiques vécus par les auteurs (Mimault, Auxéméry et Léveillée, 2024) et les victimes (Léveillée et Vignola-Lévesque, 2021) de violences conjugales.
Les agressions sexuelles, quant à elles, correspondent à un type de violences de plus en plus dénoncé. Toutefois, force est de constater que de nombreux défis persistent encore aujourd’hui. Ce type de violences se passe autant dans la famille qu’au sein du couple, à l’école ou dans le milieu de travail. L’évaluation des effets de programmes de prévention des agressions à caractère sexuel est au coeur de plusieurs recherches (Bouchard, Bergeron et Hébert, 2012).
Bien qu’elles soient souvent invisibles et parfois très subtiles, les violences qui sont exercées en milieu de travail ne doivent pas non plus être passées sous silence, car elles laissent des séquelles importantes chez les personnes qui les vivent. Le milieu de travail doit être un espace sécuritaire, et la sensibilisation tant des employés que des gestionnaires doit être active (Painchaud, Lapointe et Giroux, 2023).
Enfin, les violences sociales liées à la radicalisation, qui impliquent leur lot de traumatismes individuels et sociaux, suscitent la peur et l’incompréhension, et il convient de les étudier afin de sensibiliser, de mieux comprendre et de prévenir. Selon une majorité de recherches, la société actuelle est en constante transformation et serait teintée par la polarisation et les idéologies extrêmes. L’étude des processus qui mènent à la radicalisation se développe, et des outils d’évaluation de la menace à la sécurité aussi (Bibeau, 2020). La compréhension approfondie des passages à l’acte violents (Brunet, 2016) fait partie des solutions apportées dans plusieurs études. En ce sens, aider les personnes qui adoptent ou sont à risque d’adopter une idéologie radicale est une mesure des plus importantes.
Mettant en lumière la diversité des violences contre autrui, ce dossier thématique permet d’aborder plusieurs types de violences et d’explorer des pistes de compréhension et de prévention. Tout d’abord, deux textes portent sur les violences conjugales. Le premier, écrit par Brassard, Dugal, Godbout et leurs collègues, traite des profils des auteurs de violences conjugales et offre un approfondissement des facteurs de risque. De plus, il souligne l’importance de mieux comprendre les enjeux psychosociaux des auteurs de violences conjugales. L’intervention est au cœur du deuxième texte, proposé par Dugal et Brassard. Cet article sur la violence conjugale permet de réfléchir sur l’importance de bien évaluer les différentes manifestations de violence au sein du couple.
Par la suite, le texte d’Hébert, Dion et Daigneault soulève des pistes de solution au défi constant de la prévention en matière de violences sexuelles. Quant à l’auteure Raffelini, elle propose un survol des types de violences exercées en milieu de travail.
Enfin, deux textes portent sur les violences sociales. L’article de Miconi, Daxhelet, Lebrun et Rousseau amène à s’interroger sur le processus de radicalisation, en arrimant les points de vue psychologique et social. La violence sociale suscitant chez l’être humain des émotions intenses et difficiles à gérer, surmonter les traumatismes est un défi de taille. Pour sa part, l’article rédigé par Zerbé, Papazian-Zohrabian, Aoun et leurs collègues traite de la violence sociopolitique d’État, des violences collectives et de leurs impacts traumatiques sur la santé mentale. Les auteurs, dont les sphères professionnelles, les milieux et les approches présentent une grande diversité, ont su tirer profit de cette particularité pour conférer au texte originalité et richesse.
En conclusion, il est essentiel pour les psychologues de mieux comprendre non seulement les mécanismes complexes qui sous-tendent les violences, mais aussi l’évolution des définitions et des conceptions des différentes formes de violence, y compris celles qui sont moins visibles, comme le contrôle coercitif. Une définition précise des profils des auteurs et du vécu des victimes permettrait d’affiner les stratégies d’intervention, en tenant compte des spécificités de chaque situation. La formation des intervenants doit être continuellement renforcée et diversifiée pour que les psychologues puissent intervenir de manière plus efficace et ainsi améliorer la prévention. Ces efforts sont cruciaux pour la création d’un environnement plus respectueux et sécuritaire, tant pour les victimes que pour l’ensemble de la société. En intégrant ces connaissances et ces approches dans leur pratique, les psychologues peuvent jouer un rôle clé dans la prévention, l’accompagnement et la réduction des violences et de leurs conséquences.
Bibliographie
Bibeau, L. (dir.). (2020). L’évaluation de la menace et du risque dans différents contextes. Éditions Yvon Blais, 451 p.
Brunet, L. (2016). Agir la violence. Quelques déterminants de la violence individuelle et de la violence groupale. Filigrane, 25(2), 9-23. https://doi.org/10.7202/1039645ar
Bouchard, A.-J., Bergeron, M. et Hébert, M. (2021). Résultats de l’évaluation des effets d’un programme de prévention des agressions à caractère sexuel auprès d’élèves de secondaire III au cours de sa phase pilote. Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation, 44(1), 57-88.
Léveillée, S. et Vignola-Lévesque, C. (2021). La violence familiale et sociale. De la description à la compréhension psychodynamique. Éditions JFD, 236 p.
Mimault, T., Léveillée, S. et Auxéméry, Y. (2024). Dissociation and trauma in male perpetrators of domestic violence: A typological analysis. European Journal of Trauma and & Dissociation, 8(1), 100392. https://doi.org/10.1016/j.ejtd.2024.100392
Painchaud, S., Lapointe, M. et Giroux, J. (2023). Effets du harcèlement psychologique sur la satisfaction de vie professionnelle. Revue canadienne des sciences du comportement, 55(1), 21-35.
Stark, E. (2007). Coercive Control: How Men Entrap Women in Personal Life. Oxford University Press.
Stark, E. (2014). « Une re-présentation des femmes battues : contrôle coercitif et défense de la liberté ». Dans M. Rinfret-Raynor (dir.), Violences envers les femmes : réalités complexes et nouveaux enjeux dans un monde en transformation (p. 33-51). Presses de l’Université du Québec.
Stark, E. (2019, 17 avril). Introduction to Coercive Control and its Application [conférence]. Coercive Control: Improving Responses to Domestic Violence, Ottawa, Canada. https://beta.parliament