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L’étude de la colère en contexte expérimental : une méta-analyse

Dre Fanny-Maude Urfer, psychologue au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et en pratique privée


Afin d’améliorer sa capacité à soutenir la mentalisation de cette émotion, un psychologue explore le champ de l’étude expérimentale de la colère.

Nombreux sont les motifs de consultation en lien avec l'émotion de la colère. Qu’elle soit relatée à travers différentes situations, exprimée dans le cadre de la relation thérapeutique à travers la dynamique transféro-contre-transférentielle entre clinicien et patient, ou illustrée par certains comportements perturbateurs chez les enfants, il s’agit d’une émotion fréquemment abordée en contexte de psychothérapie.

Il y a beaucoup à comprendre à propos de l’émotion de la colère, d’autant plus dans un contexte sociopolitique où la tendance est à la polarisation. Il s’agit d’une émotion comportant une part de mystère, qui demeure à être plus clairement conceptualisée, puis opérationnalisée. La présente méta-analyse considère des études axées sur l’induction expérimentale de l’émotion de la colère pour mieux comprendre la théorie entourant cette émotion et améliorer les pratiques méthodologiques associées à ce thème.

Les études indiquent un lien entre la colère et deux variables, à savoir les conflits interpersonnels et l’exacerbation des biais du traitement de l’information. La colère peut aussi être vecteur de changement, en étant un mécanisme de persuasion qui suscite une recherche approfondie d’information et qui incite à passer à l’action. Or, la persuasion par la colère n’est possible qu’avec le bon dosage de cette émotion, puisque trop de colère interfère avec la capacité à intégrer le message, tandis que trop peu de colère ne motive pas à l’action. Par ailleurs, pour susciter efficacement la colère en contexte expérimental, il faut bien comprendre les mécanismes sous-tendant cette émotion et identifier quel type de message peut l’induire, tout en considérant les autres émotions qui peuvent entrer en jeu.

La manipulation expérimentale de la colère peut passer par la présentation d’un stimulus ou d’une situation éveillant un sentiment d’injustice ou d’interdit. Certaines études empiriques recourent à des images d’expressions faciales de colère pour stimuler cette émotion chez les participants. D’autres études optent pour le rappel de souvenirs spécifiques, nommés et écrits avant que les participants soient invités à ruminer l’émotion de colère associée, puis à évaluer comment cette émotion influence les prises de décision. Le mode de communication de la colère peut lui aussi jouer sur l’induction de l’émotion. Celle-ci peut être induite par des messages stratégiques persuasifs concernant un enjeu associé aux thèmes fondamentaux de la colère (p. ex., une attaque humiliante envers soi) ; ou encore, elle peut être induite directement : le participant devient le sujet ou l’objet de la colère (p. ex., des courriels fictifs présentent une rétroaction dégradante, un blâme ou des propos négatifs, avec majuscules et points d’exclamation).

Induire l’émotion de la colère en contexte expérimental pose le problème de porter une attention aux émotions adjointes, parfois aussi vives que la colère elle-même. Un chevauchement de différentes expériences émotionnelles est attendu et met à risque la validité des résultats découlant de la manipulation de la colère, ce qui requiert une attention particulière envers la méthodologie de ces études. D’autant plus que l’impact de la manipulation d’une émotion ne s’avère pas universel et peut être influencé par une panoplie de facteurs, personnels et contextuels. Ainsi, la colère peut être vécue différemment sur les plans personnel et collectif, et peut dépendre de l’appartenance à un groupe. Finalement, la colère est perçue tantôt comme une vertu, associée à l’activisme politique et à l’action collective, tantôt comme un vice, enfantin et immature. Ainsi, il s’agit d’une émotion fondamentalement influencée par des contextes socioculturels et politiques variés.

La présente méta-analyse se penche exclusivement sur des études empiriques orientées vers la colère induite par persuasion, avec des éléments de manipulation émotionnelle, ce qui permet de limiter l’hétérogénéité des études concernées et assure une meilleure interprétation des résultats. Ainsi, un total de 31 études ont été considérées, en analysant (1) l’effet moyen de l’induction de la colère sur les niveaux de colère ressentis ; (2) jusqu’où la colère ressentie peut être influencée par des caractéristiques socioculturelles ; (3) les différences dans les niveaux de colère ressentis à partir de techniques et de modalités d’induction de la colère ; (4) la relation entre la colère induite et l’éveil d’autres émotions associées.

Les principaux résultats de cette méta-analyse font ressortir (1) un important effet moyen positif de l’induction de la colère sur la colère ressentie par les participants des différentes études considérées, indépendamment de la modalité ou de la technique d’induction utilisée, et également (2) indépendamment de facteurs comme l’âge, le niveau d’éducation, le genre, l’origine ethnique ou la position géographique. Le niveau de colère ressenti n’est pas non plus différent sur le plan statistique lorsque l’émotion est induite à partir d’enjeux individuels ou collectifs. Ceci amène l’hypothèse d’un accès aisé à la colère, identifiée comme l’émotion la plus fréquemment ressentie au quotidien. Ensuite, il ressort que (3) l’induction de la colère apparaît modulée par la désirabilité sociale : les participants rapportent une colère ressentie beaucoup plus intensément lorsqu’elle est associée à des thèmes tels qu’une protestation en lien avec une injustice ou un préjudice moral ; par opposition à une colère moindre lorsqu’il s’agit d’un thème considéré comme égocentrique ou immature, comme s’emporter face à des commentaires négatifs. (4) Un enchevêtrement important d’émotions ressort dans ces études tandis que l’induction de la colère éveille également à l’occasion d’autres émotions (peur, culpabilité, tristesse et joie). Ceci indique l’importance d’approfondir ce champ de recherche afin de mieux induire cette émotion, en particulier pour pouvoir en étudier les effets de causalité ; ou à tout le moins de considérer les résultats de manière nuancée lorsqu’il s’agit de prendre en compte une émotion isolée.

Bibliographie

  • Demetriades, S. Z., Kalny, C. S., Turner, M. M. et Walter, N. (2024). Is all anger created equal ? A meta-analytic assessment of anger elicitation in persuasion research. Emotion, 24(6), 1428-1441. https://doi.org/10.1037/emo0001360