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Entre fatigue et satisfaction de compassion : le psychologue en protection de la jeunesse

Dre Delphine Collin-Vézina, psychologue
La Dre Collin-Vézina est directrice du Centre de recherche sur l’enfance et la famille de l’Université McGill, psychologue clinicienne et professeure titulaire à l’École de service social de l’Université McGill. Elle est également membre associée du Département de pédiatrie, où elle est titulaire de la Chaire Nicolas Steinmetz et Gilles Julien en pédiatrie sociale en communauté.

Steve Geoffrion
M. Geoffrion est professeur agrégé à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal, codirecteur du Centre d'étude sur le trauma et chercheur régulier au Centre de recherche de l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal.


Travailler en protection de la jeunesse, c’est travailler avec l’adversité. Les enfants et les jeunes pris en charge par ce système sont nombreux à cumuler différentes formes de traumatismes interpersonnels et à présenter des risques élevés de problèmes psychologiques, psychiatriques, scolaires, comportementaux et relationnels (Kisiel et al., 2014). Les psychologues qui œuvrent en protection de la jeunesse côtoient au quotidien la souffrance engendrée par les situations que vit cette population.

Dans le cadre de ce travail émotionnellement exigeant, une bonne majorité des professionnels développe une satisfaction de compassion (Van Hook et Rothenberg, 2009). Ce sentiment de pouvoir faire une différence pour ces enfants est bien souvent la locomotive permettant aux psychologues de s’engager dans ce travail malgré l’adversité rencontrée. Être investi dans une mission sociale importante, prodiguer des services directs à une population vulnérable, et faire preuve de compassion et d’empathie envers les clients sont autant de facteurs pouvant enrichir la vie des psychologues (Smart et al., 2014; Stamm, 2002).

Or, travailler auprès d’enfants traumatisés engendre aussi son lot de conséquences chez les intervenants – ils sont nombreux à vivre un épuisement professionnel et à se retrouver en arrêt de travail au cours de leur carrière (Geoffrion et al., 2016; Lamothe et al., 2018). Les psychologues sont à risque de présenter non pas une satisfaction de compassion, mais plutôt une fatigue de compassion. Afin de diminuer le risque de développer une fatigue de compassion chez les psychologues, il importe de s’attarder aux facteurs d’influence sur les plans social et organisationnel et, en ce sens, de réfléchir au cadre de travail nécessaire pour les professionnels en protection de la jeunesse (Geoffrion et al., 2016).

Premièrement, il importe que les psychologues aient accès à une formation leur permettant une grande maîtrise des approches basées sur la recherche scientifique, qui ont fait leurs preuves auprès des clientèles en protection de la jeunesse. En effet, l’utilisation de ces pratiques semble augmenter la satisfaction de compassion en renforçant la confiance en soi du thérapeute dans ses décisions professionnelles et ses interprétations des situations liées au travail (Craig et Sprang; 2010). Le développement et le maintien des compétences professionnelles sont ainsi des boucliers importants contre les impacts négatifs du travail en protection de la jeunesse.

Deuxièmement, les psychologues qui ont accès à de la supervision dans leur milieu de travail et qui ont une attitude plus réflexive sont également moins à risque de présenter de la fatigue de compassion. L’étude récente de Dehlin et Lundh (2018) menée auprès de 374 psychologues a démontré qu’une attitude réflexive était en soi prédictive d’une plus grande satisfaction de compassion, mais qu’elle devait être accompagnée de supervision en milieu de travail afin de diminuer les risques de fatigue de compassion. Ceci indique que la supervision est un élément central et qu’elle doit être priorisée, afin de permettre la création d’espaces réflexifs et soutenants pour les psychologues exposés à une forte charge de matériel traumatique.

Troisièmement, les organisations doivent contribuer à déstigmatiser les croyances en milieu de travail qui banalisent les conséquences psychologiques du travail, et ce, particulièrement en protection de la jeunesse. En effet, la fatigue de compassion est plus susceptible d’être vécue dans des organisations où employés et gestionnaires manquent de sensibilisation pour reconnaître les symptômes de fatigue de compassion (Meadors et Lamson, 2008). Quand une telle culture persiste, les travailleurs en détresse sont plus susceptibles de s’isoler, de ne pas chercher d’aide et de songer à quitter leur emploi (Geoffrion et Ouellet, 2013). Les psychologues travaillant en protection de la jeunesse pourraient contribuer à ce changement de culture par leur rôle-conseil auprès des intervenants, en déstigmatisant les conséquences psychologiques de ce travail, en reconnaissant les difficultés vécues par les travailleurs et en normalisant les réactions et les émotions, autant les négatives que les positives.

En bref, il est impératif pour les organismes de protection de la jeunesse de prioriser la santé psychologique des intervenants. Au moment d'écrire ces lignes, de nombreuses recommandations seront émises dans le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et de la protection de la jeunesse (n.d.), et nous espérons qu’elles feront une place importante aux acteurs-clés de ce réseau, dont les psychologues. Des solutions tangibles pour réduire la fatigue de compassion existent et doivent être priorisées, afin que ce soit la satisfaction d’aider les enfants, les adolescents et leurs familles aux prises avec des situations de maltraitance et de violence qui prime pour les psychologues de ce réseau.

Note et bibliographie

Note

  1. Le terme psychologue est retenu pour le texte, mais inclut également les psychothérapeutes.
     

Bibliographie