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La dépression périnatale : un trouble sous-estimé

Maeva Bauer, psychologue 

Passionnée par la petite enfance, les adolescents et les familles, elle travaille auprès de cette population depuis 2013 et exerce actuellement en pratique privée auprès d’enfants, d’adolescents, d’adultes et de familles à l’Institut de psychologie contextuelle.

 


Selon un communiqué de presse de l’OMS (2017), la dépression est reconnue comme la première cause de morbidité et d’incapacité dans le monde. C’est un trouble dont on parle de plus en plus. Toutefois, il est plus rare d’entendre parler de la dépression périnatale, affection qui concerne les femmes enceintes et les jeunes mères. Pour commencer, précisons comment se manifeste cette dernière.

Symptômes
La particularité de la dépression périnatale est sa survenue : lors de la grossesse (prénatale) ou lors de la première année de vie de l’enfant (postnatale). Cependant, il n’existe pas toujours de frontière temporelle entre la dépression prénatale et la dépression post-partum, d’où son appellation « dépression périnatale ».

Les critères diagnostiques sont les mêmes que pour un épisode dépressif caractérisé selon le DSM-5. De plus, en entrevue, les mères qui vivent une dépression périnatale peuvent rapporter : une culpabilité excessive envers leur bébé, l’impression d’avoir de la difficulté à développer un lien affectif avec lui, un sentiment d’incompétence maternelle, de la honte, de l’irritabilité, ou encore manifester une phobie d’impulsion (Tremblay et al., 2019). 

La littérature scientifique fait état de la dépression périnatale comme de la complication obstétricale la plus commune et la plus fréquente. D’après Tremblay et al. (2019), 14 % des femmes enceintes manifestent un épisode dépressif au début de leur grossesse, 10 % lors du troisième trimestre, et 15,5 % d’entre elles reçoivent une prescription pour des antidépresseurs. De plus, selon une étude nord-américaine récente (Dagher et al., 2021), de 50 % à 70 % des femmes concernées par une dépression périnatale ne sont pas détectées ou diagnostiquées, et environ 85 % d’entre elles ne sont pas traitées. Ces auteurs avancent que même lorsqu’une mère reçoit un diagnostic de dépression, l’évaluation dont elle fait l’objet n’est pas approfondie, et elle ne reçoit pas de traitements fondés sur des données probantes. Par comparaison, on estime la prévalence de l’état de stress post-traumatique pendant la grossesse à 3 %, et, en postnatal, à 4 %, selon Tremblay et al. (2019).

Ces chiffres sont alarmants. Nous allons examiner les défis que représentent l’évaluation et la prise en charge adaptée de la dépression périnatale chez la femme.

Défis dans le diagnostic et les traitements adaptés
Tout d’abord, la littérature scientifique fait consensus sur le fait que la dépression périnatale peut être difficile à évaluer en raison du chevauchement des symptômes somatiques de la grossesse ou des expériences normales de la maternité (fatigue, fluctuation de l’appétit...) avec ceux de la dépression, ce qui en complique le diagnostic. De plus, la femme enceinte peut confondre ou minimiser ses difficultés, ce qui peut contribuer à la non-détection de ses symptômes dépressifs.

En outre, au Québec, le dépistage de la dépression chez les futures mères n’est pas systématique, selon Tremblay et al. (2019). Lors des rendez-vous médicaux, il est en effet davantage question des différentes conditions physiques (pression artérielle ou diabète gestationnel, par exemple), de possibles infections, mais rarement de l’état de la santé mentale des femmes enceintes.

Ensuite, des obstacles sont liés aux fournisseurs de soins et au système de santé, tel qu’un accès limité aux services de santé en périnatalité, une insuffisance de la coordination entre les professionnels de la périnatalité et ceux de la santé mentale (Dagher et al., 2021), un manque de temps, une formation incomplète des professionnels dans le diagnostic ou le traitement, un déficit de ressources de références en santé mentale ainsi qu’un manque de remboursement des consultations (selon la recherche de Heneghan et al., 2000 citée par Earls et al., 2010).

Enfin, des aspects culturels sont à prendre en compte, telles que la stigmatisation des troubles mentaux, la peur des effets secondaires liés à la prise d’antidépresseurs, l’idéalisation de la parentalité, qui peuvent gêner l’expression d’un mal-être, selon Earls et al. (2019).

Or, les insuffisances en ce qui concerne le diagnostic et la prise en charge ne sont pas sans conséquence sur la mère, sur l’enfant, voire sur le père et sur la société.

Conséquences de la dépression périnatale dans une famille et dans la société

La dépression périnatale peut présenter de sérieuses conséquences à la fois pour la mère et pour son bébé. La littérature scientifique permet de faire le lien entre la dépression durant la grossesse et un retard de développement du fœtus, un taux plus élevé d’accouchements avant terme et un faible poids des nouveau-nés à la naissance. La dépression augmente les taux de complications prénatales et périnatales comme la pré-éclampsie, les anomalies placentaires et les avortements spontanés, selon Field et al. (2017) dans une étude citée par Dagher et al. (2021). Toutefois, Tremblay et al. (2019) précisent que ces complications lors de la grossesse sont issues de plusieurs facteurs, et il n’a pas été démontré que la dépression périnatale en soit la seule cause.

La dépression pendant la grossesse entraîne des risques de dépression postnatale chez la mère et de dépression chez le père. En effet, la prévalence des symptômes de dépression chez les pères ou les partenaires lors de la grossesse ou après l’accouchement est de 8 % à 13 %, selon les études de Cameron et al. (2016) et Da Costa et al. (2015), citées par Tremblay et al. (2019). La prévalence des femmes enceintes ayant connu une dépression pendant leur grossesse et qui développent une dépression après l’accouchement est de 39 %, selon la recherche de Underwood et al. (2016) citée par Dagher et al. (2021).

Or, le non-traitement de la dépression post-partum peut induire des interactions affaiblies entre le parent et l’enfant, de l’abus et de la négligence envers l’enfant ou encore un dysfonctionnement familial, selon la recherche de Lp. et al. (2007), citée par Earls et al. (2019). Cela peut altérer l’attention et le jugement de la mère au sujet de la santé et de la sécurité de son enfant et, dans des situations extrêmes, conduire au suicide ou à l’infanticide, selon les études mises en évidence par Earls et al. (2019).

À cela s’ajoutent un risque de retards de développement importants (niveaux d’activités plus faibles, moins d’expressions faciales, niveaux inférieurs d’attention et de concentration) et des changements physiologiques caractérisés par des niveaux élevés de cortisol et une diminution des niveaux de dopamine et de sérotonine, selon la recherche de Muzik et al. (2010) citée par Dagher et al. (2021) ainsi que l’étude de Garner et al. (2012) citée par Earls et al. (2019).Nous allons aborder l’évaluation et les traitements adaptés de la dépression périnatale.

Évaluation de la dépression périnatale

L’évaluation de la dépression périnatale peut notamment être faite par un gynécologue, un pédiatre ou un psychologue.

Pour cela, la littérature scientifique met en évidence plusieurs instruments psychométriques : l’échelle de dépression postnatale d’Édimbourg (EPDS), l’échelle de dépistage de la dépression, le PSQ-2 (ou QSP-2 ou questionnaire de Whooley, version deux questions), et le PHQ-9 (ou QSP-9 ou Questionnaire sur la santé du patient, version neuf questions), selon Dagher et al. (2021). Il est notable que l’EPDS est l’instrument le plus couramment utilisé pour le dépistage et a l’avantage de ne pas se concentrer sur certains symptômes somatiques qui sont plus fréquents chez les femmes en période prénatale en l’absence de trouble mental, selon l’étude de Davis et al. (2013) citée par Alhusen et al. (2016).

Toutefois, pour poser un diagnostic, il est préférable d’effectuer une entrevue à visée diagnostique avec la patiente.

Traitements adaptés
En 2018, Molenaar et al. ont conduit une vaste méta-analyse sur les bonnes pratiques de traitement de la dépression périnatale chez la mère. Leur étude indique que la psychothérapie est le traitement recommandé en première instance pour un premier épisode dépressif d’une intensité légère à modérée.

Les psychothérapies recommandées par ces guides de bonnes pratiques sont surtout celles d’approche cognitive et comportementale ainsi que la thérapie interpersonnelle. Les thérapies cognitives et comportementales durent généralement entre 4 et 20 séances, avec pour objectif de réduire les symptômes, en particulier ceux de la dépression (Molenaar et al., 2018). La thérapie interpersonnelle est de type bref, et axée sur les changements dans les relations interpersonnelles et intrapersonnelles, tels que le changement de rôle, le soutien, ou la gestion du stress. Par ailleurs, selon les méta-analyses de Sockol (2011 et 2015), citées respectivement par Dagher et al. (2021) et Alhusen et al. (2016), la psychothérapie interpersonnelle (IPT) a des effets supérieurs par rapport à la thérapie cognitive et comportementale (CBT) sur le groupe contrôle dans le traitement de la dépression périnatale. Et la thérapie individuelle indique des résultats supérieurs à la thérapie de groupe pour la même affection.

Conclusion

La dépression périnatale demeure un sujet peu discuté au sein de la société et parmi les professionnels de la santé. Or, ce trouble devrait systématiquement être évalué afin de permettre aux femmes enceintes de vivre plus sereinement leur grossesse, et de leur offrir de meilleures conditions pour qu’un attachement sécure s’établisse entre elles et leur bébé. Cet effort commun pourrait prévenir des troubles psychologiques, comportementaux et de développement chez l’enfant ainsi que la souffrance et la détérioration de la qualité de vie de la future mère, voire de la famille. Ainsi, prendre soin des futures mères est bénéfique pour l’ensemble de la société à court terme et à long terme.
 

Références

Alhusen, J. L. et Alvarez, C. (2016). Perinatal depression: A clinical update. The Nurse Practitioner, 41(5), 50-55.

American Psychiatric Association. (2015). DSM-5. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e édition; traduit par M.-A. Crocq, J. D. Guelfi, P. Boyer, C.-B. Pull et M.-C. Pull). Paris, France : Masson.

Chaib, F. et Brunier, A. (2017). « Dépression : parlons-en » déclare l’OMS, alors que cette affection arrive en tête des causes de morbidité. Genève : Communiqué de presse de l’OMS. who.int/fr/news/item/30-03-2017--depression-let-s-talk-says-who-as-depression-tops-list-of-causes-of-ill-health 

Dagher, R. K., Bruckheim, H. E., Colpe, L. J., Edwards, E. et White, D. B. (2021). Perinatal depression: Challenges and opportunities. Journal of Women’s Health, 30(2), 154-159. 

Earls, M. F. et le comité des aspects psychosociaux de la santé de l’enfant et de la famille. (2010). Clinical report, incorporating recognition and management of perinatal and postpartum depression into pediatric practice. Pediatrics, 126, 1032-1039. 

Earls, M. F., Yogman, M. W., Mattson, G., Rafferty, J. et le comité des aspects psychosociaux de la santé de l’enfant et de la famille. (2019). Incorporating recognition and management of perinatal depression into pediatric practice. Pediatrics, 143(1), 1-9.

Kulkarni Misri, S. (2005). Neurotransmitters, hormones and depression (chap. 3, p. 30-45). Dans S.

Kulkarni Misri (dir.), Pregnancy Blues. What every woman needs to know about depression during pregnancy. New York, NY : Delacorte Press Book.

Molenaar, N. M., Kamperman, A. M., Boyce, P. et Bergink, V. (2018). Guidelines on treatment of perinatal depression with antidepressants: An international review. Australian & New Zealand Journal of Psychiatry, 52(4), 320-327.

Tremblay, P. et al. et l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). (2019). Santé mentale. Le portail d’information périnatale. Québec, Canada : Gouvernement du Québec. infoprenatale.inspq.qc.ca